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Une guerre saoudienne qui tourne mal

Ce qui a débuté comme une aventure militaire pour Mohammed ben Salmane, le fils du roi saoudien et plus jeune ministre de la Défense au monde, pourrait se transformer en un fiasco majeur

Cela avait sûrement l’air d’une idée géniale à l’époque. Le jeune et ambitieux fils d’un roi âgé lançant une guerre contre des rebelles dans un pays du sud en crise. 

Ignorez le fait que la tribu que vous êtes en train d’attaquer est en fait un tampon utile contre une menace encore plus grande. Ignorez que cette tribu a infligé une sévère raclée aux forces de votre pays juste quelques semaines auparavant. Et ignorez l’inquiétude de vos vieux amis, car votre heure de gloire est venue et vous venez juste d’être nommé ministre de la Défense.

Energisé par de nouvelles armes, à hauteur de plusieurs milliards de dollars, vous devez faire face à un ancien rival puissant et devez prouver votre force de caractère tant à lui qu’à vos partisans. Partez en guerre, jeune homme, partez en guerre et remportez une victoire rapide et décisive qui confirmera votre stature de grand chef militaire.

Ainsi, lorsque Mohammed ben Salmane, le sixièmes fils du roi d’Arabie saoudite, connu pour être son favori, a lancé l’opération « Tempête décisive » le 26 mars dernier et orchestré une guerre aérienne contre les Houthis au Yémen, il l’a fait avec sans aucun doute la conviction d’une victoire facile.

Ce serait du gâteau, d’autant que les Egyptiens enverraient sûrement des troupes sur le terrain ou, s’ils ne le faisaient pas, les Pakistanais le feraient à leur place. Après tout, ces deux pays ont reçu des milliards de dollars en aide et prêts à taux zéro de la part des Saoudiens pendant des années.

Cependant, les Egyptiens ont montré qu’ils avaient une bonne mémoire. Dans les années 60, 20 000 de leurs soldats avaient péri au Yémen dans une guerre ensuite décrite comme le Vietnam égyptien. 

Pour sa part, le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif qui, on le dit souvent, doit sa vie aux Saoudiens, a astucieusement référé la question au parlement, qui l’a ensuite unanimement rejetée. Il ne fait pas le moindre doute que les députés pakistanais étaient agacés par le fait que les Saoudiens avaient précédemment et de manière quelque peu pompeuse annoncé que le Pakistan avait rejoint la mêlée sans même prendre la peine de leur demander leur avis.

Mais la campagne de bombardement menée par les Saoudiens, qui était censée rompre la résistance des Houthis et les expulser hors des villes, semble avoir échoué misérablement. Malgré les déclarations de la coalition, les Houthis demeurent aux commandes de la capitale Sanaa et de la majeure partie de la ville stratégique d’Aden, au sud. 

Et si les Saoudiens peuvent se vanter d’avoir remporté un certain succès en ayant détruit des sites de missiles et des dépôts d’armes, même cela a mal tourné lorsqu’ils ont bombardé une base de missiles Scud à la périphérie de Sanaa le 20 avril. L’explosion massive aurait soufflé les fenêtres des bâtiments sur un kilomètre et gravement endommagé l’ambassade indonésienne, blessant trois employés, ce qui a valu aux Saoudiens une sévère remontrance de la part du pays musulman le plus peuplé du monde.

Jusqu’alors, les porte-paroles de Mohammed ben Salmane, y compris l’ambassadeur saoudien aux Etats-Unis, Adel al-Jubeir, avaient jovialement écarté les préoccupations croissantes quant au nombre de victimes civiles causées par les bombardements aériens sur des hôpitaux, des écoles, des aéroports et des mosquées, soutenant que les Houthis s’en servaient pour stocker leurs armes.

Dans un rapport publié la semaine dernière, l’Organisation mondiale de la santé mettait en garde contre un effondrement des services de santé yéménites et indiquait que les établissements sanitaires avaient comptabilisé 944 morts et 3 487 blessés, pour l’essentiel des civils.

Si les Etats-Unis avaient d’abord soutenu la campagne aérienne, quoi qu’avec une certaine réticence, fournissant aux Saoudiens et à leurs alliés des informations sur les cibles à atteindre, ils ont commencé à avoir vraiment la frousse quand le nombre de victimes civiles s’est mis à grimper. Et leur alarme s’est encore accrue lorsque qu’al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) a remporté des victoires considérables dans le sud du Yémen. Le groupe a saisi des infrastructures vitales dans la vile portuaire de Mukalla et s’est emparé de bases militaires face à une armée yéménite défaillante.

Saad al-Faqih, un critique prudent du régime saoudien vivant en exil à Londres et disant disposer de contacts au sein des services de sécurité et de l’armée saoudiens, a indiqué à MEE qu’AQPA avait contracté des alliances avec des tribus locales, un peu comme ce que l’Etat islamique avait fait l’année dernière pour s’assurer la prise de Mossoul, la seconde plus grande ville d’Irak.

« Al-Qaïda a capturé d’immenses dépôts secrets d’armes et de munitions, il a aussi fait effraction dans des banques et pris l’argent. Le groupe a de bonnes relations avec les tribus et [les] a impressionnées en montrant sa force. »

Tout ceci a mis les Etats-Unis particulièrement mal à l’aise. Et dans la mesure où la cible ultime d’AQPA est la maison des Saoud, cela devrait aussi mettre mal à l’aise la famille royale saoudienne. Après tout, les Houthis, bien que soutenus par l’Iran, sont, faute de mieux, un tampon utile.

Saad al-Faqih affirme que des sources au sein de l’armée lui ont indiqué que les Houthis sont en train de se regrouper en masse à la frontière avec l’Arabie saoudite et pourraient être sur le point de lancer une invasion, ainsi qu’ils l’ont fait avec un certain succès en 2009 quand ils ont capturé la ville de Jizan, à 60 kilomètres à l’intérieur de la frontière saoudienne. Selon les rumeurs, ils se seraient retirés seulement après le versement par Riyad de plus de 30 milliards de dollars.

« Si cela se produit, si les Houthis pénètrent en Arabie saoudite, ce sera un énorme embarras pour Mohammed ben Salmane et ses partisans », a déclaré Faqih.

Ceci, à son tour, renforcerait la position du ministre de l’Intérieur et vice dauphin Mohammed ben Nayef. Les deux mènent discrètement une lute pour le pouvoir depuis la mort du roi Abdallah. Jusqu’au commencement de la guerre, c’était Mohammed ben Salmane qui avait le dessus. Ce n’est plus vraiment le cas.

Les Saoudiens prétendent que la totalité des objectifs de leur campagne aérienne a été atteinte et que l’opération militaire sera remplacée par un projet essentiellement humanitaire dénommé opération « Restaurer l’espoir ». Cela est tellement hypocrite que l’on pourrait en rire, si ce n’était pour les nombreuses victimes civiles et les infrastructures détruites d’un pays parmi les plus pauvres au monde.

En effet, moins de vingt-quatre heures après avoir annoncé la fin de la campagne de bombardements aériens, les Saoudiens ont relancé la guerre contre les Houthis qui, visiblement peu impressionnés, ont continué leur progression vers la ville septentrionale de Taïz.

Il apparaît ainsi que le jeune guerrier intrépide Mohammed ben Salmane – qui, durant les premiers jours de la campagne, s’était rendu particulièrement disponible pour les séances photo – a été rattrapé par la réalité, laissant à ses subalternes le soin de justifier la dernière bourde d’une guerre qui, selon les allégations peu rassurantes de Saad al-Faqih, n’a jusqu’à présent qu’un seul vainqueur : al-Qaïda.

- Bill Law est un journaliste lauréat du prix Sony. Il a rejoint la BBC en 1995 et produit depuis 2002 un grand nombre de reportages sur le Moyen-Orient. Il s'est rendu à de nombreuses reprises au royaume d'Arabie saoudite. En 2003, il a été l'un des premiers journalistes à couvrir les débuts de l'insurrection qui a englouti l'Irak. Son documentaire, « The Gulf: Armed & Dangerous », diffusé fin 2010, a anticipé les révolutions qui ont pris la forme du Printemps arabe. Il a ensuite couvert les soulèvements en Egypte, en Libye et à Bahreïn. Il a également produit des reportages sur l’Afghanistan et le Pakistan. Avant de quitter la BBC en avril 2014, Bill Law y officiait en tant qu'analyste spécialiste du Golfe. Aujourd'hui journaliste freelance, il se concentre sur le Golfe.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le ministre saoudien de la Défense Mohammed ben Salmane ben Abdel Aziz et le vice dauphin et ministre de l’Intérieur Mohammed ben Nayef ben Abdel Aziz discutent des plans militaires avec des officiers des forces aériennes saoudiennes (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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