La base juridique de l’intervention militaire étrangère en Syrie
Selon un communiqué publié par l’Independent Doctors Association (IDA) le 23 juillet 2016, le régime du président syrien Bachar al-Assad, soutenu par la Force aérienne russe, a lancé des frappes aériennes contre cinq installations médicales dans les zones contrôlées par l’opposition dans l’est d’Alep : quatre hôpitaux, dont un hôpital pédiatrique, ainsi que la Banque centrale du sang, qui est la dernière banque du sang encore en service dans la ville.
Cette attaque a été perpétrée quinze jours après que les forces pro-régime, avec le soutien de la Force aérienne russe, se sont emparées de la route du Castello, la seule voie reliée aux quartiers contrôlés par l’opposition dans l’est d’Alep, empêchant ainsi la distribution de l’aide humanitaire à au moins 200 000 à 300 000 personnes vivant dans ces quartiers, tout comme leur évacuation vers des zones plus sûres.
Ces événements ont soulevé plusieurs questions : premièrement, la participation militaire de la Russie à la guerre civile syrienne est-elle légale en vertu du droit international ?
En septembre 2015, suite à une requête formulée par son homologue syrien, le président russe Vladimir Poutine a reçu l’autorisation du Conseil de la Fédération (la chambre haute du Parlement russe) pour lancer des frappes aériennes sur le territoire syrien, invoquant le principe juridique international de l’« intervention sur invitation ».
Deux conditions légales doivent être remplies pour invoquer ce principe : la validité de l’invitation (consentement valide) et la légitimité de l’autorité qui adresse l’invitation.
L’invitation du régime syrien est à n’en pas douter valide. Cependant, le régime de Bachar al-Assad est-il l’autorité légitime du peuple syrien ?
Deuxièmement, la Russie enfreint-elle le droit international humanitaire ?
La Force aérienne russe vise les zones contrôlées par l’opposition, y compris des cibles non militaires telles que des hôpitaux. Selon le dernier rapport de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), depuis le 30 septembre 2015, date du début de l’engagement militaire russe dans la guerre civile syrienne, au moins 7 210 personnes ont été tuées dans des attaques aériennes russes, dont 2 600 citoyens syriens (non-combattants).
Tuer des civils ne relève-t-il pas d’un crime de guerre ?
En outre, il n’y a pas de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui autorise le recours à la force militaire étrangère sur le sol syrien, ni de consentement du régime pour des frappes aériennes non russes sur son territoire ou même des frappes aériennes non russes menées contre des cibles de l’État islamique autoproclamé.
Par conséquent, la coalition dirigée par les États-Unis dispose-t-elle d’une base juridique pour mener une action militaire en Syrie en l’absence d’autorisation spécifique accordée par le Conseil de sécurité et/ou de consentement syrien ?
L’engagement militaire de la Russie dans la guerre civile en Syrie
L’article 2, paragraphe 4 de la Charte des Nations unies stipule que « les Membres de l’Organisation [les États membres de l’ONU] s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies ».
Autrement dit, le recours à la force militaire par un État membre de l’ONU dans un autre État ou contre celui-ci est illégal en vertu du droit international.
Cette règle est cependant sujette à trois exceptions : l’action militaire motivée par la légitime défense, l’action militaire autorisée par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies et l’action militaire sur la base du principe de l’« intervention sur invitation ».
Ce principe permet ce qui suit : il serait possible pour un État de demander à un autre État ou à d’autres États de recourir à la force militaire sur son territoire en invoquant le principe juridique international de l’intervention sur invitation, comme l’a fait le gouvernement irakien – considéré comme le gouvernement légitime de l’Irak – en 2014 lorsqu’il a demandé aux États-Unis de diriger les efforts militaires internationaux contre l’État islamique.
Comme indiqué ci-dessus, deux conditions légales doivent être remplies afin d’invoquer le principe de l’intervention sur invitation : la validité de l’invitation (consentement valide) et la légitimité de l’autorité qui adresse l’invitation.
Alors que la Russie n’a pas encore publié de document officiel décrivant la requête du régime syrien, le consentement valide du président syrien Bachar al-Assad est perceptible : il existe une coordination entre les opérations militaires des troupes terrestres pro-régime et de la Force aérienne russe.
La question est la suivante : quelle entité est l’autorité légitime du peuple syrien ? Le régime d’Assad ou l’opposition ? Ainsi, quelle entité peut légitimement émettre une invitation ?
La Cour internationale de Justice (CIJ) a traité une situation similaire lors de l’affaire opposant le Nicaragua aux États-Unis en 1986 : le plaignant – le Nicaragua – a affirmé que les États-Unis avaient violé la souveraineté du Nicaragua à travers un certain nombre d’actions. En réponse, les États-Unis ont confirmé avoir agi en vertu du principe de l’intervention sur invitation, suite à la réception d’une invitation émise par l’opposition nicaraguayenne.
La CIJ a alors déclaré que l’invitation à intervenir dans les affaires souveraines d’un État étranger présente une base juridique uniquement si l’invitation en question est délivrée par le gouvernement légitime de l’État et non par l’opposition.
De même, d’aucuns pourraient soutenir – dans la mesure où il n’existe aucune autorité capable d’appliquer, de délinéer ou d’interpréter le droit international – que l’intervention militaire de la Russie dans la guerre civile syrienne est légale, puisque le régime syrien, qui est le gouvernement légitime de la Syrie, selon la Russie, a bel et bien délivré une invitation pour une intervention militaire russe.
Suivant cette ligne de pensée, d’aucuns pourraient également soutenir que les États qui invoquent l’excuse de la lutte contre le terrorisme pour exercer une présence sur le territoire syrien sans le consentement du régime syrien, que ce soit sur le territoire du pays, dans son espace aérien ou dans ses eaux, commettent une violation à l’encontre de la souveraineté syrienne.
Maintenant, la Russie est-elle coupable d’un manquement quant au respect du droit international humanitaire ?
En vertu de l’article 20 du texte relatif à la « responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite » de la Commission du droit international, le principe de l’intervention sur invitation ne peut faire office de base juridique que si aucune des actions entreprises par l’État invité ne constitue une violation des normes impératives de droit international : dans le cas contraire, le principe est ainsi annulé.
Plusieurs organisations, dont Amnesty International et Human Rights Watch, ont démontré que les actions de la Russie en Syrie – le lancement de frappes aériennes contre des hôpitaux, par exemple – constituent une violation du droit international humanitaire.
S’il est prouvé que la Russie a commis des violations du droit international humanitaire, son prétexte du recours par défaut au principe de l’intervention sur invitation ne présenterait plus de justification légale.
L’intervention militaire dirigée par les États-Unis dans la guerre civile syrienne
La résolution 2249 (2015) du Conseil de sécurité, qui a été adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies le 20 novembre 2015, appelle les États membres à « prendre toutes les mesures nécessaires, conformément au droit international, en particulier à la Charte des Nations unies », contre l’État islamique et l’ancienne branche d’al-Qaïda, le Front al-Nosra (aujourd’hui « Front de la Conquête du Cham »), deux groupes qui opèrent sur le sol syrien et irakien.
Contrairement à la croyance populaire, la résolution 2249 n’autorise pas les États membres à employer la force militaire contre les groupes susmentionnés dans la mesure où elle ne se réfère pas au chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Afin de fournir aux États membres une base juridique pour recourir à la force militaire contre les groupes en question, une résolution du Conseil de sécurité doit constituer une décision prise en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui présente aux États membres une « échappatoire » à l’interdiction générale de l’emploi de la force incluse dans l’article 2 de la Charte des Nations unies.
Par conséquent, aucune résolution du Conseil de sécurité n’autorise la coalition menée par les États-Unis à employer la force militaire en Syrie.
Une question demeure alors : en l’absence de consentement du régime syrien et/ou d’autorisation spécifique du Conseil de sécurité, la coalition menée par les États-Unis dispose-t-elle d’une base juridique pour entreprendre une action militaire en Syrie ?
Tout au long de l’année 2014, le gouvernement irakien internationalement reconnu a demandé « l’assistance de la communauté internationale » pour combattre l’État islamique et donné son « consentement formel » pour une intervention américaine en Irak.
Par exemple, en septembre 2014, dans une lettre adressée au président du Conseil de sécurité, l’Irak a appuyé sa position : « Conformément au droit international et aux accords bilatéraux et multilatéraux pertinents, et en tenant dûment compte de la pleine souveraineté nationale et de la Constitution, nous avons demandé aux États-Unis d’Amérique de diriger les efforts internationaux pour frapper les sites et bastions militaires de l’EIIL, avec notre consentement formel. »
Ainsi, les frappes aériennes de la coalition américaine contre l’État islamique en Irak ont été lancées sur la base juridique de l’« intervention sur invitation ».
Cependant, il n’y a pas d’« invitation » ni de « consentement formel » du régime syrien pour les frappes aériennes de la coalition américaine contre l’État islamique en Syrie.
Par conséquent, les actions de la coalition dirigée par les États-Unis en Syrie ont été justifiées légalement par le biais de l’article 51 de la Charte des Nations unies : la coalition dirigée par les États-Unis exerce une légitime défense individuelle et une légitime défense collective.
Si la légitime défense est invoquée contre un groupe armé non étatique – dans ce cas précis, l’État islamique –, il doit être démontré que l’État dans lequel le groupe armé se trouve – la Syrie – « ne souhaite pas ou ne peut pas » l’empêcher d’attaquer d’autres États. Manifestement, la Syrie « ne peut pas » toucher ou détruire suffisamment l’État islamique dans la mesure où le groupe contrôle un territoire important à l’intérieur des frontières syriennes, territoire que les forces pro-régime n’ont pas été capables de récupérer.
On peut alors soutenir qu’il est permis d’agir en légitime défense individuelle, puisque le régime syrien « ne peut pas » empêcher l’État islamique de lancer des attaques contre des États, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.
En outre, on peut faire valoir qu’il est permis d’agir en légitime défense collective – au nom de l’Irak –, puisque le régime syrien « ne peut pas » empêcher l’État islamique d’attaquer l’Irak depuis le territoire syrien.
L’intervention humanitaire
Comme en 2011 contre le régime libyen de Mouammar Kadhafi, le Conseil de sécurité peut autoriser une intervention militaire en Syrie à des fins humanitaires à condition que celui-ci ait déterminé qu’il existe une menace pour la paix et la sécurité internationales.
Pourquoi le Conseil de sécurité ne l’a-t-il pas fait contre le régime syrien ? Quelles qu’en soient les raisons, la dimension humanitaire a été marginalisée en Syrie.
- Tania Ildefonso Ocampos est une analyste politique espagnole spécialisée dans les stratégies de l’UE au Moyen-Orient. Elle a effectué par le passé un stage Robert Schuman (à l’Unité euro-méditerranéenne et moyen-orientale de la Direction générale des politiques extérieures du Parlement européen) et elle a obtenu un master en Histoire du Moyen-Orient à l’Université de Tel Aviv, en Israël.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : image tirée de séquences diffusées sur le site officiel du ministère russe de la Défense le 5 octobre 2016, montrant prétendument un bombardier russe Su-24M larguant des bombes lors d’une frappe aérienne en Syrie (AFP/ministère russe de la Défense).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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