Le Binladin Group pris dans la politique d’austérité du prince saoudien
Pendant plus de six décennies, le Saoudi Binladin Group, géant saoudien de la construction, a prospéré en tant que constructeur de choix de la famille régnante des al-Saoud. Fondé en 1930 par le père d’Oussama ben Laden, l’entreprise a été le bénéficiaire de projets gigantesques, transformant des communes comme La Mecque et Médine en des villes aux mille gratte-ciels capables d’accueillir chaque année des millions de pèlerins venant des quatre coins du globe pour visiter deux des sites les plus saints de l’islam.
La relation des Ben Laden avec les al-Saoud n’a pas été ébranlée par les événements du 11 septembre 2001, Oussama ben Laden ayant été dès 1993 exclu des actionnaires de la société et répudié par sa famille.
Le premier signe de réelle difficulté est advenu avec l’effondrement d’une grue sur la Grande mosquée de la Mecque en septembre 2015. Plus de cent personnes ont perdu la vie et près de 400 autres ont été blessées dans l’accident. Bien que des vents violents aient été la principale cause, le Binladin Group a été largement tenu pour responsable. De hauts cadres de l’entreprise se sont vu refuser de quitter le pays et, encore plus dommageable, l’entreprise a reçu l’interdiction de participer à tout nouveau projet.
Mais le vrai coup de marteau a été assené par Mohammed ben Salmane, probablement l’homme le plus puissant du royaume. Il est, après tout, le vice-prince héritier d’Arabie saoudite, président de l’extrêmement influent Conseil des affaires économiques et du développement, ministre de la Défense et fils préféré du roi Salmane.
Le jeune prince est bien connu pour son attention zélée aux détails. L’examen judiciaire des comptes de divers ministères qu’il a ordonné a révélé un fait surprenant : plus de mille milliards de dollars avaient été assignés à des projets, et beaucoup sans le moindre accord contractuel. Sa solution a été catégorique et draconienne. Ainsi qu’il l’a déclaré à Bloomberg lors d’une interview accordée début avril : « Nous avons gelé [les projets] en 2015 et annulé les trois quarts de ceux qui n’avaient pas d’accords contractuels ».
Beaucoup de ces contrats avaient été conclus lorsque les prix du pétrole étaient élevés et que les largesses pour des projets grandioses pouvaient s’obtenir facilement, tout comme les pots-de-vin. Toutefois, alors que les prix du pétrole ont été revus à la baisse par les Saoudiens eux-mêmes dans une tentative de protection de leurs parts de marché, l’argent à disposition des dépenses du gouvernement s’est inexorablement raréfié. Et c’est l’industrie de la construction qui a dû faire face la première aux vents contraires de l’austérité.
Le Binladin Group, la plus grande entreprise de construction du royaume, est ainsi passé en quelques mois d’une position de privilèges inégalés à une quasi exclusion. Les premiers frappés ont été les milliers de travailleurs migrants chichement payés que la société a exploités pour bâtir sa vaste fortune.
Au lieu d’accepter sa responsabilité envers ses employés, le Binladin Group a simplement choisi de ne pas verser leurs salaires. Cela a conduit à une chose rare en Arabie saoudite : les ouvriers ont protesté devant les bureaux de Binladin. Puis brusquement, fin avril, la société a licencié 50 000 employés et leur a donné des visas de sortie permanente. Le message était clair : « Nous n’allons pas vous payer, alors allez-vous-en, et, à propos, vous ne reviendrez pas ». Mais les travailleurs ont répondu qu’ils ne partiraient pas avant d’être payés. Pour montrer leur détermination, un jour après leur licenciement, plusieurs bus de la société ont été incendiés à La Mecque.
Comment cela finira-t-il ? Chacun peut y aller de ses suppositions. Mais ne vous attendez pas à ce que le gouvernement intervienne pour aider les travailleurs, surtout pas Mohammed ben Salmane.
« J’ai des réserves maintenant, dix millions d’emplois qui sont occupés par des employés non-Saoudiens auxquels je peux avoir recours à n’importe quel moment », a-t-il d’ores et déjà prévenu.
La révolution économique qu’il vient de déclencher, intitulée Vision 2030, ne fait aucune place aux travailleurs expatriés. Il veut s’en débarrasser. Et son manque de compassion s’étend aux sociétés qui les emploient.
Évoquant Saoudi Oger, une autre entreprise de construction qui faisait autrefois l’objet de toutes les attentions et qui se trouve désormais en difficulté, Mohammed ben Salmane a déclaré : « Saoudi Oger ne peut pas couvrir ses propres coûts de main d’œuvre. Ce n’est pas notre problème, c’est celui de Saoudi Oger. »
La même logique impitoyable s’applique au Binladin Group. Et dans un pays où les syndicats sont inexistants et où un bilan effroyable en matière d’exploitation des travailleurs migrants n’a fait l’objet d’aucune remise en question depuis des décennies, le vice-prince héritier peut faire pratiquement tout ce qu’il veut. Or, s’il a en effet dix millions d’emplois à sa disposition, la question plus importante demeure : les Saoudiens, habitués depuis longtemps à un style de vie confortable, seront-ils prêts, désireux et capables de les pourvoir ?
Sans cela, la révolution économique de Mohammed ben Salmane est perdue d’avance. Mais je doute que quiconque au sein de la maison des al-Saoud ait le courage de lui murmurer à l’oreille : « Méfie-toi de ce que tu désires ».
- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient et un spécialiste des pays du Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @BillLaw49.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : logo du Saudi Binladin Group sur la façade de son siège à Djeddah le 20 septembre 2001 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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