Les Thermopyles de Syrie : les rebelles partis de Daraya pourraient faire pencher la balance à Alep
Environ 700 combattants rebelles de Liwa Shuhada al-Islam (« Brigade des martyrs de l’islam »), entassés dans des dizaines d’autocars habituellement réservés aux touristes, sont entrés tôt dimanche dernier à Idlib, bastion de l’opposition. Les combattants en provenance de la banlieue damascène assiégée de Daraya se sont vu accorder un passage sécurisé par le régime de Bachar al-Assad après avoir signé un acte de capitulation.
L’accord comprenait la levée du siège de Daraya et un passage sûr pour ses habitants à condition que les rebelles capitulent. Les rebelles ont également été contraints de renoncer à leurs armes lourdes et à leur artillerie, mais ont été autorisés à conserver leurs armes légères.
Malgré cela, ils ont été accueillis comme des héros : le simple fait que ce groupe et les autres groupes rebelles à Daraya aient tout simplement survécu est une victoire en soi. Abou Jamal, chef de la Brigade des martyrs de l’islam, est monté sur les épaules de combattants d’opposition et a proclamé que la révolution se poursuivrait jusqu’à ce qu’« Alep, la côte [Lattaquié] et Idlib [s’unissent] pour libérer Damas ».
La banlieue de Daraya était assiégée depuis quatre ans avant l’accord conclu la semaine dernière. Le siège était si intense que les résidents étaient forcés de survivre en se nourrissant d’herbe et de soupe ; on raconte même que des enfants ont pu savourer pour la première fois des fruits et des légumes frais après avoir quitté Daraya.
Avec un tel isolement, la Brigade des martyrs de l’islam a éprouvé de grandes difficultés à s’implanter. Les armes étaient difficiles à trouver, tandis que la question d’une voie d’approvisionnement fiable entrant dans la banlieue, même après avoir été examinée de près par la salle des opérations supervisée par la CIA à Amman et après la réception d’un nombre infime de missiles antichar TOW, a traîné en longueur.
La nature de la guerre urbaine a également joué un rôle crucial dans le développement de la résistance à Daraya. L’enclave était assiégée par la Quatrième division blindée d’élite de l’Armée arabe syrienne, une division majoritairement alaouite qui est considérée comme l’une des unités à la disposition du régime les mieux entraînées et les mieux équipées. Elle est dirigée par Maher al-Assad, frère cadet du président. Des vidéos publiées par la Brigade des martyrs de l’islam montrent des combattants urbains compétents – le combat urbain est une aptitude unique en Syrie, susceptible d’être utile alors que la bataille pour libérer le reste d’Alep de l’emprise du régime s’intensifie.
Abou Jamal est le Leonidas Ier des temps modernes en Syrie et ses hommes sont l’équivalent des 7 000 Grecs qui sont entrés dans l’histoire en repoussant l’armée perse de 100 000 hommes
Jamal et, à plus large échelle, la Brigade des martyrs de l’islam ont désormais acquis le statut de légendes auprès de l’opposition en Syrie pour leurs exploits militaires. Abou Jamal est le Leonidas Ier des temps modernes en Syrie et ses hommes sont l’équivalent des 7 000 Grecs qui ont écrit l’histoire en repoussant l’armée perse de 100 000 hommes pendant sept jours. Avant la révolution, c’était un officier talentueux qui travaillait dans l’académie militaire d’élite d’Alep, et ses compétences en tant que tacticien militaire ont été un facteur crucial de la résistance à Daraya.
Interrogé quant à savoir si la Brigade des martyrs de l’islam était susceptible de fusionner avec un des groupes rebelles plus importants actifs en Syrie, un membre de haut rang du groupe a répondu : « Mon ami, je suis sûr que la Brigade des martyrs de l’islam perdurera. Aucun d’entre nous ne veut quitter cette unité. Nous continuerons de lutter contre le régime, nous retournerons à Daraya et nous renverserons le régime. »
Néanmoins, si « résistance » est le mot du jour véhiculé par Daraya, alors « fusion » est certainement le terme qui représente le nord de la Syrie. On estime largement qu’une fusion importante des groupes rebelles est dans les parages. Le changement de nom du Front al-Nosra, devenu Front Fatah al-Sham, et sa prétendue désaffiliation d’al-Qaïda ont ouvert la voie à cette fusion. Si une telle fusion comprenait le Front Fatah al-Sham, Ahrar al-Sham et le mouvement Nour al-Din al-Zenki, comme des rumeurs l’ont laissé entendre, celle-ci pourrait compter plus de 40 000 combattants unifiés sous une structure de commandement unique.
Tout type de fusion nécessiterait de sérieuses concessions de la part de la Brigade des martyrs de l’islam. Le groupe puise ses racines dans ce que Thomas Pierret, maître de conférences en islam contemporain à l’Université d’Edimbourg, qualifie d’« islam local », une forme d’islam non salafiste qui était populaire au sein de la classe moyenne syrienne avant le soulèvement.
Associé auparavant à l’Armée syrienne libre (ASL), le point de vue du groupe est « clairement national, par opposition à l’approche transnationale du djihadisme salafiste ». Sa présence à Daraya a été marquée par son obéissance à l’appareil de gouvernance civile de la ville, ce qui veut dire que ce groupe était au service du peuple, ce que l’activiste des droits de l’homme syrien Razan Zaitouneh a décrit comme un « modèle exemplaire pour l’avenir de la Syrie ».
Beaucoup considèrent que l’oisiveté du Front du Sud face au gouvernement est le principal facteur qui a permis aux forces du régime de resserrer le siège de Daraya
Une immense colère gronde également à l’encontre du Front du Sud à Deraa, aligné avec l’Armée syrienne libre. Beaucoup considèrent que l’oisiveté de ce groupe face au gouvernement est le principal facteur qui a permis aux forces du régime de resserrer le siège de Daraya jusqu’au point de rupture. Comme l’indique Pierret, « compte tenu de leur orientation idéologique, ils devraient normalement être attirés par les branches de l’ASL ou les groupes légèrement islamistes plutôt que par les factions salafistes et djihadistes ; néanmoins, ils ont clairement été abandonnés par leur propre alliance au sein de l’ASL (le Front du Sud), qui, en gelant les opérations à Deraa et Quneitra pendant des mois, a permis au régime de retirer des hommes au sud et de les utiliser contre Daraya ». Cet épisode, qui ne sera pas oublié de sitôt, pourrait même les pousser dans les bras des salafistes du nord de la Syrie.
La présence du cheikh Abdallah al-Mohaisany, l’ecclésiastique saoudien extrêmement influent auprès des salafistes de Syrie au point qu’un observateur a décrit qu’il était traité « comme une rockstar », est peut-être un signe avant-coureur des choses à venir. Fidèle à son statut de rockstar, il était là pour accueillir les rebelles de Daraya lorsque ces derniers ont touché le sol d’Idlib et a même posé pour des selfies. Bien qu’il soit indéniablement favorable à al-Qaïda, son statut de prédicateur culte de l’opposition dans la bataille pour la liberté en Syrie a reçu un accueil chaleureux de la part des rebelles de Daraya.
Les leaders islamistes dans le nord de la Syrie savent qu’il serait particulièrement stupide de chercher querelle avec les héros de Daraya ; toutefois, avec relativement peu de combattants, il est très probable que les acteurs dans les zones libérées d’Alep et Idlib tenteront de récupérer un groupe dont les capacités de combat urbain pourraient aider à faire pencher la balance dans la bataille pour Alep. La question reste de savoir si la Brigade des martyrs de l’islam restera fidèle à ses instincts révolutionnaires ou si ses besoins matériels l’obligeront à faire des concessions idéologiques.
- Gareth Browne est un journaliste qui s’intéresse à l’actualité, à la politique et au Moyen-Orient. Ses travaux ont été publiés par VICE, The Daily Mirror et Gulf News. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @brownegareth
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des combattants rebelles et leurs familles arrivent en autocar dans le village de Qalaat al-Madiq, dans la province de Hama, aux premières heures du 27 août 2016, après avoir été évacués de la ville de Daraya dans le cadre d’un accord conclu entre le gouvernement et les combattants d’opposition après un siège de quatre ans de l’armée (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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