Qu’y a-t-il derrière la publication de la vidéo de Gilad Shalit par le Hamas ?
Une vidéo dans laquelle apparaît l’ancien captif israélien Gilad Shalit, récemment publiée par les Brigades al-Qassam, l’aile militaire du mouvement palestinien Hamas, a provoqué des réactions mitigées chez les Palestiniens et en Israël.
Shalit, un soldat israélien capturé par le Hamas en 2006, a passé cinq années en captivité avant d’être libéré en octobre 2011 dans le cadre d’un échange de prisonniers négocié par l’Égypte et l’Allemagne.
Certains ont demandé pourquoi le Hamas avait publié maintenant, soit cinq ans après la libération de Shalit, une vidéo montrant que ce dernier avait été détenu dans un cadre relativement confortable, voire luxueux, comparé au traitement que les prisonniers palestiniens endurent dans les prisons israéliennes.
Certains segments de la vidéo montrent en effet Shalit en train de faire griller de la viande sur un barbecue, sur ce qui semble être une plage et prenant le thé en regardant la télévision avec des combattants du Hamas.
Le Hamas a expliqué que la publication de la vidéo servait à présenter le travail de l’une de ses unités secrètes, chargée habituellement de la surveillance des prisonniers de guerre israéliens. Mais la raison sous-jacente expliquant le moment de cette publication pourrait être d’amorcer des négociations sur un nouvel échange de prisonniers, alors que le Hamas continue d’envoyer des signaux selon lesquels il détiendrait un ou plusieurs soldats israéliens capturés durant la guerre de l’été 2014, laquelle avait duré 51 jours.
La vidéo des Brigades al-Qassam semble illustrer le fait que Shalit a reçu un traitement humain et même plaisant lorsqu’il était en captivité, peut-être pour illustrer la différence frappante entre le Hamas et l’État islamique (EI) et le mauvais traitement que ce dernier inflige à ses captifs, alors que de nombreuses personnes en Occident ont tendance à mettre les deux groupes dans la même catégorie.
Après pratiquement dix années sans information depuis la capture de Shalit en 2006, le public reçoit aujourd’hui de nouveaux renseignements, pour la première fois fournis par le Hamas.
À Gaza, on pense que bien que le Hamas ait ses défauts, il est tout à fait injuste de le comparer à des groupes comme l’EI. Certaines critiques à l’encontre du Hamas, diffusées sur les réseaux sociaux, tournent autour du fait qu’Israël ne traite pas les prisonniers palestiniens aussi favorablement, impliquant que le Hamas est trop tendre et conciliant.
Il se pourrait, toutefois, que la motivation du Hamas ait davantage à voir avec une manœuvre de relations publiques – le Hamas et l’EI ont tous deux une préférence pour les coups d’éclat médiatiques.
Des prisonniers israéliens à échanger ?
À la fin de la vidéo, qui dure 10 minutes, apparaissent le nom et la date de naissance d’un soldat israélien susceptible d’avoir été capturé. La vidéo montre un membre du Hamas placer une photo à côté de deux silhouettes non-identifiées, suscitant des questions sur l’identité des captifs.
La vidéo, qui a été déclarée « autorisée à être publiée par le commandant général des Brigades al-Qassam », identifie cinq membres de l’Unité de l’ombre des brigades impliqués dans la surveillance de Shalit qui ont trouvé la mort plus tard lors de différentes attaques.
Mais la vidéo comporte aussi un message explicite à l’attention d’Israël : les Brigades al-Qassam sont capables de capturer et de détenir des soldats israéliens, dans une atmosphère relativement décontractée, et Israël ne parviendra jamais à les localiser. Le message des Brigades al-Qassam semble s’opposer à la croyance palestinienne et israélienne selon laquelle Shalit aurait été détenu en sous-sol, dans l’obscurité et dans des circonstances difficiles. Au contraire, il semblerait qu’il ait eu la possibilité de se déplacer et de communiquer avec ses geôliers.
Le Hamas semblerait également envoyer un message au public israélien indiquant que des soldats sont toujours en captivité à Gaza. Plus important encore, un des messages évidents de la vidéo est que le Hamas et son Unité de l’ombre adhèrent aux règles islamiques et « traitent les prisonniers de l’ennemi avec dignité et respect en accord avec les règles islamiques, en plus de les soutenir financièrement et moralement, tout en gardant à l’esprit la façon dont l’ennemi traite les prisonniers de la résistance », ainsi que le déclare le narrateur de la vidéo.
Les médias israéliens se sont essentiellement focalisés sur les conditions sombres et inhumaines dans lesquelles Shalit aurait été emprisonné. Certains rapports israéliens ont toutefois indiqué que ce dernier avait battu ses gardiens du Hamas à plusieurs reprises au cours de sessions du jeu vidéo de football, FIFA.
Les Brigades al-Qassam suggèrent qu’elles n’ont pas été inquiétées ni dérangées pendant les cinq années de la détention de Shalit. La vidéo, en plus de rendre hommage à l’une des unités secrètes des brigades al-Qassam, vise à nourrir le soutien du peuple de Gaza en lui montrant que l’aile militaire du Hamas est capable de cacher ses prisonniers de guerre et de ne communiquer aucune information à leur sujet.
Les journaux israéliens ont interprété la vidéo de diverses manières, suggérant que celle-ci a été conçue pour faire pression sur les familles des soldats israéliens que l’on soupçonne d’être détenus par le Hamas à Gaza depuis la guerre de 2014.
L’une des scènes de la vidéo montre les rideaux d’un appartement situé à l’étage, apparemment pour suggérer qu’un otage se trouve à l’intérieur, non pas en sous-sol donc.
Les forces de sécurité israéliennes ridiculisées sur Internet
Le dossier Shalit, qui s’est achevé avec la libération de 1 047 prisonniers palestiniens, a désormais été rouvert aux publics palestinien et israélien. Les critiques que le Hamas a essuyées sont certainement moins rudes que les remarques sarcastiques faites à l’encontre des forces de sécurité israéliennes, incapables de localiser Shalit pendant les cinq années de sa captivité.
Le sarcasme parmi les Palestiniens est allé plus loin, suggérant que Shaoul Aron, un soldat israélien porté disparu, avait été vu en train d’acheter des fallafels dans l’un des fameux restaurants de Gaza. Certains Gazaouis ont poussé la plaisanterie en disant que lors de la prochaine guerre, les soldats israéliens ne rechigneraient pas à se rendre au Hamas, attirés par un barbecue gratuit, des salles de captivité bien éclairées, à l’étage, et la possibilité de jouer à des jeux vidéo de sport avec leurs ravisseurs.
Cette atmosphère de ridicule a créé une distraction par rapport aux plus grandes campagnes de dénigrement reprochant au Hamas et au Fatah les longues et fréquentes coupures d’électricité à Gaza. Le Hamas envoie de nouveaux messages à différentes audiences : un message de distraction pour maintenir le soutien en sa faveur auprès des Palestiniens moyens, un avertissement à Israël – des soldats israéliens pourraient encore être tenus captifs à Gaza – et un message à la communauté internationale – le Hamas diffère de l’EI dans son traitement des prisonniers.
Aux puissances régionales, le Hamas indique indirectement qu’il n’est pas opposé à l’idée que des médiateurs européens soient impliqués dans les négociations relatives aux prisonniers, ce qui signifie l’exclusion de certains pays arabes.
Un autre message semble être adressé par les leaders du Hamas pour booster le moral des membres du mouvement et montrer que ses dirigeants militaires contrôlent toujours le discours en vigueur.
Le timing de tout ceci demeure cependant déconcertant. Toutefois, cela ne devrait guère surprendre si le Hamas tentait désormais de maîtriser le jeu des relations publiques pour se distinguer de l’EI et probablement se rapprocher davantage de la communauté internationale en montrant qu’il dispose toujours d’un pouvoir qui ne peut être ignoré.
- Mohammed Omer est un journaliste palestino-hollandais primé basé à Gaza
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le soldat israélien Gilad Shalit à l’ambassade de France à Tel Aviv le 11 janvier 2012 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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