Les grands – et les petits – mawlids d’Égypte
La mosquée est couverte de petites lumières. Des chants religieux à plein volume s’échappent de haut-parleurs dans tous les coins, tandis que des rondes de fidèles tourbillonnent en répétant le mot madad. Des tentes sont dressées dans les rues et les venelles autour de la mosquée, pleines de gens qui dorment, mangent, se retrouvent et bavardent. Des vendeurs de rue interpellent les passants, leur proposant des bijoux de pacotille et de délicieux desserts. Les enfants font la queue, attendant leur tour de monter sur les balançoires. Il s’agit simplement d’un mawlid soufi égyptien typique.
Le mot arabe mawlid signifie « anniversaire » – l’anniversaire d’un wali musulman, un saint en quelque sorte, qui fait usage d’intermédiaire et d’intercesseur auprès de Dieu. Les mawlids sont des fêtes commémorant l’anniversaire de la mort d’un saint – ou bien, comme le croient généralement les soufis, le jour de la naissance d’un saint au ciel.
La tradition des mawlids a commencé au temps des califes fatimides qui dirigèrent l’Égypte aux Xe et XIe siècles, et elle est toujours bien vivante de nos jours du fait de la popularité constante du soufisme dans la société égyptienne. Plus de 50 mawlids – pratiquement un par semaine – sont encore célébrés, y compris dans les endroits les plus reculés du pays.
Les célébrations ont toujours lieu autour d’une mosquée, qui porte habituellement le même nom que le wali que l’on fête. Les adeptes du soufisme passent la durée du mawlid rassemblés en grands cercles appelés al-hadra, écoutant des chants religieux et tourbillonnant, en proie à une transe mystique. Certains se contentent de tourner autour du sanctuaire du saint en demandant des bénédictions.
Les membres de la famille du Prophète figurent parmi ceux que l’on vénère comme saints – y compris le petit-fils du Prophète Mohammed, l’imam Hussein, dont la tombe se trouve au Caire dans la mosquée du même nom.
En fait, la plupart des saints dont les mawlids sont célébrés en Égypte ne sont pas du tout égyptiens. Al-Sayed al-Badawi – un grand maître soufi du Moyen Âge, fondateur d’une importante confrérie mystique appelée al-Tarika al-Ahmedia – venait du Maroc et s’établit dans la ville de Tanta, à 94 km au nord du Caire. C’est là qu’il mourut et fut inhumé dans une chapelle à l’intérieur de la mosquée qui porte son nom, dans le centre-ville. Plus d’un million d’Égyptiens le fêtent lors d’un mawlid qui a lieu chaque année.
Mohamed bin Mawly, un prédicateur de 41 ans travaillant pour le ministère des Biens religieux, a affirmé à Middle East Eye que plus de 15 millions d’Égyptiens participent chaque année à des mawlids, et que la plupart n’appartiennent pas à des confréries soufies.
En Égypte, dans beaucoup de villages pauvres, le mawlid se rattache moins à une quelconque observance religieuse qu’à une fête unissant tout le village, donnant à la communauté une occasion de se rassembler. Dans certains petits villages, il arrive que le sanctuaire soit délaissé un certain temps avant que les fidèles ne l’encerclent, alors que dans les mawlids plus importants et les plus populaires, il faut sérieusement jouer des coudes pour pouvoir s’approcher tout près, la foule réunissant plusieurs milliers de personnes.
Les membres des confréries soufies assistent aux mawlids pour des raisons évidemment diverses. Ahmed Gebali, 33 ans, un fermier du sud de l’Égypte qui appartient aussi à al-Tarika al-Ahmedia, a expliqué à MEE : « Les jours de mawlids sont des jours bénis, donc nous devons profiter de cette opportunité pour nous rapprocher d’Allah et demander à ses bienheureux saints [Awliaa al-Salhin] d’intercéder afin que les péchés soient pardonnés. »
En revanche, certaines personnes sont contre le principe même des mawlids et les considèrent comme une manifestation hérétique qui va à l’encontre de la véritable essence de l’islam. Hamed Rohem, imam de l’une des mosquées les plus célèbres du Caire, fait partie de ces critiques.
« L’un des points qui distingue l’islam des autres religions, c’est qu’il n’y a rien qui sépare le fidèle d’Allah », explique Hamed Rohem. « Vous n’avez pas besoin d’aller trouver quelqu’un pour entrer en communication et demander quelque chose à Allah – cette idée d’un intercesseur, quel qu’il soit, ne s’apparente pas du tout à l’islam. »
Entre les adeptes des confréries soufies, ceux qui s’opposent au principe des mawlids et ceux qui y assistent pour des raisons purement sociales, les mawlids soufis égyptiens continuent à constituer une caractéristique de la société égyptienne.
Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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