Situation économique déplorable en Iran : Hassan Rohani se fera-t-il sortir par les électeurs ?
En août dernier, Fararu, un site d’informations populaire en Iran, a interviewé quatre économistes iraniens de renom. Il leur a été demandé de se pencher sur l’état de l’économie iranienne sous le président Rohani. Puis, comme il est attendu que l’économie soit le principal point de friction entre les conservateurs et les modérés lors des élections présidentielles prévues au printemps prochain, ces quatre économistes ont été sollicités pour enquêter sur la probabilité d’une seconde victoire d'Hassan Rohani dans le contexte de ses principaux échecs et succès économiques.
Farshad Momeni, connu en tant qu’économiste religieux-nationaliste, maintient que « la période allant de 2005 à 2013 » sous l’autorité de Mahmoud Ahmadinejad a représenté « les pires années dans l’histoire de la République islamique d’Iran » en raison de l’émergence « d’une corruption de grande ampleur ».
« Je base ces propos sur un rapport publié en 2013 par le Centre de recherche du parlement islamique », fait remarquer Farshad Momeni.
Il relève que « la fuite de capitaux nets sur une période de cinq ans, c’est-à-dire entre 2005 et 2010, a été multipliée par 125 », en soulignant le fait que cela s’est produit avant la mise en place des sanctions contre l’Iran.
Farshad Momeni remarque ensuite que Hassan Rohani a non seulement hérité d’une économie désastreuse sous le coup d’un taux d’inflation de 40 %, mais, pire encore, au cours de la première année après son arrivée, le prix du pétrole a chuté de 70 dollars par baril.
« Une récession importante et sans précédent »
Tout en faisant l’éloge du président Rohani pour avoir réduit l’inflation de 40 % à environ 10 %, il prend la précaution de préciser que ceci s’est fait au prix de la création d’une « récession importante et sans précédent qui a provoqué le mécontentement de la population ». « Mes recherches montrent qu’en conséquence [de cette récession], nous assistons à une réduction rapide de la classe moyenne et à une augmentation sans précédent de la pauvreté. »
« Indubitablement, suggère Farshad Momeni, les conditions économiques actuelles auront d’importants effets négatifs [sur l’élection d'Hassan Rohani] car les personnes à bas revenus ne perçoivent aucune amélioration de leurs conditions de vie sous le président Rohani. »
Nasser Imani, un autre économiste, connu pour être dans le camp politique des conservateurs, met également l’accent sur le fait qu'Hassan Rohani et son cabinet se sont, certes, montrés capables de contrôler l’inflation, mais au prix d’une aggravation de la récession. Il note que la population éprouvée est déçue car elle avait de grands espoirs de changement après la conclusion de l’accord sur le nucléaire [iranien]. Aucun de ces espoirs n’a été exaucé, remarque-t-il.
Pire encore, « parmi les responsables du gouvernement, certains ont laissé espérer que l’accord ouvrirait la voie à d’importantes opportunités économiques et que des milliards de dollars seraient rapidement injectés dans l’économie du pays. Quand rien ne s’est passé, ces responsables sont restés désorientés et les choses se sont plus ou moins arrêtées », raconte Nasser Imani.
« Les gens votent pour quelqu’un qu’ils estiment capable d’apporter le changement et d’améliorer leur vie, ajoute-t-il. En conséquence, les élections à venir seront les plus rudes auxquelles un président en fonction se soit mesuré depuis la révolution. »
« Je ne prédis pas que le président Rohani va perdre pour de bon. Je dis juste qu’il va se retrouver dans une situation difficile lors des élections. »
Une augmentation de la production
Saïd Leylaz, proche du camp réformiste, soutient que les 4,4 % de croissance économique des trois premiers mois de l’année iranienne en cours, qui a commencé le 20 mars, ont eu un effet positif dans la vie des gens. « Nous fabriquons 500 000 voitures de plus cette année qu’en 2012 [sous Mahmoud Ahmadinejad] et nous savons que les personnes qui achètent les voitures fabriquées ici sont généralement des familles aux revenus faibles à moyens. »
Il se montre critique vis-à-vis de ceux qui affirment qu'Hassan Rohani n’a été capable de contrôler l’inflation qu’en faisant le sacrifice de précipiter l’économie nationale dans la récession. Il avance que, selon les définitions économiques, on est en récession si la croissance économique est nulle ou négative pendant deux trimestres consécutifs. « Nous n’avons pas connu de telle situation au cours des trois dernières années », fait-il remarquer.
À la question de l’influence de l’économie sur l’éligibilité d'Hassan Rohani, Saïd Leylaz répond : « Laissez-moi vous poser une question : n’y a-t-il pas eu d’élections législatives en Iran il y a cinq mois ? Les gens ont voté favorablement pour Hassan Rohani. Le président Rohani était sans nul doute le vainqueur puisque ce sont les réformistes et les indépendants qui ont obtenu la majorité [au parlement contre les conservateurs]. Je suis certain qu'Hassan Rohani remportera les élections de 2017 », conclut-il.
Quel est le bénéfice de l’accord sur le nucléaire ?
Ali Dini Torkamani, économiste institutionnaliste proche du camp réformiste, affirme que les gens ne perçoivent aucun changement dans la réduction du chômage alors que la récession se fait sentir. « Les gens posent des questions : il n’y a aucune amélioration sur le marché du travail, les commerçants disent qu’ils sont en difficulté en raison de leurs faibles ventes, les industriels affirment qu’ils ne produisent pas au maximum de leur capacité, alors d’où vient donc cette croissance économique ? »
Ali Dini Torkamani avance que la croissance de 4,4 % est très probablement exacte, mais qu’elle est surtout due à un doublement des exportations de pétrole et de ses dérivés. Selon lui, l’Iran a besoin de taux de croissance plus élevés et sur une durée plus longue pour compenser la croissance négative des dernières années.
Il affirme qu’avec le taux de chômage, élevé, « les gens sont déprimés et désespérés. Bien sûr, ils estiment que l’administration Rohani est en partie responsable de cette situation. »
« Cependant, je pense qu'Hassan Rohani sera en mesure de convaincre le peuple que le problème actuel prend sa source dans l’administration qui l’a précédé. » Ali Dini Torkamani pense aussi que le président Rohani est capable de convaincre les gens de voter pour lui en leur affirmant que sans l’accord sur le nucléaire et l’amélioration des relations avec le reste du monde, la situation aurait pu être bien pire. Selon lui, Hassan Rohani peut remporter le vote du peuple en disant : « Voici le chemin sur lequel nous sommes engagés, tandis que nos adversaires ont l’intention de ramener le pays à la situation d’avant l’accord sur le nucléaire », ce qui signifierait le retour des sanctions et de l’isolement politique.
En guise de conclusion, Ali Dini Torkamani soulève un point primordial. « Lors d’une élection, dit-il, les gens ne fondent pas leur décision uniquement sur des facteurs économiques. Aux dernières élections législatives, […] l’affiliation politique des candidats a eu une influence évidente sur les votes. »
Lors du vote de février dernier, la mégalopole de Téhéran, qui compte 30 sièges sur les 290 du parlement, faisait partie des quelques villes où le nombre de candidats modérés et réformistes approuvés par le Conseil des gardiens de la Constitution et finalement autorisés à se présenter était plus important que le nombre de sièges, ce qui offrait aux électeurs un plus grand choix de candidats. De manière significative, les électeurs de la capitale ont empêché les conservateurs de gagner ne serait-ce qu’un siège sur 30.
Il y a également d’autres facteurs à prendre en compte lorsqu’on cherche à estimer les chances de victoire d'Hassan Rohani.
Le retour de Mahmoud Ahmadinejad ?
Les conservateurs, ou « principalistes » pour reprendre leur propre terme, sont maintenant divisés en deux camps. La majorité d’entre eux est actuellement plus proche des modérés, prenant ses distances avec les ultra-conservateurs, aussi connus comme les tenants de la ligne dure. Ali Larijani, président du parlement et principal dirigeant de ce courant majoritaire, entretient de très bonnes relations avec le président Rohani.
En juillet dernier, Mohammad Reza Bahonar, un important représentant des principalistes, qui appartient également au courant majoritaire, a déclaré : « Hassan Rohani est l’une des options envisagées par les principalistes ». Pour simplifier, les conservateurs n’ont pas de candidat crédible pour affronter Hassan Rohani.
Donc, indépendamment du bilan du président Rohani, si le peuple lui dit non, à qui donnera-t-il son assentiment ? Selon certains sondages, l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad pourrait représenter un autre choix pour la population.
Tandis que la faction dominante et modérée des principalistes n’accordera pas son soutien à Mahmoud Ahmadinejad – Ali Larijani entretient une relation très tendue avec l’ancien président – des activistes politiques issus de diverses mouvances sont absolument convaincus que si Ahmadinejad se présentait comme candidat, il serait disqualifié par le Conseil des gardiens de la Constitution.
- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste indépendant irano-canadien qui écrit sur les affaires intérieures et étrangères de l’Iran, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine dans la région. Il est coauteur de l’ouvrage Iran and the United States : An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. Il contribue à plusieurs sites consacrés au Moyen-Orient ainsi qu’au Huffington Post. Il écrit également de façon régulière pour BBC Persian.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des Iraniens font leur marché le 15 août 2016 dans le vieux bazar de la ville de Sirjan, au sud de l’Iran (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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