Londres a mis des dizaines de vies civiles en danger pour cibler « Ali le chimique » à Bassora
Des dirigeants militaires et politiques britanniques ont approuvé une attaque dans le cadre de laquelle tuer et blesser plusieurs des civils irakiens était contrebalancé par la mort d’une personnalité baasiste de premier plan, a révélé le rapport Chilcot sur la guerre en Irak.
L’attaque, qui a eu lieu en avril 2003 à Bassora, a tué plus d’une douzaine de civils, dont dix membres d’une même famille. Mais elle n’a pas abouti à la mort de la cible, Ali Hassan al-Majid, également connu sous le nom d’« Ali le chimique ».
Le rapport Chilcot, publié ce mercredi, a en outre révélé des détails opérationnels de la façon dont les dirigeants britanniques ont calculé qu’un chiffre allant jusqu’à 51 civils morts ou blessés aurait valu l’« avantage » de l’élimination d’al-Majid.
Dans la section 17, « Victimes civiles », le rapport Chilcot indique que le 4 avril, l’armée britannique a entrepris une « évaluation rapide des dommages collatéraux », à l’issue de laquelle il a été suggéré qu’à l’exclusion des cibles prévues, sept maisons pouvaient être endommagées et qu’il pouvait y avoir entre 39 et 51 victimes civiles en fonction du moment de la journée.Le commandant militaire en charge des opérations, l’Air Marshal Brian Burridge, a conseillé Geoff Hoon, alors secrétaire d’État à la Défense : « Les victimes civiles attendues [...] ne seraient pas excessives par rapport à l’avantage militaire direct et concret [...] L’attaque est donc susceptible d’être évaluée selon un rapport de proportionnalité. »
Le leadership britannique a ensuite informé le commandement militaire américain, le CENTCOM, qui a donné son accord pour que l’attaque ait lieu le 5 avril, mais a demandé la réduction des équipements en bombes de 454 kg pour utiliser exclusivement des bombes de 227 kg, afin de réduire les dommages collatéraux.
Finalement, à 5 heures 30, les forces américaines ont largué sept bombes sur la cible après avoir reçu l’information qu’al-Majid se trouvait dans la zone, a rapporté Chilcot.
Majid a échappé à l’attaque et s’en est sorti indemne, mais Abed Hassan Hamoudi, un habitant de Bassora, a affirmé plus tard que dix membres de sa famille, dont quatre enfants, avaient été tués. Selon un voisin, sept autres enfants avaient été tués.
Hamoudi a déclaré plus tard dans une lettre adressée au « chef des forces de la coalition » à Bassora qu’il entendait réclamer une indemnisation pour la mort des membres de sa famille et qu’il avait autorisé son fils Sudad à intenter une action en justice.
Un responsable du ministère de la Défense a ensuite fourni à Adam Ingram, alors secrétaire d’État britannique chargé des forces armées, un projet de réponse aux enquêtes de Sudad au sujet du bombardement, dans lequel il a décrit la mort de ces personnes comme une « conséquence inévitable » des frappes.
« Conformément aux opérations précédentes, nous ne prévoyons pas de proposer une indemnisation pour des dommages résultant d’un ciblage légitime au cours d’hostilités », a ajouté le responsable.
Hamoudi vit aujourd’hui avec les membres restants de la famille à Manchester après avoir fui l’Irak d’après-guerre.
D’après le rapport Chilcot, une première évaluation des dommages a indiqué qu’« aucun dommage collatéral [n’avait] été constaté » après l’attaque.
Un autre rapport a précisé que la résidence ciblée avait été complètement détruite, mais que Majid avait probablement réussi à s’échapper. L’attaque avait endommagé d’autres propriétés et causé des pertes civiles, était-il indiqué.
Plus tard, Ingram a appris que les allégations de Hamoudi étaient probablement vraies dans la mesure où deux des sept bombes avaient manqué leur cible.
Dans une interview pour la BBC en 2016, Hamoudi a déclaré que le président américain George Bush et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair devaient assumer leur responsabilité pour le sort des Irakiens et qu’ils devaient être « traduits en justice et jugés ».
« Les gens de Bassora ont désormais commencé à dire qu’ils étaient mieux à l’époque de Saddam », a-t-il ajouté.
La publication du rapport Chilcot ce mercredi après une attente de sept ans a suscité une reprise de l’examen des mesures prises par le Royaume-Uni pendant la guerre et en vue de celle-ci.
Certains députés britanniques ont appelé à ce que Blair soit « inculpé » et réponde d’accusations criminelles pour avoir trompé le gouvernement et le public britannique au sujet de la guerre.
Iraq Body Count (IBC), une organisation dirigée par des bénévoles qui comptabilise les décès résultant de la guerre depuis 2003, a déclaré ce jeudi que le rapport était « plus décevant que jamais » pour les Irakiens qui « auraient pu espérer une enquête officielle détaillant enfin toute la mesure de leurs souffrances et des besoins qui en découlent ».
Le rapport, a déclaré l'organisation, montre que le gouvernement du Royaume-Uni voyait les victimes civiles « non pas comme une chose pour laquelle les victimes de la violence armée et leurs familles peuvent raisonnablement espérer une réponse, mais comme un outil politique dans le "jeu des reproches" en temps de guerre ».
IBC a exhorté le gouvernement à travailler avec toutes les parties, en particulier les Irakiens, « afin de parvenir à un dossier public complet et convenablement respectueux répertoriant les victimes de l'invasion à ce jour ».
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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