Al-Qaïda au Yémen lance une campagne de « conquête des cœurs et des esprits »
AL-MUKALLA, Yémen – Trois ans après s’être fait chasser de plusieurs villes du sud du Yémen, les militants d’al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA) sont revenus et ont saisi deux villes de la province d’Abyan, ont rapporté à Middle East Eye des résidents et représentants des autorités locales. Mais ceux qui avaient vécu sous le règne d’al-Qaïda à Abyan en 2011 parlent désormais de nouveaux militants, « tolérants et amicaux ».
À Zinjibar, la capitale de la province d’Abyan, un représentant du gouvernement, s’exprimant sous couvert d’anonymat par crainte pour sa sécurité, a indiqué que plus tôt ce mois-ci, les miliciens d’al-Qaïda avaient calmement pris possession des campements militaires et des commissariats de la ville, sans même attirer l’attention des élèves dans les écoles ou des fonctionnaires dans leur bureau.
« Zinjibar est calme. Les gens vaquent à leurs occupations quotidiennes », a déclaré la source de MEE.
De nombreuses provinces du sud du Yémen sont dans une situation anarchique depuis que les forces soutenant le président Abd Rabbo Mansour Hadi et des membres de tribus locales, soutenus par l’Arabie saoudite, ont chassé les rebelles houthis. Les séparatistes et les islamistes alignés avec les forces soutenues par les Saoudiens ne sont ensuite pas parvenus à remplir le vide laissé par les soldats yéménites partis combattre les Houthis au nord. Al-Qaïda est alors entré en jeu, prenant la place des agences de sécurité autrefois dirigées par le gouvernement.
Selon l’officiel du gouvernement interviewé par MEE, une alliance de convenance avait émergé entre al-Qaïda et les combattants locaux quand de nombreux districts d’Abyan avaient été saisis par les Houthis. Les deux parties armées s’étaient entendues pour faire cesser les hostilités et combattre tous ensemble leur ennemi commun, les Houthis, avant que la coalition saoudienne ne les chasse.
Moins radicaux ?
Selon la source de MEE, les miliciens d’al-Qaïda qui gèrent sa ville sont moins radicaux et moins exigeants quant à l’application de la charia que ceux qui l’avaient contrôlée en 2011.
« Ils n’ont ni hissé leurs drapeaux, ni exécuté de soldats. Ils ont aussi autorisé les officiels du gouvernement à opérer dans la ville. Les écoles sont ouvertes et les soldats se déplacent librement dans les rues de Zinjibar. »
En 2011, alors que l’ancien président de longue date Ali Abdallah Saleh faisait face à des manifestations à travers tout le pays visant à le démettre de ses fonctions, al-Qaïda avait bénéficié des divisions au sein de l’armée et capturé trois villes importantes du sud : Zinjibar et Jaar dans la province d’Abyan, et Azzan dans la province de Shabwah.
Aujourd’hui, au lieu de passer leur journée à faire la chasse aux agents du renseignement ou à ceux qui jouent de la musique, les miliciens d’al-Qaïda à Zinjibar sont occupés à mener une campagne de « conquête des cœurs et des esprits » afin de remporter l’adhésion de la population. Ils ont organisé des rassemblements publics pour informer les résidents de leurs activités et de la raison pour laquelle ils ont décidé de faire surface dans la ville.
Les Fils d’Abyan
À l’étonnement des habitants, les miliciens ont également changé de nom, adoptant celui de Fils d’Abyan.
« Ils se comportent comme s’ils étaient en campagne électorale », a indiqué l’officiel à MEE.
À Jaar, un bastion d’al-Qaïda qui avait également été capturé par le groupe en 2011, la situation n’est pas différente de chez sa voisine Zinjibar. Anwar al-Hadhrami, un journaliste local, a précisé à MEE que les militants avaient saisi Jaar fin octobre et qu’ils se donnaient du mal pour se faire accepter par la population.
« La situation est normale, tout est tranquille. Les membres d’al-Qaïda n’ont pas harcelé la population comme ils l’avait fait en 2011 », a-t-il déclaré.
Il y a quatre ans, Anwar al-Hadhrami se trouvait à Abyan lorsque les miliciens d’al-Qaïda avaient capturé sa ville natale. Il a donc pu esquisser une comparaison entre les miliciens d’aujourd’hui et ceux de 2011.
« En 2011, al-Qaïda avait pris d’assaut les camps militaires, empêché l’enseignement de certains sujets, imposé un couvre-feu à l’heure de la prière et appliqué strictement la charia, coupant notamment les mains des voleurs, exécutant les assassins et flagellant ceux qui s’étaient rendus coupables de crimes mineurs », a-t-il indiqué.
Souvent, a raconté Hadhrami, les militants ne sont pas visibles dans les rues ou les bureaux gouvernementaux. Il n’y a aucun signe de leur présence dans la ville à l’exception de leur base située à l’intérieur d’un ancien site militaire en ruines.
« Il est difficile de dire avec certitude s’il s’agit de miliciens d’al-Qaïda ou d’un autre groupe. »
Malgré ces témoignages, le gouverneur d’Abyan, al-Khedher al-Saïdi, a vigoureusement démenti la présence du groupe dans sa province, faisant référence à ses récents déplacements dans les deux villes.
« Le gouverneur est basé à Aden depuis 2011. Les miliciens ont fermé les yeux sur ses brèves incursions à Zinjibar », a indiqué l’officiel.
Malgré leur approche amicale vis-à-vis de la population, certains habitants ont déclaré que les miliciens avaient pourchassé d’importants leaders des Comités populaires, un rassemblement de membres de tribus ayant appuyé les soldats de l’armée gouvernementale qui ont repoussé al-Qaïda d’Abyan et de Shabwa en 2012.
Abdul Lateif al-Sayed, le chef des Comités populaires, a fui Zinjibar pour un autre district de la province de Lahj après l’assassinat de son adjoint, Ali Sayed, par les militants le 2 décembre. Son corps sans vie avait été trainé à travers les rues de Zinjibar, d’après le témoignage de Mafoud Fara’a, un militant séparatiste d’Abyan.
Depuis avril, les forces d’al-Qaïda contrôlent la ville portuaire de Mukalla, capitale de l’Hadramaout et l’une des villes les plus importantes du Yémen du point de vue économique et politique. Les miliciens ont discrètement étendu leur influence jusqu’à des villes plus petites telles que Sheher et Ghayl Bawazer. Comme à Abyan, al-Qaïda a adopté un nouveau nom, celui de Fils de l’Hadramaout.
Traduction de l’anglais (original).
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