Il nous faut plus d’islam pour contrer le prétendu « État islamique »
Il n’y a pas beaucoup d’emplois pour lesquels je me serais porté volontaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Le pire de tous aurait été celui de bombardier britannique, une mission qui garantissait une mort presque certaine. Seulement 12 % des bombardiers britanniques survivaient à 50 missions et plus de 50 % d’entre eux ont rejoint leur créateur avant d’avoir effectué à peine dix sorties.
Ce taux de survie aurait été beaucoup plus faible sans le statisticien britannique Abraham Wald, qui a été chargé de déterminer comment optimiser l’armature du bombardier Lancaster.
Wald a analysé les dommages infligés par les installations anti-aériennes allemandes aux avions rentrés de mission. Il a déterminé qu’une meilleure armature était nécessaire aux endroits où il n’y avait aucun signe de dommages. « Attendez, quoi ? », a répondu la Royal Air Force britannique. Wald a répondu que dans la mesure où il ne pouvait pas analyser les avions qui avaient été abattus, il était statistiquement probable que les avions qui subsistaient étaient frappés là où ceux qui avaient été abattus ne l’avaient pas été.
La morale de l’histoire est la suivante : les meilleures solutions à certains des problèmes les plus pressants sont souvent contre-intuitives.
C’est une leçon que nous devrions également appliquer aux efforts que nous déployons pour lutter contre le terrorisme ; pourtant, quinze ans après les attentats du 11 septembre 2001, les stratégies américaines et européennes de lutte contre le terrorisme pourraient encore être décrites comme étant réactionnaires plutôt que méthodiques. Et l’attentat perpétré la semaine dernière à Nice devrait nous donner une raison supplémentaire de marquer une pause.
Alors que les stratégies de lutte contre le terrorisme impliquent un mélange de puissance dure et douce, les trois décennies consécutives de bombardements au Moyen-Orient et en Asie centrale forment sans doute la preuve dont nous avons besoin pour nous rendre à l’évidence : nous ne pouvons pas accéder à la paix et à la sécurité en bombardant.
En tant que tels, nos efforts pour vaincre le terrorisme « islamique » devraient plus évoluer vers la contre-insurrection que vers la lutte contre le terrorisme. Nous devons gagner les cœurs et les esprits et nous devons défendre la « zone grise » de coexistence entre les musulmans et l’Occident, une zone de coexistence que le groupe État islamique vise désespérément à dissoudre pour forcer ainsi les musulmans européens et américains à choisir entre les pays occidentaux qui trouvent les musulmans indésirables et un pseudo-califat.
Depuis le 11 septembre, cependant, les gouvernements occidentaux ont fait tout leur possible pour rendre des groupes terroristes comme al-Qaïda et l’État islamique plus attrayants.
Nous avons infiltré des mosquées, élargi la surveillance des communautés musulmanes, mis en œuvre des programmes de surveillance de communautés financés par les gouvernements qui transforment les enseignants scolaires en informateurs des agences de renseignement (« Prevent » au Royaume-Uni), adopté des lois anti-charia motivées par l’islamophobie, tandis que des personnalités politiques de droite ont plaidé en faveur de badges d’identification des musulmans, de patrouilles dans les quartiers musulmans et même de camps d’internement.
Au-delà de la législation et de la politique de lutte contre le terrorisme, des têtes parlantes et des commentateurs d’extrême-droite ont diabolisé les musulmans et l’islam pour faire valoir que les musulmans sont incompatibles avec les valeurs occidentales.
Au cours des quinze dernières années, le message envoyé aux musulmans en Occident a été clair : nous voulons moins d’islam, donc nous voulons moins de gens comme vous.
Mais la solution contre-intuitive à notre problème de terrorisme se trouve ici : il nous faut plus d’islam. Plus d’islam nous protégera contre ceux qui pourraient imiter les récents attentats de Paris, Bruxelles, Orlando et désormais Nice.
Plus d’islam signifie plus de mosquées, plus de voix musulmanes à la télévision, plus de musulmans élus à des postes politiques et moins de lois qui limitent l’expression religieuse tolérable.
Une nouvelle étude cruciale de la radicalisation par les experts de l’État islamique Will McCants et Chris Meserole corrobore exactement l’importance de l’intégration des musulmans dans les sociétés occidentales pour vaincre la menace terroriste actuelle. À l’aide de données compilées sur chaque combattant étranger connu qui se soit rendu en Syrie au cours de la période de 2011 à 2014 et d’une variété de sous-ensembles de données comprenant des analyses sur le pays quitté par chaque combattant étranger pour partir en Syrie, les auteurs de l’étude ont constaté que les lois ultra-laïques créent instantanément des terroristes.
Les trois pays qui ont envoyé le plus de combattants à l’État islamique parmi les pays qui ne bordent pas la zone de conflit – à savoir la France, la Belgique et la Tunisie –, ont tous adopté une variété de projets de loi qui interdisent ou restreignent le port d’habits islamiques, notamment le voile et le foulard.
« Ce qui importe le plus selon nous n’est pas le projet de loi ou la loi en soi, mais le discours politique autour de cela, en particulier la façon dont cela accentue pendant un certain temps les conceptions populaires selon lesquelles il n’est pas possible d’avoir à la fois une identité nationaliste occidentale ou laïque et une identité musulmane », explique Meserole.
Les assaillants de Paris, Bruxelles, Orlando et Nice n’ont pas été radicalisés sur les champs de bataille étrangers. Ils ont été radicalisés chez eux, en France, en Belgique et aux États-Unis. En outre, aucun d’entre eux n’était issu d’un milieu très religieux. Tous étaient les « fruits amers de l’aliénation ». Tous étaient les produits de communautés défavorisées qui font face à un taux de chômage ridiculement élevé et à un taux encore plus élevé de surveillance policière et d’incarcération.
L’assaillant de Nice a été décrit comme un individu « non religieux » qui préfère « le porc, l’alcool et la drogue » à la foi de ses parents. Bien que nous ne connaissions pas encore ses motivations ni ses allégeances, il est raisonnable de supposer que l’idéologie religieuse n’avait rien à voir avec son accès soudain de violence indicible.
En 2008, l’agence de renseignement britannique, le MI5, a fait l’observation suivante, décrite par The Guardian :
« Loin d’être des fanatiques religieux, un grand nombre d’individus impliqués dans le terrorisme ne pratiquent pas leur foi régulièrement. Beaucoup manquent d’alphabétisation religieuse et pourraient en réalité être considérés comme des novices religieux. Très peu d’entre eux ont été éduqués dans des foyers fortement religieux et la proportion moyenne de convertis est plus élevée que la moyenne. Certains prennent des drogues, consomment de l’alcool et fréquentent des prostituées. »
« Il existe des preuves qu’une identité religieuse bien établie protège en réalité contre la radicalisation violente », a également conclu le MI5.
En d’autres termes, la solution est plus d’islam, et non moins d’islam.
Ces assaillants sont sensibles à la propagande de l’État islamique parce qu’ils ne disposent pas des notions historiques et contextuelles fondamentales de la foi à laquelle ils pensent adhérer. Ces assaillants ne sont pas musulmans. Ces assaillants sont des ratés et des marginaux qui cherchent une bannière à attacher à leur criminalité et à leur rage. Une rage qui est souvent alimentée par une perception que la vie est injuste pour ceux qui partagent une identité culturelle avec l’islam.
Lorsque j’ai interviewé l’ancien djihadiste Mubin Shaikh, ce dernier m’a indiqué que les recruteurs djihadistes exploitaient son ignorance des écritures islamiques et que ce n’était qu’en acquérant une compréhension plus profonde et plus érudite de sa foi qu’il a pu déchiffrer les âneries qui truffent la propagande djihadiste, ce qui contribue grandement à expliquer pourquoi le livre numéro un des ventes auprès des djihadistes occidentaux qui se rendent en Irak et en Syrie est L’Islam pour les nuls.
Si nous voulons vaincre cette menace terroriste en particulier, nous devons agir davantage pour rendre l’islam accessible et plus acceptable pour ceux qui pourraient être favorables à la propagande terroriste. L’interdiction de la burqa, les protestations contre les mosquées et la surveillance draconienne des communautés musulmanes ne servent qu’à envoyer le message selon lequel les musulmans n’ont pas d’avenir en Occident. Ainsi, c’est avec plus d’islam que l’État islamique sera vaincu.
- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America (2013), God Hates You. Hate Him Back (2009) et Koran Curious (2011). Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une fleur et une bougie sont posées sur une marque de sang appartenant à l’une des victimes de l’attaque meurtrière du 14 juillet sur la promenade des Anglais, à Nice, le 16 juillet 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].