Pourquoi les médecins cubains optent pour la chaleur du Sahara algérien
Lorsque Mercedes, sage-femme cubaine de 48 ans, quittera la ville oasis algérienne de Taghit en mars prochain, elle restera dans les mémoires comme étant la femme qui utilisait un parapluie pour se protéger de l’éclat du soleil. « Les habitants se moquent de moi, mais je ne supporte toujours pas ce climat sec et chaud », rapporte-t-elle à Middle East Eye avec un sourire en coin. « L’île d’où je viens se situe dans une zone tropicale, où il y a beaucoup d’humidité. Ici, pendant l’été, la température peut atteindre 45 degrés Celsius ! »
« La capacité des habitants du coin à jeûner en été m’impressionne. Par respect, pendant le mois de Ramadan, je bois seulement de l’eau en secret dans mon bureau. Quelqu’un s’est finalement rendu compte de ce que je faisais et m’a dit que je n’avais pas à manger ou à boire en secret. Cependant, en signe de respect, je préfère quand même attendre que mes collègues algériens tournent le dos avant de m’hydrater », a-t-elle ajouté.
« Taghit est chebba »
Mercedes fait partie de la petite communauté cubaine de la ville oasis de Taghit, dans la province occidentale de Béchar, près de la frontière avec le Maroc. Elle et ses compatriotes ont été envoyés par leur gouvernement dans le cadre d’un accord de coopération en matière de santé entre les deux pays qui remonte à 1963. Cette année-là, 56 médecins cubains sont arrivés dans cet État d’Afrique du Nord nouvellement indépendant dans le cadre de la première mission humanitaire de Cuba en faveur d’un pays en développement. Aujourd’hui, environ 1 000 médecins cubains, dont 500 ophtalmologistes, travaillent en Algérie dans le cadre de projets intergouvernementaux.
Le changement d’environnement pour les Cubains est difficile à plus d’un titre. Ils ont laissé derrière eux leur famille et les différences culturelles sont considérables, bien qu’atténuées en partie par la formation qu’ils reçoivent avant d’arriver en Algérie.
Le voisin de Mercedes à Taghit, Umberto Cortiz, technicien en radiologie de 54 ans, a expliqué à MEE qu’« avant de s’engager pour toute mission médicale, les personnels de santé cubains suivent des sessions de formation pour apprendre les informations de base nécessaires sur le pays d’accueil, notamment la langue, la culture et les conditions de vie ».
Pour Mercedes, vivre en Algérie signifiait échanger ses tee-shirts décolletés pour des tuniques à manches longues. « En ce qui concerne l’Algérie, nous nous sommes familiarisés avec les restrictions sur le porc et l’alcool, le comportement acceptable en public et, pour les femmes, les codes vestimentaires », a-t-elle indiqué.
Le travail peut être acharné, le gouffre linguistique ardu, mais quand elle partira, Taghit manquera à Mercedes. Ces trois dernières années, elle a vécu dans l’une des plus belles oasis du Sahara, à environ 1 200 km au sud-ouest d’Alger. Les trois maisons de plain-pied de la communauté cubaine, aux extérieurs couleur saumon, donnent sur les 12 km de long de la palmeraie de Taghit et offrent une vue d’ensemble à couper le souffle sur l’« Erg Occidental », cette interminable mer de sable sans route.
« Le surnom de Taghit est ‘‘L’Enchanteresse’’. Nous sommes chanceux, c’est un très bel endroit et les gens sont très accueillants », a déclaré Mercedes.
Un autre voisin, Julio Cesar, un technicien biomédical de 27 ans, partage cet avis. « Chaque jour, une ambulance nous attend pour nous conduire à la polyclinique et nous ramener à la maison. Mais je préfère marcher pour profiter du paysage. C’est une balade de 30 minutes à pied le long des dunes. Taghit est chebba [terme algérien pour belle] », a-t-il précisé.
Lorsque Mercedes est arrivée à Taghit en 2012 pour travailler à la polyclinique locale, elle savait à peine parler arabe, mais les médecins cubains ont appris à communiquer avec la population locale en mélangeant français, darija (l’arabe parlé en Algérie) et espagnol dans la même phrase.
« Nous sommes formés pour trouver des alternatives et des solutions, c’est dans notre nature », explique la sage-femme.
Julio, qui s’est installé dans l’oasis en avril dernier, a précisé à MEE : « Au laboratoire, je travaille avec trois Algériens. Ça m’aide à apprendre plus vite le darija. Au souk, je tente même de négocier. »
Certains se lient d’amitié avec leurs homologues algériens. « Nous avons déjà été invités à des mariages et à célébrer l’Aïd al-Adha [l’une des fêtes les plus importantes de l’islam] », a déclaré Umberto.
« Je resterai en contact avec mes amis algériens sur Facebook quand je retournerai à Cuba », a affirmé Mercedes.
La communauté cubaine ne voyage pas beaucoup au sein du plus grand pays d’Afrique. Pour des raisons de sécurité et en raison de la lourde charge de travail, on leur a demandé d’éviter de sortir d’un périmètre spécifique. Selon les plus récentes mises en garde du Département d’État des États-Unis, le risque d’attaques terroristes au Sahara algérien reste élevé.
« Avant d’entreprendre tout voyage, nous devons demander la permission au chef de la mission locale. Comme tous les étrangers, nous sommes escortés par la police pour chaque voyage entre deux villes », a déclaré Umberto.
En conséquence, les Cubains suivent une routine quotidienne simple : ils travaillent sans relâche et passent leur temps libre à traîner dans leurs appartements et à vérifier leurs smartphones en quête de messages de leurs familles à Cuba. L’absence de leur famille, notamment les enfants et petits-enfants, fait partie du sacrifice que font les médecins en travaillant à l’étranger. « Je n’aurai pas la chance de voir grandir Isabella », a déploré Julio, montrant une photo sur son téléphone de sa fille de trois ans.
Médecins expérimentés
Les Cubains constituent aujourd’hui le plus grand contingent de médecins et d’infirmiers étrangers travaillant en Algérie, selon le gouvernement à Alger.
« Ce qui était une mission humanitaire est devenue une coopération à long-terme », a déclaré à MEE Slim Belgacem, un porte-parole du ministère algérien de la Santé. La coopération en matière de santé entre l’Algérie et Cuba est un projet en trois volets, incluant des programmes de santé maternelle, d’ophtalmologie et de gynécologie, a-t-il ajouté, décrivant les relations entre l’Algérie et Cuba comme une « coopération mutuellement bénéfique ».
« Cuba est un vieil ami de l’Algérie. Ils nous ont aidés pendant la guerre d’indépendance contre la France. En retour, l’Algérie a soutenu Cuba quand l’île était asphyxiée par l’embargo commercial des États-Unis pendant plus d’un demi-siècle. Le programme de santé international de Cuba est [aussi] encore une importante source de devises pour l’île communiste. »
Les professionnels de santé impliqués « signent un contrat de trois ans avec un mois de vacances par an. Certains prolongent leur séjour. Cuba nous envoie exclusivement des personnels de santé disposant d’un grand savoir-faire », a précisé Belgacem.
Slimane Mahmoudi, interprète à la clinique ophtalmologique de Béchar (la capitale provinciale), a confié à MEE : « Ils comptent parmi les meilleurs médecins cubains ; certains ont plus de vingt ans d’expérience. »
Cuba s’illustre mondialement comme le premier fournisseur d’aide médicale suite aux catastrophes humanitaires, d’Ebola aux tremblements de terre. À l’heure actuelle, plus de 50 000 professionnels de santé cubains, dont la moitié de médecins, sont engagés dans des missions médicales dans 68 pays en développement, selon l’ambassade de Cuba à Alger.
En Algérie, l’arrangement va au-delà du simple fait de faire venir des médecins pour renforcer le système de santé du pays. Depuis 2008, les autorités cubaines ont construit cinq cliniques ophtalmologiques modernes, équipées de machines de haute technologie, dans les régions montagneuses ainsi que dans le Sahara. « Ces hôpitaux sont gérés par des équipes algériennes, tandis que le personnel médical provient principalement de Cuba. Dans ces cliniques, le coût des soins médicaux est entièrement couvert par les autorités algériennes », a déclaré Belgacem.
Pourquoi les médecins cubains sont-ils envoyés principalement dans les zones désertiques d’Algérie ?
« Le Haut Plateau et le Sahara font face à une importante pénurie de médecins, notamment parce que peu de professionnels de santé locaux se portent volontaires pour se déplacer dans les zones rurales. Cependant, un programme d’incitation, offrant une augmentation de salaire de 80 % et un bonus pour leur retraite, a été mis en œuvre pour convaincre les médecins algériens de s’installer dans les régions éloignées. Les Cubains vont simplement là où les médecins algériens ne vont pas », a conclu Belgacem.
Une mission éreintante
La clinique ophtalmologique de Bechar, comme quatre autres hôpitaux cubains en Algérie, est bondée toute la journée. Des Algériens souffrant de troubles oculaires sont venus de tout le pays dans cet hôpital depuis que ce dernier a été ouvert en 2012. « Plus de 5 800 patients ont subi une chirurgie oculaire depuis 2012. La plupart souffraient de cataracte », a déclaré l’interprète Mahmoudi.
Regina Perez Belancourt, ophtalmologiste de 62 ans, a expliqué que certains des patients « venaient même de Tunisie », ce qui atteste de l’ampleur du travail auquel les médecins sont confrontés.
« En 2003, j’étais dans une mission au Lesotho. Mais ici, la mission est beaucoup plus éreintante. La nécessité ne pouvait être plus grande », a-t-elle indiqué à MEE. « Je traite jusqu’à 50 patients par jour. Nous sommes tous surchargés de travail, nous n’avons même pas le temps de déjeuner. Au moins, je me sens utile. »
Selon le ministère de la Santé, un nouveau groupe de médecins cubains devrait venir en Algérie pour travailler dans les centres de cancérologie encore en construction d’El Oued et Béchar. Autrement dit, malgré la chaleur, les médecins cubains sont là pour un bout de temps.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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