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La vache miracle d’un rabbin menace al-Aqsa d’une « apocalypse »

Un groupe extrémiste espère que son intervention pour concevoir une génisse rousse parfaite grâce à la haute-technologie sera un prélude à la destruction de la mosquée de Jérusalem
Les activistes du troisième Temple pensent qu’une pure génisse rousse peut être utilisée dans le cadre d’un rituel visant à provoquer la réalisation d’une prophétie biblique relative à un nouveau temple juif sur le site de la mosquée al-Aqsa (Wikicommons)

Jérusalem – Dans son bureau de Jérusalem, le rabbin Chaim Richman s’est immergé dans un mélange improbable de 2 000 ans de tradition judaïque et de la dernière technologie d’élevage bovin américain.

Son objectif est de concevoir génétiquement une vache rousse parfaite. S’il réussit, il pense que cela ouvrira la voie à la destruction de l’un des sites les plus sacrés de l’islam – la mosquée al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem – et à la construction d’un temple juif à sa place.

Ce projet est susceptible d’enflammer le Moyen-Orient.

Le Temple Institute, dont Richman est le directeur international, a été créé dans les années 80 afin de rebâtir le temple de Jérusalem détruit par les Romains il y a près de deux millénaires.

Ses ruines, et ceux d’un précédent temple, sont censées se trouver sous la mosquée. En conséquence, les juifs appellent « mont du Temple » le complexe d’al-Aqsa.

Dans une vidéo promotionnelle, le rabbin décrit ses efforts pour élever un troupeau de vaches rousses comme un « projet historique sans précédent ». Il déclare : « Depuis 2 000 ans, nous avons pleuré la destruction du temple saint, mais l’avenir est entre nos mains. »

« Le défi consiste à élever une génisse rousse parfaite selon les exigences bibliques, ici, en Israël. Il est temps de cesser d’attendre et de commencer à agir. »

L’institut, qui était autrefois considéré comme une frange extrémiste, a trouvé un soutien croissant auprès des colons juifs et des chrétiens sionistes américains.

Au cours des dix dernières années, ses idées ont également fait leur chemin jusqu’au grand public israélien : les politiques, y compris des ministres, reprennent ses propos concernant un troisième temple, et le financement du ministère de l’Éducation indique que des dizaines de milliers d’élèves israéliens participent chaque année à son programme.

Les craintes palestiniennes au sujet d’une menace croissante pesant sur al-Aqsa ont alimenté des semaines d’affrontements avec les forces de sécurité israéliennes et ont déclenché une vague d’attaques perpétrées par des « loups solitaires ».

Les experts israéliens qui ont étudié les militants du Temple reconnaissent que les Palestiniens sont en droit d’être inquiets. Ils préviennent que les ambitions de personnalités comme le rabbin Richman pourraient provoquer une « apocalypse » dans la région.

2 000 ans d’attente

Les plans du Temple Institute pour un troisième temple en resteront toutefois à ce stade, à moins que celui-ci puisse trouver une génisse complètement rousse – une qui n’ait pas de poils blancs ou noirs.

Une des références bibliques à la génisse rousse se situe dans le Livre des Nombres, dans lequel Dieu dit à Moïse : « Avertis les enfants d’Israël de te choisir une vache rousse, intacte, sans aucun défaut, et qui n’ait pas encore porté le joug. »

Moïse est chargé de sacrifier rituellement l’animal et de mélanger ses cendres avec du bois de cèdre et de l’hysope. Le grand prêtre doit ensuite se baigner dans le mélange pour être « purifié du péché ».

Plus tard, les érudits juifs ont étendu ce rituel de nettoyage à la caste sacerdotale qui servait dans les temples antérieurs de Jérusalem, le premier construit par le roi Salomon et le deuxième qui s’est dressé là pendant des centaines d’années avant sa destruction en 70 avant J-C.

Dans la tradition juive, on n’a plus vu de génisse rousse pure depuis la période du second Temple, il y a 2 000 ans.

Pendant des décennies, les militants du mont du Temple ont écumé les troupeaux de bétail roux du monde entier, de l’Argentine à la Nouvelle-Zélande, afin d’en trouver une, mais sans succès.

Aujourd’hui, avec les rapides avancées de la technologie d’élevage, Richman prétend qu’il est possible de créer une telle génisse grâce à des techniques de sélection génétique et d’insémination.

Il a conclu un partenariat avec une ferme située dans le sud d’Israël, laquelle a récemment commencé l’élevage de bovins de race Angus roux, prisés pour leur viande, en utilisant des embryons congelés importés des États-Unis.

L’aide des chrétiens sionistes

Après leur brève campagne promotionnelle l’été dernier, Richman et les autres membres du personnel du Temple Institute refusent aujourd’hui de parler aux médias.

Des pressions semblent être exercées sur l’institut afin qu’il garde profil bas par des donateurs américains qui ont introduit un programme visant à développer l’industrie israélienne du bœuf dans des ranchs du Néguev.

Richman dépend de l’expertise des agriculteurs pour concevoir une génisse rousse, mais les investisseurs américains ont été gênés par la publicité.

Une source proche de l’institut a déclaré à Middle East Eye que les efforts pour élever une vache rousse pure « avancent tranquillement » à mesure que son personnel et les agriculteurs israéliens acquièrent une meilleure connaissance des techniques d’élevage bovin.

« Rien ne sera révélé jusqu’à ce que nous annoncions que nous avons trouvé une [génisse] candidate, cela sera peut-être dans un an ou deux », a déclaré la source. « La question est très sensible en ce moment. »

Richman est rentré récemment d’un voyage aux États-Unis, après une possible tentative de levée de fonds supplémentaires, y compris auprès d’organisations sionistes chrétiennes. Le mouvement chrétien sioniste aux États-Unis est estimé à des dizaines de millions d’adeptes.

Le chercheur israélien Gershom Gorenberg note dans son livre The End of Days que beaucoup de sionistes chrétiens croient que la reconstruction du temple est « une condition essentielle à la seconde venue ».

Plus marginal

Selon une enquête menée l’année dernière par l’Israel Democracy Institute, 38 % des juifs israéliens soutiennent la prière sur le mont du Temple, malgré les interdictions du Grand Rabbinat. Un autre sondage, mené en 2013, a montré qu’un tiers des juifs israéliens soutenaient la reconstruction du temple.

Yossi Gurvitz, un journaliste israélien et chercheur sur les groupes du Temple, a déclaré que les enquêtes d’il y a vingt ans indiquaient que seule une poignée d’Israéliens soutenaient de telles idées. « Les temps où ces groupes pouvaient être considérés comme fous et hors de propos dans la société israélienne sont révolus. »

Une enquête menée par le quotidien Haaretz a révélé le mois dernier que le Temple Institute avait reçu plus de 511 000 euros de divers ministères au cours des cinq dernières années. Une grande partie de cet argent provenait du ministère de l’Éducation. Des cours obligatoires dans les écoles publiques religieuses sur « l’amour de la terre et du Temple » apprennent aux élèves à « prier du fond du cœur pour la reconstruction du temple ».

Gurvitz a noté que le Temple Institute est également considéré comme une alternative de « service national » au service militaire obligatoire en Israël pour les jeunes femmes religieuses.

Visites pour les écoliers

Ofer Zalzberg, un chercheur israélien de l’International Crisis Group, un think-tank spécialisé dans la résolution des conflits et basé à Washington et à Bruxelles, a déclaré que l’institut avait utilisé les fonds publics pour faire visiter le mont du Temple à 60 000 élèves israéliens chaque année.

« Les élèves sont effectivement obligés de participer à ces visites et là, ils entendent des choses très différentes de ce que leur diraient leur propre rabbins », a-t-il confié à MEE.

Zalzberg, qui a récemment publié un rapport sur l’évolution du statut du mont du Temple, estime que seul un rabbin sur 100 partage l’avis de Richman selon lequel les militants juifs devraient prendre l’initiative de reconstruire le mont du Temple, plutôt que d’attendre le plan de Dieu.

« Le problème est que le gouvernement israélien affirme qu’il tient au statu quo [protéger l’autorité islamique sur al-Aqsa] mais éduque la prochaine génération à penser qu’ils peuvent le changer. »

Les ministres ont contribué à ce que le mont du Temple occupe une place de plus en plus centrale dans le discours israélien. Le ministre de l’Agriculture Uri Ariel, du parti Le Foyer juif, a demandé la reconstruction du temple.

L’activisme du Temple gagne également rapidement du terrain au sein du Likoud, parti au pouvoir et formation de Netanyahou. Tzipi Hotovely, vice-ministre des Affaires étrangères, a récemment déclaré que son « rêve » était de voir le drapeau israélien flotter sur le mont du Temple.

Gurvitz a noté que les services de renseignement israéliens découvraient régulièrement des projets de faire sauter al-Aqsa fomentés par des militants du mont du Temple. « Ce n’est qu’une question de temps avant que l’un d’entre eux aboutisse », a-t-il dit. « Leur vision de l’avenir est apocalyptique. »

Conseil sacerdotal rétabli

Récemment encore, presque tous les rabbins interdisaient aux juifs de visiter al-Aqsa, craignant que, sans purification rituelle, ils souillent le site. Cette injonction a considérablement décliné au fil du temps, de nombreux rabbins nationalistes supportant désormais l’accès au site.

Cependant, le Temple Institute a de plus grandes ambitions.

Son fondateur, le rabbin Yisrael Ariel, dirige un organisme appelé « Nascent Sanhedrin », un conseil de sages juifs créé en 2004 pour rétablir une caste sacerdotale de la période du second Temple.

Ses membres comprennent des personnalités religieuses de premier plan, tels que l’estimé talmudiste Adin Steinsaltz et un éminent professeur, Hillel Weiss.

En outre, le Temple Institute a élaboré des plans pour le temple, formé quatre prêtres, recréé leurs vêtements sacrés, réalisé les instruments religieux et conçu les autels.

La pierre d’achoppement est la nécessité d’une génisse rousse sacrificielle. Aucun prêtre ne peut entrer dans le temple sans être purifié par ses cendres.

Embryons importés des États-Unis

La chance de Richman a commencé à tourner en sa faveur lorsque le ministère de l’Agriculture israélien a partiellement levé l’interdiction sur les importations de bovins en provenance des États-Unis visant à empêcher la propagation de la maladie de la vache folle.

Des ranchs dans le Néguev ont commencé à importer des embryons d’Angus roux il y a deux ans pour aider à améliorer l’industrie du bœuf en Israël, a déclaré Yaacov Moscovitz, directeur du Ramat Negev Desert Agro-Research and Business Center.

Il n’a pas souhaité commenter la participation ou non de son centre au programme de génisse rousse de l’institut.

Richman aurait persuadé un éleveur, Moshe Tenne, de fournir un flux vidéo en direct de ses étables aux bureaux de l’institut à Jérusalem pour garantir que les vaches sont élevées dans de bonnes conditions.

Une vidéo promotionnelle montre les rabbins de l’institut en train d’inspecter les bovins sur son ranch avec une loupe pour examiner les imperfections.

Toutefois, selon le journal Haaretz, le Temple Institute peut être face à un paradoxe. Selon la loi juive, « la génisse rousse doit être abattue rituellement par un Cohen [prêtre] qui est rituellement pur lui-même – et en raison de l’absence de cendres de vache rousse, un tel Cohen n’existe pas. »


Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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