L’Algérie contient l’EI mais voit AQMI se redéployer
ALGER – « C’est du jamais vu. Depuis les années 90 [période de la guerre civile], jamais l’Algérie n’avait saisi autant d’armement ». L’expert algérien des questions de défense et animateur du blog Menadefense, Akram Kharief, est le premier à avoir attiré l’attention sur les communiqués du ministère de la Défense nationale. Depuis le début de l’année, pas une semaine ne se passe sans que l’armée algérienne n’annonce « une découverte de cache d’armes » avec « saisie de munitions ».
Une tendance « inquiétante si on regarde les quantités et le type d’armes », affirme le spécialiste à Middle East Eye : du mortier (pour bombarder des bâtiments ou des regroupements de troupes), des fusils mitrailleurs et des armes d’assaut par dizaines, des canons anti-aériens (pour contrer des hélicoptères ou des bombardiers à basse altitude), des lance-roquettes et des lance-flammes (pour détruire des véhicules blindés et des positions fortifiées).
Le point commun de ces saisies d’armes lourdes : toutes ont lieu dans la moitié sud de l’Algérie, dans les régions frontalières avec la Tunisie, la Libye ou le Mali. Les autorités, inquiètes depuis la chute de Kadhafi en 2011 de voir les stocks d’armes de l’ex-guide libyen tomber entre les mains des groupes armés, s’attendaient à un tel scénario. Le renforcement de la surveillance a permis depuis trois ans aux gendarmes et soldats algériens de récupérer une partie de cet arsenal, dont des lance-roquettes anti-char (pris au départ pour des Stinger), mais aussi des armes utilisées dans les conflits au Tchad et au Soudan.
Le risque, c’est que les groupes armés ne s’en servent pour alimenter les maquis et mener des opérations en Algérie. « La dernière saisie, à El Oued, en avril dernier, aurait pu équiper six à huit sections d’une vingtaine d’hommes (soit au total environ 200) avec chacune un canon anti-aérien, un mortier, un lance-roquettes, plusieurs fusils mitrailleurs et au moins cinq 4x4 », souligne encore Akram Kharief.
Redéploiement vers le Sahel
À quels groupes ces armes profitent-elles ? À ceux qui ont beaucoup d’argent, en particulier al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Et cette circulation d’armes appuie l’hypothèse d’une nouvelle stratégie de la part de la filiale maghrébine d’al-Qaïda : celle d’un redéploiement depuis l’Algérie vers le Sahel et le nord du Mali en particulier. L’organisation tente d’échapper à la pression de l’armée algérienne sur ses maquis du nord et de compenser une défection de ses cadres au profit du groupe État islamique (EI).
« Les attaques de la plage de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire [le 13 mars, 19 morts], contre le restaurant Cappuccino et l’hôtel Splendid de Ouagadougou au Burkina-Faso [le 15 janvier, 30 morts] et contre l’hôtel Radisson Blu de Bamako au Mali [20 novembre, 22 morts] ont toutes été revendiquées par des groupes affiliés à AQMI », rappelle un cadre algérien de la lutte anti-terroriste à MEE.
« L’organisation a absolument besoin de contrer l’influence d’al-Baghdadi [dirigeant de l’EI]. On sait par exemple qu’au nord du Mali, l’État islamique arrive à recruter dans les tribus arabes mais aussi chez les Touaregs. » Un territoire où il est encore facile de se déplacer, comparé à l’Algérie où l’armée assène parfois de gros coups à AQMI.
En mars, l’organisation a par exemple perdu un de ses plus anciens émirs dans une opération militaire algérienne près d’El Oued (à proximité de la frontière tunisienne). Kamel Arabiya, surnommé Abou Hatim, était un vétéran d’Afghanistan, comme Mokhtar Belmokhtar, et dirigeait un groupe important, la katiba (unité) Feth el-Moubine.
« Sa zone d’influence s’étend de Tébessa à El Oued en passant par Biskra. Elle sert donc de passerelle pour les djihadistes en provenance du Sahara à destination du nord de l’Algérie ou de la Tunisie, vers le mont Chaambi », explique à MEE Mohamed Ben Ahmed, journaliste spécialiste des questions de terrorisme pour le quotidien arabophone El Khabar.
Plus influent que l’émir d’AQMI
Ce qui n’exclut pas des tentatives d’attaque à prendre au sérieux, comme celle du 19 mars dernier contre la base de Khrechba, troisième plus grand champ gazier d’Algérie, près d’El Ménéa dans le sud. Une attaque à la roquette qui n’a pas fait de victimes mais a tout de même mobilisé 2 000 militaires, des blindés, des hélicoptères et a entraîné l’évacuation du personnel étranger. Revendiquée par AQMI, qui a déclaré vouloir cibler les compagnies BP et Statoil, l’opération aurait, selon des sources sécuritaires algériennes, été commanditée par Djamel Okacha, alias Yahia Abou al-Hammam, l’émir d’AQMI dans le Sahara.
Un homme que les Algériens soupçonnent de se cacher au nord du Mali et d’être aujourd’hui plus influent qu’Abdelmalmek Droukdel (l’émir d’AQMI). « Au point qu’on le pense maintenant à la tête de plus de 700 hommes, soit les deux-tiers des forces d’AQMI en incluant les escadrons d’al-Mourabitoun, le groupe de Mokhtar Belmokhtar. Ce dernier est pour l’instant condamné à limiter ses communications et ses déplacements pour échapper aux militaires français, américains mais aussi à l’EI, qui cherche à l’éliminer », résume une source militaire algérienne à MEE.
La concurrence est rude en effet entre les deux groupes, AQMI cherchant à monter des opérations aussi spectaculaires que possible, en général contre des intérêts étrangers en Afrique, pour s’assurer un maximum de médiatisation.
L’expansion de l’EI jugulée
Quant aux groupes se revendiquant de l’État islamique, depuis que l’armée algérienne a tué le noyau dur de la katiba Jund al-Khilafa (Les Soldats du Califat, responsables de l’enlèvement et de l’assassinat de l’otage français Hervé Gourdel en septembre 2014), les pro-Baghdadi avancent désorganisés et, eux aussi, sous la pression des forces de sécurité algériennes.
Fin avril, l’armée a arrêté à Illizi, près de la frontière avec la Libye, un certain Talbi Moneem, dit Abou Ahmed, responsable des finances de la wilaya (province) al-Djazaïr (nom donné par l’EI à l’ensemble de ses cellules dormantes urbaines et sections armées actives dans les maquis algériens). Deux semaines plus tôt, c’était Abdelkhalek Harzi, ex-émir de la katiba al-Forkane (une des brigades d’AQMI) devenu pro-EI, qui était tué dans une embuscade tendue par les militaires alors qu’il tentait de s’infiltrer en Tunisie.
Les ambitions du groupe État islamique en Algérie sont claires. L’an dernier, deux Algériens, Abou Hafs al-Djazaïri et Abou al-Bara al-Djazaïri, ont juré à l’armée et au gouvernement algériens « une guerre de long terme sur leur route vers l’Andalousie ». Et en février, un chef de la Force de dissuasion spéciale, une milice salafiste adoubée par le Congrès général national libyen et chargée d’éradiquer les cellules de l’EI à Tripoli, en Libye, affirmait sur la base d’interrogatoires de prisonniers que l’organisation planifiait « d’étendre ses opérations au Maroc et en Algérie ».
Selon des sources sécuritaires, Abou Bakr al-Baghdadi aurait confié à trois Algériens partis combattre en Syrie la mission de revenir dans leur pays pour « réactiver » la wilaya algérienne.
Pour l’instant, et en parallèle des opérations militaires, les services de renseignement algériens parviennent à juguler leur expansion – les membres de Daech ne seraient pas plus d’une centaine en Algérie – grâce notamment à une traque sur les réseaux sociaux et une coopération étroite avec les Tunisiens, selon des sources proches du dossier.
Au début de l’année, une cellule d’une trentaine de personnes, le deuxième plus important réseau de l’EI en Algérie, a été démantelée près de Boumerdès, à l’est de la capitale, dont Abou Mouram al-Djazaïri, présenté comme le mufti.
Dans cette guerre asymétrique, pour espérer freiner la prolifération des armes et anticiper les attaques, l’Algérie n’a d’autre option que de mobiliser ses forces armées aux frontières (50 000 militaires à la frontière avec le Mali et le Niger, 50 000 autres à la frontière avec la Libye et jusqu’à 25 000 à la frontière avec la Tunisie) et ses services de renseignement.
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