Le changement climatique et la sale besogne de la guerre
Imaginons que vous décidiez d’accueillir une conférence internationale dans le but déclaré de lutter contre le phénomène de la pluie dans le monde, sans tenir compte cependant de l’existence des nuages et de leur comportement. De nombreux observateurs vous accuseraient probablement d’omission volontaire.
Une critique très similaire peut valoir pour la conférence de Paris sur le climat (COP21), largement applaudie, qui s’est tenue en décembre 2015. Nous reviendrons sur les raisons dans un instant.
Présentée par le journal britannique The Guardian comme « le plus grand succès diplomatique au monde », la conférence de Paris a produit un accord sans précédent entre 195 pays visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le but de contenir le changement climatique.
Un communiqué de presse officiel de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a noté que « [pour] atteindre ces objectifs ambitieux et importants, des flux financiers appropriés seront mis en place, rendant ainsi possibles des mesures plus fortes de la part des pays en voie de développement et des pays les plus vulnérables ».
Et en effet, les engagements des pays en voie de développement ont afflué, dont beaucoup en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. La Tunisie a par exemple projeté de « réduire son intensité carbone de 41 % par rapport à 2010 », dont 13 % sous la forme d’engagement sans conditions et 28 % supplémentaires en fonction de l’aide financière étrangère.
L’Iran a provisoirement annoncé une réduction des émissions de 8 % sans conditions et de 4 % sous conditions, sachant que la levée des sanctions pertinentes ainsi que d’autres obstacles constituent des conditions supplémentaires évidentes.
Le Liban s’est engagé à réduire ses émissions de 15 % sans conditions et de 15 % en fonction de l’aide, bien que le niveau notoire de corruption du gouvernement libanais et son incapacité à mener à bien des tâches simples, telles que la collecte des ordures, semblent indiquer qu’il n’est nul besoin de remettre des médailles prématurément dans le domaine du changement climatique.
L’État d’Israël a de son côté l’intention d’ici 2030 d’« atteindre l’objectif sans conditions à l’échelle de l’économie de réduire ses émissions de gaz à effet de serre par habitant » de 26 % par rapport au niveau de 2005.
Israël a bien sûr déjà tendance à se considérer comme une oasis plutôt respectueuse de l’environnement et a été encouragé dans cette perception par diverses entités internationales ; en 2014, l’Indice de performance environnementale de l’université de Yale a attribué au pays la 39e position sur un total de 178. Toutefois, ce que ce classement n’a pas pris en considération, c’est le fait qu’Israël exporte depuis des années ses problèmes environnementaux dans les territoires palestiniens occupés.
Au-delà de déverser des déchets solides (et souvent dangereux) en Cisjordanie afin d’économiser les coûts, Israël suit également une politique par laquelle les entreprises israéliennes qui exploitent des usines sur les territoires occupés se voient octroyer des réductions fiscales et ne sont en outre pas légalement tenues de respecter les restrictions en matière d’environnement et de droit du travail imposées en Israël même. Naturellement, la pollution émise par ces usines a eu des effets néfastes sur la santé et les moyens de subsistance des Palestiniens.
Mais l’occupation semble manifestement rester en dehors du cadre des accords climatiques mondiaux. C’est le cas également de la question de l’état de guerre perpétuel de la région, dont les conséquences environnementales dévastatrices contrebalancent inévitablement tous les progrès réalisés en termes de réduction des émissions. D’où l’analogie avec la lutte contre la pluie mentionnée plus haut.
L’empreinte carbone massive de la guerre
Pas besoin d’être un génie pour comprendre que la guerre a un impact négatif sur l’atmosphère. La fabrication d’armes à grande échelle, leur exploitation à travers le monde et le carburant consommé par les avions de guerre, chars et autres véhicules de combat sont loin d’être une goutte d’eau dans l’océan de la pollution, sans parler des dommages causés à l’approvisionnement en eau et aux écosystèmes par les munitions et les fuites de pétrole.
Ainsi, même si le Moyen-Orient et ses environs en venaient comme par magie et spontanément à se débarrasser de 100 % des émissions non liées à la guerre, la population de la région n’aurait toujours que peu d’air à respirer.
La militarisation endémique et les conflits en cours de la Syrie au Yémen continueront de nuire à l’environnement ainsi qu’au corps humain, tandis que l’engagement de toute évidence institutionnalisé d’Israël pour un bellicisme high-tech prenant la forme d’avions de chasse et de drones laisse présager des retombées climatiques toujours plus fortes.
Bien sûr, une contribution considérable à la contamination a été apportée de plus loin, et les États-Unis ont joué un rôle de premier plan à cet égard. En 2009, Naomi Klein a attiré l’attention sur un rapport produit par Steve Kretzmann, directeur d’Oil Change International, sur l’enquête menée par son organisation sur les effets atmosphériques de la machine de guerre américaine.
Précisant que seules des estimations très prudentes des émissions ont été utilisées, Kretzmann a écrit que la guerre en Irak à elle seule « a engendré au moins 141 millions de tonnes d’équivalent de dioxyde de carbone entre mars 2003 et décembre 2007. Pour mettre cela en perspective, si les opérations militaires américaines en Irak étaient classées en termes d’émissions, elles représenteraient une émission de CO2 supérieure à celles de 139 pays chaque année. »
Cela confère en quelque sorte au terme de « sale guerre » un tout nouveau sens.
Penchons-nous désormais sur une dépêche publiée la même année sur le « rôle dans la catastrophe mondiale » du département américain de la Défense, écrite par Sara Flounders et sélectionnée par le célèbre groupe de surveillance des médias Project Censored parmi les 25 articles « les plus censurés » de 2009-2010.
Dans son article, Flounders souligne qu’alors que le Pentagone s’est révélé être « le plus grand consommateur institutionnel de produits pétroliers et d’énergie en général [...] [celui-ci] est complètement exempt de tout accord international sur le climat ».
L’une des raisons les plus simples à cela est que la guerre constitue un business plus lucratif que l’écologie. Et tandis que l’accord de Paris prétend « combattre le changement climatique », cet objectif est catégoriquement impossible à atteindre tant que le « combat » fait partie de l’équation.
- Marwan El Solh est un conseiller en environnement basé à Beyrouth.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un policier irakien en service à un poste de contrôle porte un masque chirurgical de protection au cours d’une forte tempête de sable, le 22 mai 2012 à Bagdad (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].