Le simulacre de conférence pour la Syrie
J’ai toujours soutenu de manière très enthousiaste les pourparlers de paix, qui ont été trop souvent négligés dans les conflits internes et internationaux. Cependant, il est clair que la conférence internationale sur la Syrie, qui s’est réunie pour la première fois à Vienne le 30 octobre, est un simulacre de conférence incapable d’aboutir à des pourparlers de paix, ce que l’administration Obama savait parfaitement bien depuis le début.
L’administration américaine a vanté le fait que l’Iran a été invité à participer à la conférence, à la différence du précédent rassemblement sur la Syrie parrainé par l’ONU organisé en janvier et février 2014. Cette conférence malheureuse avait exclu l’Iran suite à l’insistance des États-Unis et de leurs alliés sunnites, alors que plusieurs États sans la moindre capacité à contribuer à un règlement de paix, ainsi que le Vatican, avaient fait partie des 40 participants non syriens invités.
La participation de l’Iran à la conférence de Vienne représente une avancée positive. Néanmoins, la conférence a été marquée par une absurdité encore plus fondamentale : aucune des parties syriennes impliquées dans la guerre n’a été invitée. Les pourparlers de 2014 comprenaient au moins des représentants du régime d’Assad et certains représentants de l’opposition armée. La conséquence évidente de cette décision est que les mécènes extérieurs des belligérants syriens (en particulier la Russie, l’Iran et l’Arabie saoudite) devraient dresser les contours d’un règlement et utiliser ensuite leur influence auprès de leurs clients pour forcer l’acceptation de l’accord.
Le modèle vietnamien
L’idée de sauter par-dessus les belligérants syriens en faisant négocier un accord de paix par une puissance extérieure pour le compte de ses clients est dans l’abstrait parfaitement logique. On retrouve un cas classique d’un tel arrangement dans la négociation par les États-Unis des accords de Paris avec le Nord-Vietnam en janvier 1973 pour mettre fin à la guerre américaine au Vietnam. La dépendance totale du régime de Thiệu soutenu par les États-Unis vis-à-vis de l’assistance américaine et le poids de l’armée américaine au Vietnam avaient garanti l’acceptation forcée de l’arrangement par Thiệu.
Toutefois, il convient également de noter que cet arrangement n’avait pas mis fin à la guerre. Le régime de Thiệu n’était pas disposé à respecter un cessez-le-feu ou un règlement politique, et la guerre s’est poursuivie pendant deux ans avant qu’une offensive nord-vietnamienne majeure y mette un terme en 1975.
Un point encore plus important quant à l’applicabilité de ce modèle à la guerre en Syrie concerne la grande différence entre l’intérêt américain pour négocier la tête de son client vietnamien et les intérêts iraniens et russes à l’égard du gouvernement syrien. Les États-Unis négociaient pour sortir d’une guerre de choix qu’ils avaient lancée, comme en Irak, en croyant à tort que leur puissance dominante leur garantirait le contrôle de la situation, et à laquelle ils ont été contraints de mettre fin suite à la pression politique nationale. En Syrie, l’Iran mène pour sa part une guerre qu’il considère vitale pour sa sécurité. De même, si les intérêts politiques et sécuritaires russes en Syrie peuvent paraître moins clairs, la Russie n’a également aucun intérêt à accepter un règlement qui risquerait d’entraîner une victoire du terrorisme en Syrie.
L’opposition syrienne « modérée » éclipsée
La perspective d’impliquer des forces anti-Assad dans le règlement est encore plus sombre. Si les forces de l’opposition soutenues par les États-Unis, opposées au régime syrien et à ses alliés étrangers, avaient assez de puissance pour menacer le régime, cela pourrait être une base objective pour des pourparlers de paix. L’administration Obama a essayé de créer l’impression que les forces « modérées » (c’est-à-dire celles qui sont prêtes à coopérer avec les États-Unis) constituent la principale opposition militaire au régime d’Assad. En réalité, cependant, ces forces « modérées » ont été absorbées par les djihadistes du Front al-Nosra et leurs alliés ou se sont ralliés à leur cause.
Ce changement radical dans la nature de l’opposition armée faisant face à Assad a été visible pour la première fois en septembre 2013. C’est à ce moment-là que les trois principales brigades islamistes « modérées » ont rejoint de manière inattendue les alliés du Front al-Nosra face à la Coalition nationale syrienne, qui avait été formée à Doha en novembre 2012 sous la pression des États-Unis et de leurs alliés du Golfe.
La transition vers la domination djihadiste de la guerre contre le régime d’Assad s’est accélérée entre novembre 2014 et mars 2015, lorsque le Front révolutionnaire syrien et le mouvement Harakat al-Hazm, les deux principaux groupes rebelles syriens qui obtenaient des armes de la CIA ou des Saoudiens, ont été attaqués et en grande partie absorbés par le Front al-Nosra.
Ce changement a des répercussions évidentes sur la possibilité de négocier un règlement. Lors de la conférence de Genève 2 initiée par l’envoyé spécial des Nations unies Lakhdar Brahimi en janvier 2014, les seuls groupes de l’opposition présents à la table des négociations étaient ceux qui étaient représentés par la Coalition nationale syrienne soutenue par les États-Unis, dont personne n’a pris au sérieux la menace militaire qu’elle pourrait représenter pour le régime. L’État islamique autoproclamé et la franchise d’al-Qaïda en Syrie, le Front al-Nosra, et ses alliés, qui représentaient bel et bien une telle menace, n’étaient pas présents à cette conférence.
Le Front al-Nosra hostile aux pourparlers
Toutefois, ni l’État islamique, ni les islamistes menés par le Front al-Nosra n’étaient le moins du monde intéressés par une conférence de paix. Le chef militaire du Front islamique, dominé par un proche allié du Front al-Nosra, Ahrar al-Sham, a déclaré qu’il considérerait la participation de toute troupe rebelle à des pourparlers de paix comme une « trahison ».
L’administration Obama a indiqué souhaiter que la conférence de Vienne aboutisse à une « feuille de route » pour une transition au pouvoir. Par ailleurs, l’administration a clairement fait savoir qu’elle souhaitait préserver les institutions de l’État syrien, y compris la structure militaire syrienne. Mais l’État islamique et la coalition dirigée par al-Qaïda sont deux organisations sunnites extrémistes sectaires qui n’ont pas caché leur intention de remplacer le régime d’Assad par un État islamique dépourvu des vestiges de l’appareil étatique existant.
Par conséquent, le régime d’Assad n’a évidemment aucun intérêt ne serait-ce qu’à sous-entendre une certaine flexibilité face aux demandes de départ d’Assad de la Syrie, sachant qu’il n’y a aucune possibilité de parvenir à un cessez-le-feu ou à un règlement de la situation avec l’État islamique et le Front al-Nosra. De même, ni les Russes, ni les Iraniens ne sont susceptibles de forcer la main d’Assad sur la simple question de négocier avec l’élément le plus faible de l’opposition armée.
Le discours fallacieux des États-Unis sur la Syrie
Les décideurs politiques de l’administration Obama semblent néanmoins déterminés à ne pas laisser des réalités désagréables interférer avec leur ligne de propagande sur la Syrie, selon laquelle c’est à la Russie et l’Iran de prendre en charge le problème en extorquant en quelque sorte des concessions de la part du régime d’Assad. Le Secrétaire d’État John Kerry a laissé entendre dans une interview pour la chaîne Kazak TV quelques jours après la première rencontre de la conférence de Vienne que « pour mettre fin à la guerre, il faut demander à M. Assad de contribuer à une transition vers un nouveau gouvernement ». La Russie ne l’a pas fait et, au lieu de cela, « est simplement là pour soutenir le régime d’Assad », a déclaré Kerry, ajoutant que « l’opposition n’arrêtera pas de combattre Assad ».
On doute que Kerry puisse confondre une telle position manifestement propagandiste avec les réalités politico-militaires syriennes beaucoup plus insolubles. Toutefois, il n’est pas commode sur le plan politique de reconnaître ces réalités. Ceci attirerait des questions indésirables au sujet de la décision prise en 2011 par l’administration états-unienne d’aligner sa politique avec les faucons syriens à Riyad, Doha et Istanbul, qui souhaitaient tellement un changement de régime en Syrie qu’ils étaient non seulement indifférents à l’égard de la montée du djihadisme dans le pays, mais qu’ils l’ont également vu comme un outil précieux pour se débarrasser d’Assad.
Aujourd’hui, le prix de la stratégie politique et diplomatique catastrophique d’Obama est un simulacre de conférence de paix qui trompe le reste du monde quant à l’absence de solution réaliste à la guerre.
- Gareth Porter, journaliste d’investigation indépendant, fut le lauréat 2012 du prix Gellhorn du journalisme. Il est l’auteur du livre, récemment publié : Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (Une crise fabriquée de toutes pièces : les origines secrètes de la hantise d’un Iran nucléaire).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le secrétaire d’État américain John Kerry (deuxième en partant de la gauche), le ministre turc des Affaires étrangères Feridun Sinirlioğlu (à droite), le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (à gauche) et le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Joubeir (deuxième en partant de la droite) posent pour une photo avant une réunion conjointe à Vienne (Autriche), le 29 octobre 2015 (AA).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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