La nourriture : une arme clé dans le siège d’Alep
ALEP – Lorsque le gouvernement syrien et ses alliés russes assiégèrent l’est d’Alep le mois dernier, Afraa Hashen se prit à croire que toute normalité venait de quitter cette ville.
Mais elle est restée debout, malgré le déferlement des bombes et des obus sur Alep, apportant sa pierre aux combattants de l’opposition sur le front ainsi qu’aux équipes de médecins et d’infirmières travaillant 24 h/24 pour fournir des services médicaux aux 300 000 personnes encerclées par le siège.
Contrairement aux unités kurdes qui disposent d’unités de femmes uniquement, l’Armée syrienne libre, une fraction des forces d’opposition qui se sont élevées en premier contre le gouvernement en 2011, n’autorise pas l’accès aux femmes.
Afraa Hashen est passée outre. Elle a délibérément constitué avec six autres femmes d’Alep la Free Food Kitchen (la « Cuisine de la nourriture libre ») et a commencé à préparer des repas journaliers pour les combattants ou les personnes dans le besoin.
« C’était juste un petit projet, commencé après le siège de la ville le 17 juillet », a-t-elle raconté à Middle East Eye. « Nous ressentions le besoin de faire quelque chose au vu de toute cette désolation et des besoins autour de nous. »
Afraa et les autres volontaires ont d’abord demandé à leurs voisins de donner tout simplement ce qu’ils pouvaient donner, de petites choses.
« Je suis allée mendier de petites choses de base, tout ce que les gens pouvaient me donner ou se procurer, explique Afraa. Certains m’ont donné un peu de pain, d’autres un tout petit peu de gaz. »
Les premiers jours, Afraa Hashen et ses comparses ont pu préparer des sandwiches pour 750 à 1 000 personnes sur le front, en utilisant tout ce qu’elles avaient pu collecter chaque jour.
Cependant les ressources se sont vite amenuisées et il est devenu de plus en plus difficile d’obtenir assez de nourriture.
Après une semaine de siège, les boulangeries ont commencé à fermer ; certaines définitivement, d’autres ouvraient de manière aléatoire, selon leur approvisionnement.
Afraa a craint de devoir revoir son projet à la baisse mais l’équipe a eu alors une nouvelle idée : au lieu d’utiliser du gaz cher, les femmes ont commencé à utiliser un appareil fonctionnant au diesel. Elles ont ainsi pu continuer à fournir de la nourriture au plus fort du siège.
« La situation sécuritaire se dégradait rapidement, les bombardements étaient incessants, les obus pleuvaient autour de nous. Nous avons refusé d’abandonner, nous avons poursuivi notre travail, quelle que soit la situation. »
De nombreuses femmes ont déclaré qu’elles se sentaient mises de côté en Syrie depuis le début de la guerre qui s’est accompagnée d’une dégradation de la qualité de la vie sur de grandes parties du territoire. Il n’en demeure pas moins que ce sont les femmes qui ont fourni à Afraa la majeure partie des vivres et le soutien nécessaire pour poursuivre leur projet.
« Les piliers de ce projet étaient pour la plupart des femmes, a-t-elle indiqué ; certaines se sont jointes pour cuisiner, d’autres pour faire des dons ; certaines ont même vendu leurs bijoux juste pour nous donner un peu d’argent. Toutes y ont vu une priorité. »
Le siège a pris fin il y a deux semaines et des produits frais et des médicaments ont pu réapparaître dans les parties de la ville tenues par les rebelles. Toutefois, la Free Food Kitchen a connu un tel succès populaire qu’elle est devenue incontournable, convainquant Afraa de poursuivre son projet jusqu’à la fin de la guerre.
La lutte pour se nourrir et survivre s’est rejouée à plus petite échelle dans toutes les parties tenues par les rebelles.
Riam Hassan, une femme de 45 ans et mère de trois enfants, a déclaré qu’elle n’avait jamais été aussi heureuse de voir du pain et des légumes sur les étaux du marché.
« Je suis tellement heureuse, a-t-elle confié à Middle East Eye après avoir rempli son panier ; je n’ai pas vu la moindre nourriture de base ce dernier mois et je n’avais plus rien pour nourrir ma famille. »
« Le siège a eu des conséquences désastreuses pour ma famille et moi, nous ne pouvions pas obtenir de nourriture au quotidien et nous mangions à peine un repas par jour. Nous disposions de six morceaux de pain tous les deux jours pour toute la famille. La faim n’était pas cependant le pire au cours du siège, c’était surtout le fait de rester assis des heures sans rien faire, en attendant la mort. »
Alors que de nombreux hommes combattaient sur la ligne de front, les femmes et les enfants ont été mis de côté. Riam, elle, se sentait totalement désœuvrée, sans électricité pour regarder la télévision, sans pouvoir lire, tous les livres ayant été détruits, et sans nourriture ni gaz pour préparer un repas.
« Nous étions occupés à de petites choses, comme regarder la télévision et préparer à manger ; cela nous aidait à moins penser aux avions et aux combats, mais au cours du siège, nous ne pouvions rien faire d’autre que rester assis toute la journée en nous demandant comment nous pourrions faire un repas pour les enfants avec le peu de nourriture que nous avions.
« Les avions pilonnaient au loin ; c’était plus que nous ne pouvions supporter mais il n’y avait rien d’autre à faire. »
Riam Hassan affirme qu’elle va faire tout ce qu’elle peut pour que sa famille ne se retrouve plus jamais dans cette situation. Elle profite de l’afflux de marchandises et reconstitue ses stocks avec tout ce qu’elle trouve. Les prix ont terriblement augmenté mais rien n’est trop cher selon elle.
« Je sens que l’espoir revient un peu, je crois que nous pourrons vivre à nouveau. Je peux à peine me permettre de vivre à Alep mais j’y suis née et c’est là que je mourrai. J’ai déjà enduré beaucoup de choses mais je peux encore supporter plus de bombes ; la seule chose que je ne peux pas faire, c’est quitter ma maison. »
Même si les combats font rage à seulement quelques kilomètres, même si les deux côtés renforcent leurs positions dans l’attente d’un combat plus important et plus brutal, jamais plus Riam ne se sentira aussi impuissante que pendant le siège, a-t-elle dit à MEE.
« J’étais pétrifiée à l’idée que mes enfants ne puissent survivre avec si peu, mais ils ont pu le faire et je peux maintenant aller au marché et leur acheter de la nourriture ; je sais que si je continue à me battre, à ma manière, les choses finiront par s’améliorer. »
« Si nous y travaillons tous ensemble, la situation redeviendra un jour ce qu’elle était avant. »
Traduit de l’anglais (original) par Raphaëlle Maury.
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