Hervé Gourdel : un an après, la montagne a été « nettoyée »
Parc national du Djurdjura, Algérie - La petite route de montagne serpente au bord du ravin, laissant parfois échapper quelques cailloux aussitôt avalés par le vide. Tout autour, des chaînes de montagnes rocheuses, entre lesquelles les aigles se laissent planer, découpent le ciel. Au détour d’un virage, un troupeau de vaches profite de la verdure de l’été et de l’air frais en altitude. Bientôt, elles redescendront plus près des villages.
« De décembre à avril, cette route est complètement coupée par la neige », explique Amar à Middle East Eye. En semaine, ce jeune Algérien est journaliste à Bouira. Le week-end, il prend sa voiture et monte dans le parc naturel du Djurdjura, au cœur de la Kabylie, pour « marcher et s’aérer ».
Avec une poignée d’amis, il rêve de baptiser un belvédère du nom d’Hervé Gourdel, l’otage français enlevé et assassiné le 23 septembre dernier par les Soldats du Califat, un groupe algérien se revendiquant de l’État islamique (EI), et d’organiser à la fin du mois une randonnée sur les lieux où le guide de haute-montagne a marché.
Sur cette petite route nationale qui serpente au bord du ravin, il contemple en silence le décor abrupt de pics dégarnis et de forêts, le village d’Aït Ouabane, niché au fond d’une vallée, et le chemin qui conduit à la grotte du Macchabée et à Lala Khadidja, le plus haut sommet du parc, à 2 308 mètres.
C’est ici, à l’intersection de Tizi n’Kouilal, que le touriste français originaire de Nice a disparu, emporté par les Soldats du Califat. Selon le témoignage d’un de ses cinq accompagnateurs algériens, recueilli par un quotidien algérien arabophone, le groupe de Gourdel avait prévu « de passer deux jours à définir le périmètre de randonnée, deux autres jours de marche, et encore deux autres pour découvrir les grottes de la région, très réputées ».
Le Niçois, qui n’était pas revenu en Algérie depuis 1989, avait enfin planifié de consacrer ses deux derniers jours à la visite d’Alger. Le dimanche, la pluie ayant perturbé ses plans, son groupe avait pris la direction de la forêt d’Aït Ouabane.
La forêt « nettoyée par l’armée »
C’est là, dans cet impénétrable manteau de cèdres et de sapins, que les hommes d’Abdelmalek Gouri, l’émir des Soldats du Califat tué en décembre 2014 par l’armée, ont filmé cette vidéo montrant une trentaine de djihadistes algériens, certains à visage découvert, armés, se congratulant pour leur allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’EI. C’est aussi dans cette zone que les militaires algériens ont trouvé leur campement, une casemate (cachette) remplie d’armes et de vivres.
« Aujourd’hui, les chemins de randonnée sont complètement sécurisés. La forêt a été nettoyée par l’armée », résume Amar sur un ton rassurant. De part et d’autre des montagnes, il n’est en effet pas rare de croiser des tentes de campeurs ou des familles en pique-nique. Sur le stade abandonné, où l’automne dernier, les militaires avaient installé leur base, des chevaux promènent des enfants et des camionnettes proposent des gaufres et des boissons fraîches.
Mohand, un « patriote » (civil armé par les autorités pour lutter contre le terrorisme dans les années 90), se dit plus sceptique. « On ne peut pas savoir si tous les terroristes ont été tués. La forêt est trop grande et trop dense », affirme-t-il à MEE. « Entre Tizi Ouzou et Bouira, un petit groupe affilié au groupe EI est toujours actif. Il est d’ailleurs à l’origine de l’attaque contre une brigade de la police au centre-ville de Bouira en juillet dernier. »
« Rien n’a changé »
Quelques kilomètres plus bas, se trouve le complexe touristique de la station de Tikjda et quelques chalets, dont celui où Hervé Gourdel a passé la nuit. Deux hôtels, vestiges d’hôtels publics où le temps semble s’être arrêté, accueillent des familles algériennes et des sportifs.
« Depuis un an, rien n’a changé », assure un moniteur du complexe, d’un ton hésitant. « Des touristes étrangers, il y en a oui. » Et puis, parce qu’on insiste, il concède : « Enfin, des Tunisiens, principalement. » À Tikjda, personne n’aime dire que les Européens ne viennent quasiment plus.
Hocine el-Fenri, de l’association Mimouna, qui organise des activités en montagne, confie franchement à MEE que le gîte ouvert et tenu à bout de bras par les membres de l’association est désormais fermé, « faute de touristes étrangers ».
« Ceux qui ont des passeports européens sont des Franco-Algériens. Des gens qui viennent parce que des amis leur ont conseillé une rando dans le Djurdjura. Je connais des gens venus camper cet été alors qu’ils n’avaient pas mis les pieds dans le parc depuis les années 90 », témoigne Bachir pour qui, de toutes manières, il y a beaucoup trop de monde pour l’environnement si fragile de ce parc naturel, classé réserve de biosphère.
À Takhlidjt, le village où après quatre mois de recherches, le corps d’Hervé Gourdel a été retrouvé, Achour, président du comité du village, affirme toutefois à MEE que tout le monde « vit comme d’habitude ». « Il y a quelques jours, des cousins sont venus pour chasser le sanglier. Une entreprise est même en train d’aménager un chemin agricole près de l’endroit où l’otage était enterré, entre les vergers et la rivière. »
Deux mondes
Bachir se souvient des efforts déployés pour retrouver la dépouille d’Hervé Gourdel : « Les ratissages ont duré de septembre à janvier. Près de 3 000 militaires ont tout retourné, pierre par pierre, arbre par arbre, rocher par rocher. Bien sûr, le dispositif n’est pas imperméable et il y a tellement de points d’accès que des terroristes sont peut-être revenus. Mais il faut reconnaître que des efforts conséquents ont été faits pour sécuriser la zone. »
Des efforts qui se poursuivent encore, un an après. Le col de Tizi n’Kouilal n’a plus rien d’un coin sauvage. À sa gauche, sur une colline de terre ocre, un militaire accroupi observe avec des jumelles les voitures et les piétons qui approchent. Près de lui, des tours de guet en béton et d’autres militaires armés.
« Cet hiver, la neige empêchant quiconque de passer, ils sont restés bloqués une semaine sans nourriture », raconte Amar. Au croisement, d’autres militaires sont encore postés près de la plaque qui indique « Tizi n’Kouilal ». Un camion de chantier surgit soudain au milieu de plaques de tôles. Un poste permanent de sécurité est en cours de construction.
« À Iferhounene aussi, à moins de 10 kilomètres du village où a été retrouvé le corps d’Hervé Gourdel en janvier dernier, les autorités sont en train de reconstruire la caserne détruite après les événements de 2001 [émeutes en Kabylie suite auxquelles la gendarmerie avait quitté la région]. Dans toute la zone, dix-sept casernes vont être rouvertes », précise Bouzid, un habitant du village.
Selon les associations, toute randonnée doit faire l’objet d’une autorisation de la part des services de sécurité. « Enfin, ce n’est pas vraiment une autorisation, c’est juste pour informer », nuance Kaci, organisateur de randonnées.
Bachir précise : « Les gens savent que le maillage sécuritaire a été renforcé ». « C’est vrai, Tizi n’Kouilal n’est qu’à 10 minutes en voiture du complexe de Tikjda. Mais je reste persuadé que les accompagnateurs de Gourdel ont été imprudents. Les gens habitués aux pérégrinations dans ce coin savent que cette petite route marque une frontière. Une frontière entre deux mondes différents. »
Selon un garde communal toujours mobilisé pour aider les militaires dans le parc du Djurdjura, il resterait en effet « un groupe de sept terroristes se réclamant de l’État islamique » dans les environs.
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