« Les Apprentis champions » : la première équipe de hockey de Tunisie espère entrer dans l’histoire
TUNIS - La pièce bruissait d’activité, mais la vie d’Amine Van de Putte, accoudé seul au bar, lui semblait encore plus vide que d'habitude. Il sirotait sa boisson. Il était une heure du matin, jeudi avait cédé la place à vendredi, et il faisait froid cette nuit-là en Belgique.
Amine avait consacré sa vie au sport, mais une déchirure à un ligament du genou l’a contraint à rejoindre le banc de touche lors d’un match avec l’équipe des Chiefs Leuven, le meilleur club amateur belge de hockey sur glace. Six mois plus tard, son genou mettait du temps à guérir et il commençait à douter de son avenir.
Or, voici que, venu de nulle part, un homme l’a accosté et a entamé la conversation. « De quel pays venez-vous ? Vous avez le teint plus foncé que les autres Belges du bar. »
Amine, le teint olivâtre et les cheveux frisés, lui a répondu : « Mon père est tunisien, mais je ne l’ai jamais connu. C’était un footballeur célèbre. »
L'homme, intrigué, a demandé : « Vraiment ? Quel est son nom ? ». « Riyad Fahem », a indiqué Amine. « J’ai hérité de ses cheveux. » Le visage de l'homme s’est alors éclairé. « Mais, Riyad était le frère du meilleur ami de mon frère, figurez-vous ! »
Amine dit qu'il a eu l’impression que le destin venait d’intervenir pour les faire se rencontrer, mais son nouvel ami était porteur d’une mauvaise nouvelle – le père d’Amine était mort quelques jours plus tôt. Juste au moment où le jeune homme, alors âgé de 22 ans, s’était mis à espérer avoir enfin une chance de rencontrer son père, il apprenait qu’il était trop tard.
Le lendemain matin, Amine a reçu un nombre anormalement élevé de demandes d'amis sur Facebook, tous des Tunisiens. La nouvelle s’était répandue comme une trainée de poudre : Riyad Fahem, le célèbre buteur de l'équipe nationale tunisienne, avait un fils inconnu, désormais identifié.
Retrouver ses racines
C’était en février 2014. Trois semaines plus tard, Amine prenait sa voiture pour Paris, où il a rencontré ses cousins tunisiens pour la première fois. Un mois plus tard, au moment où il s’y attendait le moins, il a reçu sur Facebook un message de la part d’Ihab Ayed, fondateur et président de l’Association tunisienne de Hockey : il proposait à Amine de venir jouer pour l'équipe nationale tunisienne.
Amine a accepté sans hésiter une seconde. Ihab Ayed l’a avertit que s'il jouait pour la Tunisie, il ne pourrait plus jamais faire partie de l'équipe nationale belge. Ce qui n’a pas entamé la certitude d’Amine : il voulait porter les couleurs du pays de son père et le nom « Fahem » au dos de son maillot.
Il n’a pas pris cette décision à la légère. Sa blessure n’était plus qu’un souvenir désormais ; il avait retrouvé la forme et était prêt à reprendre sa carrière – si prometteuse que nombre de ses entraîneurs le voyaient déjà jouer pour l'équipe nationale senior belge. Mais il se dit qu’il ne pouvait ignorer une telle accumulation de coïncidences pointant dans la même direction.
« Cela a été facile grâce à la façon dont tout s’est enchainé et en faisant connaissance avec ma famille », a-t-il confié à Middle East Eye.
L’histoire d’Amine : un parcours marqué par le destin
Amine est né en Belgique d'une mère belge. Il avait un an lorsque le visa de son père arriva à expiration, forçant Riyad à retourner en Tunisie. Sa mère, dans l’impossibilité de s’occuper seule de son enfant, lui trouva une famille adoptive.
La nouvelle famille d’Amine avait des parents éloignés qui jouaient au hockey sur glace et l'un d'eux, hockeyeur tchèque, lui a transmis le virus du sport.
Amine s’est mis au patinage dès l’âge de deux ans. À six ans, il avait déjà intégré une équipe. Puis, à 12 ans, il a rejoint l'équipe nationale belge. Il a représenté la Belgique aux Championnats du monde, au sein des équipes U18 et U20 de hockey sur glace et s'est mis à remporter des prix individuels.
Il avait réussi ; mais il ressentait souvent comme un grand vide.
Plus jeune, il voyait sa mère biologique cinq fois par an, mais elle est décédée lorsqu'il était âgé de 13 ans. Après sa mort, il a essayé de trouver son père et a écumé l'Internet pendant trois ans, envoyant des messages à des prospects potentiels, en vain.
Il a confié à MEE qu’il remerciait le destin de lui avoir permis- alors qu’il était au bord de la dépression et soignait sa blessure - d’avoir enfin eu la chance de prendre contact avec sa famille biologique et, au final, de représenter l'équipe nationale tunisienne.
Développer l’équipe tunisienne de hockey sur glace
Ihab Ayed s’est attelé en 2007 à mettre l'équipe sur pied, et a dû attendre sept ans avant de disputer son premier match.
La famille d’Ihab est originaire de la ville côtière de La Chebba, dans la province de Mahdia. Il a grandi en France, à Courbevoie, mais il tenait absolument à introduire le hockey sur glace, traditionnellement chasse gardée des pays plus froids, dans sa nation méditerranéenne.
L'équipe tunisienne de hockey sur glace a disputé son premier match à Courbevoie, ville natale d’Ihab, contre une équipe professionnelle locale – ils ont perdu de justesse après avoir mené 4-1. Pendant des années, il a parcouru le monde à la recherche de joueurs, aussi loin qu’au Canada et en Finlande, afin de constituer une équipe de 30 hommes issus de la diaspora tunisienne.
Pas un seul n’est né en Tunisie, mais tous étaient fiers de jouer en honneur de leur père, ou de la mère patrie. Ihab a déclaré que 99 % des joueurs sollicités ont souhaité rejoindre l’équipe.
En dépit de sa composition internationale, l'équipe s’est rapidement soudée autour de son patrimoine commun.
« Ma mère nous a préparé des tonnes de couscous », a déclaré Ihab à MEE, tout en expliquant que ce plat est toujours au menu et très apprécié de tous les Tunisiens – d’où qu’ils viennent dans le monde.
« Ma mère a également préparé une salata meshwiya [salade de poivrons grillés], et elle craignait que ce plat serait trop épicé pour mes gars », a déclaré Ihab. Mais ses joueurs se sont régalés.
Il se souvient qu’au début tout le monde croyait à un canular, mais quand tous les joueurs sont arrivés, on a commencé à prendre l'équipe plus au sérieux – un peu comme l'équipe de bobsleigh jamaïcaine, qui n’a commencé à devenir célèbre que lors de leurs premiers Jeux Olympiques en 1988, pour plus tard inspirer le film « Cool Runnings » (« Les Apprentis champions », sorti dans les années 1990).
Coupe africaine de hockey sur glace
Maintenant, il reste à l’équipe à relever son plus grand défi. Elle participe en ce moment à la première Coupe panafricaine de hockey sur glace, où l’Algérie, l'Égypte, la Tunisie et le Maroc se disputent la victoire à Casablanca et à Rabat, du 24 au 30 juillet.
« Cela montrera au peuple tunisien que nous ne comptons pas pour du beurre, j’espère », a déclaré Ayed.
À l'heure actuelle, il n’existe aucune patinoire de hockey sur glace en Tunisie, juste une petite patinoire à Tunis et une autre à Hammamet, 50 kilomètres environ plus au sud. Pour l’instant, tout ce projet autour du hockey est autofinancé, et les joueurs ont dû se serrer la ceinture pour le sauver et le maintenir à flot.
Ihab Ayed espère que le tournoi changera la donne, et qu’il lui offrira l’occasion d'inscrire l'équipe en Tunisie (elle est actuellement enregistrée en France) ; et ainsi assurer son financement par le ministère tunisien des Sports. S'il obtient ces subventions, il prévoit d’ouvrir une clinique pour enfants dans une aile de la petite patinoire à Tunis, et de développer une nouvelle génération de talent locaux ; et nombreux sont les parents qui ont déjà présenté la candidature de leurs enfants.
Sarhan Nasri, un porte-parole du ministère des Sports, a promis à MEE qu'il était prêt à « développer cette discipline, et qu’il espère voir bientôt l'équipe participer aux Jeux Olympiques d'hiver » ; mais elle devra au préalable être enregistrée en Tunisie.
Les finances publiques sont soumises à rude épreuve, et obtenir un financement peut encore s’avérer extrêmement difficile, mais Ihab nous a assuré de sa détermination à persévérer en ce sens.
« La Tunisie n'a jamais envoyé un athlète aux Jeux Olympiques d'hiver, c’est embarrassant, n’est-ce pas ? », regrette-t-il.
Qu’il perde ou gagne, Amine est certain que ce tournoi s’avèrera un moment décisif de sa vie. Il attend avec impatience d’emmener l’équipe tunisienne faire ses premiers pas, et mettre les siens dans ceux de son père en représentant son pays.
« C’est cool de savoir qu’on ressemble à quelqu’un, même si on ne l’a jamais rencontré », dit-il. « Et c’est génial de jouer dans l'équipe nationale tunisienne. Je témoigne ainsi à ma famille tout le respect que j’ai pour elle. »
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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