Aller au contenu principal

Comment bien vivre le Ramadan quand on souffre d’un trouble du comportement alimentaire

Pour les musulmans souffrant de troubles alimentaires, le Ramadan peut être un mois de grande solitude et susciter un sentiment de culpabilité chez ceux qui ne sont pas en mesure de jeûner
Le Ramadan peut être une expérience difficile et solitaire pour les personnes souffrant de troubles alimentaires (MEE/illustration)

Si l’une des principales caractéristiques du Ramadan est le jeûne de toute nourriture et de toute boisson de l’aube au coucher du soleil, beaucoup d’importance est accordée aux repas, qu’il s’agisse du fait de s’en abstenir, de les préparer ou de les consommer.

Si le mois sacré des musulmans est important pour sa signification religieuse, c’est aussi une période où les familles et les amis se réunissent, reprennent contact et mangent ensemble au moment de l’iftar, le repas de rupture du jeûne.

Des études ont montré que le Ramadan avait de nombreux effets bénéfiques sur la santé et qu’il constituait un bon moyen de renforcer la santé et le bien-être.

Pour beaucoup, cependant, le mois est synonyme de lutte acharnée pour éviter un déferlement de questions et de commentaires, allant du « on dirait que tu n’as pas aimé la nourriture » au « tu n’as pas encore tout goûté », en passant par la fameuse question « pourquoi ne jeûnes-tu pas ? ».

Pour ces musulmans souffrant de troubles alimentaires, le mois sacré peut être difficile à vivre, d’autant plus que ces troubles peuvent être perçus comme un sujet tabou dans l’ensemble de la région arabe.

Les troubles du comportement alimentaire, qui sont considérés comme un état de santé mentale lié à la relation d’une personne avec la nourriture, rendent souvent la personne affectée très sensible à son poids et à sa silhouette, et la poussent à modifier brusquement son régime alimentaire. Cela peut aller d’une alimentation insuffisante à une alimentation excessive.

« Les gens ne sont pas conscients qu’il s’agit d’une maladie mentale grave qui prend le contrôle de la personne. Il ne s’agit pas seulement de vouloir être mince. C’est bien plus profond et les gens ne le comprennent pas », explique à Middle East Eye Habiba Khanom, militante londonienne pour la santé mentale.

Une étude réalisée en 2020 a révélé que, dans l’ensemble, environ 40 % de la population arabe suivait un régime alimentaire, des adultes et adolescents des deux sexes, et que les Saoudiens semblaient être les plus exposés à des troubles du comportement alimentaire.

Le Ramadan et la culture de la nourriture

Pour de nombreux musulmans, le Ramadan est la seule période de l’année où leur emploi du temps et celui de leur famille sont alignés, en raison de l’heure de la rupture du jeûne, l’iftar, et de l’heure du sohour, le repas d’avant l’aube.

La vie pendant le Ramadan tourne donc souvent autour de ces repas partagés. Pour ceux qui observent le Ramadan seuls, la rupture du jeûne peut être un moment de grande solitude.

Des Omanais se rassemblent pour rompre leur jeûne sur la plage pendant le mois sacré du Ramadan (AFP)
Des Omanais se rassemblent pour rompre leur jeûne sur la plage pendant le mois sacré du Ramadan (AFP)

« L’une des principales raisons – outre le jeûne – pour lesquelles le Ramadan peut être difficile pour les personnes souffrant de troubles alimentaires est que, ironiquement, le mois devient plus axé sur la nourriture », affirme Habiba Khanom à MEE, précisant que « pour certaines familles, il peut s’agir du seul moment de l’année où tout le monde mange ensemble ».

Selon elle, la culture de la générosité qui anime le mois du Ramadan peut être une période conflictuelle pour les personnes souffrant de troubles de l’alimentation.

Le Ramadan, aussi appelé mois du partage, encourage les croyants à faire preuve de générosité. Cette générosité se traduit par des actions caritatives et le partage de grandes quantités de nourriture avec des amis et la communauté locale.

« Malgré toute la sacralité et tous les beaux comptes à rebours, le Ramadan peut être le pire moment et environnement pour une personne souffrant d’un trouble de l’alimentation »

- Zara Miah, étudiante

D’après Habiba Khanom, cette culture de la nourriture peut donner aux personnes souffrant de troubles alimentaires l’impression d’être surveillées, et le fait de se voir proposer avec enthousiasme de se servir de la nourriture en abondance dans leur assiette peut constituer un défi.

Zara Miah, 23 ans, étudiante bangladaise vivant à Londres, explique que l’expérience du Ramadan peut être entachée pour ceux qui ont une relation difficile avec la nourriture.

« Malgré toute la sacralité et tous les beaux comptes à rebours, le Ramadan peut être le pire moment et environnement pour une personne souffrant d’un trouble de l’alimentation », affirme-t-elle à Middle East Eye.

« En particulier pour les personnes souffrant d’hyperphagie boulimique ou de boulimie. Le Ramadan reproduit littéralement ce phénomène, en consistant à se priver de nourriture durant les heures de la journée, pour finalement manger et se purger », poursuit-elle.

Sujet tabou

L’un des éléments qui rendent le mois du Ramadan encore plus difficile pour les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire est le manque de discussions ouvertes sur le sujet.

Yasmeen Alhajj, militante pour la santé et étudiante en nutrition à New York, explique à Middle East Eye que de nombreux éléments déclencheurs et problèmes liés aux troubles de l’alimentation proviennent des préjugés et de la « grossophobie ».

« Notre culture accorde beaucoup d’importance à l’image, pour les hommes et pour les femmes, mais, en particulier pour les femmes, il existe des caractéristiques : il faut être mince, avoir des courbes et des hanches. Ce sont là quelques-unes des qualités requises pour être perçue comme une femme idéale », explique-t-elle.

Selon Yasmeen Alhajj et d’autres experts de la santé, ces attitudes à l’égard de l’alimentation et de l’image corporelle peuvent avoir des effets néfastes sur une personne, qui sont d’autant plus renforcés par le manque de discussions ouvertes à ce sujet.

Culture du régime et « culte de la santé »

Les experts de la santé estiment que la culture du régime a également contribué, au fil des ans, à l’impact négatif ressenti par les personnes souffrant de troubles de l’alimentation.

Yasmeen Alhajj affirme qu’un choc culturel singulier est apparu au fil du temps, lorsque la montée du mouvement « du culte de la santé » a diabolisé certains aliments souvent présents dans les cuisines du Moyen-Orient.

« Une personne souffrant d’un trouble alimentaire peut développer une certaine aversion à l’égard de sa cuisine et de sa culture, en pensant que ces plats familiers sont probablement à l’origine de son état, ce qui pourrait la pousser à se déconnecter de certaines facettes de son identité. »

C’est particulièrement vrai pour la nourriture du Moyen-Orient, une cuisine riche en viandes, en glucides et en huiles.

Les personnes souffrant de troubles alimentaires trouvent le mois de Ramadan particulièrement difficile (AFP)
Les personnes souffrant de troubles alimentaires trouvent le mois de Ramadan particulièrement difficile (AFP)

Yasmeen Alhajj, qui a elle-même souffert de troubles de l’alimentation, explique que les messages constants de la culture du régime qui prévalent dans la société, ainsi que certains groupes d’aliments considérés comme mauvais, peuvent rendre la vie difficile à ceux qui n’ont pas dans leur entourage le soutien nécessaire ou qui essaient de surmonter un trouble de l’alimentation.

Pour les musulmans qui observent le Ramadan seuls tout en luttant contre des problèmes de santé mentale ou des troubles alimentaires, ce mois peut être l’une des périodes les plus éprouvantes et difficiles de l’année.

Jeûner en étant atteint d’un trouble de l’alimentation

Le mois de Ramadan est considéré comme l’un des plus sacrés du calendrier islamique. Pour les personnes qui souffrent de troubles alimentaires ou qui sont incapables de jeûner, ce mois peut susciter un sentiment de culpabilité.

La professeure Omara Naseem, psychologue et spécialiste des troubles alimentaires basée au Royaume-Uni, publie sur son compte Instagram des informations et des réponses à des questions clés sur les troubles alimentaires pendant le mois sacré.

Dans une vidéo diffusée en direct en ligne, la professeure Omara Naseem explique que pour jeûner, il faut être en bonne santé et que toute personne souffrant de troubles alimentaires devrait consulter un médecin qui l’aiderait à déterminer si elle est capable de jeûner.

Des bénévoles préparent des assiettes pour l’iftar afin que les gens puissent rompre le jeûne pendant le Ramadan (AFP)
Des bénévoles préparent des assiettes pour l’iftar afin que les gens puissent rompre le jeûne pendant le Ramadan (AFP)

La professeure Omara Naseem encourage également les gens à aborder la question des troubles alimentaires avec les membres de leur famille afin de les aider à comprendre les effets que cela peut avoir sur eux et d’éliminer toute honte ou stigmatisation culturelle liée au fait de ne pas jeûner.

Selon les enseignements de l’islam, un certain nombre d’exemptions de jeûne sont prévues pour les fidèles. Il s’agit notamment des périodes de menstruation, de grossesse ou d’allaitement, ainsi que des périodes de maladie ou de voyage.

« Il ne s’agit pas seulement d’un mois de jeûne, c’est aussi le mois de la réflexion spirituelle, de l’abandon des mauvaises habitudes et de l’acquisition de nouvelles »

- Omara Naseem, spécialiste des troubles alimentaires

De nombreux érudits musulmans suggèrent que ceux qui ne peuvent pas jeûner s’adonnent à d’autres types de pratiques spirituelles pendant le mois sacré, notamment les œuvres de charité, la lecture du Coran, les supplications et le bénévolat.

La professeure Omara Naseem le rappelle et encourage les personnes qui ne peuvent pas jeûner du fait de leur trouble de l’alimentation à envisager d’autres formes de spiritualité.

« Il ne s’agit pas seulement d’un mois de jeûne, c’est aussi le mois de la réflexion spirituelle, de l’abandon des mauvaises habitudes et de l’acquisition de nouvelles. N’importe quelle petite chose que l’on peut faire est bonne, la charité et la fidya [un don religieux fait au moment de la rupture du jeûne] peuvent être une option, de même qu’aider à nourrir quelqu’un d’autre de moins fortuné », ajoute-t-elle.

Ceux pour qui le jeûne peut comporter un élément traumatisant ou être une source d’angoisse, et qui ont du mal à expliquer aux autres pourquoi ils ne peuvent pas s’acquitter de ce devoir religieux, pourraient privilégier d’autres formes de culte.

Certains passeront de longues heures de la nuit à prier, tandis que d’autres essaieront de compenser par des actes de charité.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].