Une occupation sexualisée : de l’utilisation et abus des femmes soldats israéliennes
L’un des principaux titres de l’édition du mois d’août du magazine VICE est un « reportage » intitulé « La féminité irrévérencieuse des femmes soldats israéliennes », qui se compose d’une série de photographies de Mayan Toledano ; née en Israël, elle est elle-même vétérane du système de conscription universelle d’Israël.
Dans le paragraphe introductif, nous apprenons que parce que Toledano s’est sentie « dépouillée de tous les vestiges de sa féminité » et de son individualité au cours de son service militaire, elle a élaboré cette série de photos représentant « des femmes soldats dont le caractère girly et l’ennui propre à l’adolescence représentent une forme de protestation subtile mais indéniable ».
La qualité et la composition des images ne sont guère impressionnantes et certains pourraient même les confondre avec des publicités pour un nettoyant pour le visage. Les activités « subtiles » des filles se résument à boutonner leur chemise, regarder leur téléphone portable et être allongées sur leur lit.
Il s’agit de la deuxième fois en moins de six mois que les photos de femmes soldats israéliennes de Toledano sont publiées par VICE. Leur première apparition en mars était accompagnée d’une introduction légèrement plus longue de Maayan Goldman, qui s’extasiait devant la façon dont « ces jeunes sujets renoncent magnifiquement à se conformer [et] rayonnent tendrement de singularité ».
Goldman soutient une nouvelle fois que « dans un sens, ce sont leur caractère girly et leur ennui propre à l’adolescence qui reflètent une protestation passive et paisible contre la violence », sans toutefois parvenir à expliquer comment être complice d’une machine à tuer sophistiquée pouvait équivaloir à une protestation contre la violence et le conformisme.
Pour sûr, les milliers de Palestiniens massacrés par l’armée israélienne au cours des dernières années seulement trouveraient probablement ce « rayonnement » au sein de l’armée moins digne d’intérêt.
Une machine à tuer mixte
Peu de temps après la publication des photos de Toledano en août, Forward, un magazine américain s’adressant aux juifs américains, a publié ce qui a semblé être une critique féministe de cette démarche, intitulée « Merci VICE, mais les femmes soldats israéliennes ne sont pas que de jolis visages ».
Dans cet article, l’auteur a souligné qu’« en dépeignant les femmes photographiées comme si leur féminisme prolongé était un acte radical, VICE fétichise l’importance de leur travail ; peu importe qu’elles défendent leur pays : ce qui importe, c’est qu’elles soient belles lorsqu’elles le font ». Une telle approche, nous dit-on, contribue simplement à aggraver « les stéréotypes endémiques et le harcèlement sexuel » que les femmes subissent déjà dans l’armée israélienne.
Mais alors que les arguments contre le harcèlement, le réductionnisme sexiste et la chosification sont évidemment plus que valides, il y a un contexte essentiel qui manque ici. Et ce contexte se rapporte au fait que « la défense du pays » est un euphémisme extrême désignant la participation à une politique continue et brutale de nettoyage ethnique et aux formes liées d’oppression.
Ni les séries de photos de VICE, ni l’objection de Forward n’accordent de la place à la persécution des Palestiniens par une armée israélienne à la gâchette facile et mixte. Le spectre de la persécution s’étend seulement des femmes soldats israéliennes qui luttent pour préserver des « vestiges » de féminité aux femmes soldats israéliennes qui luttent contre les discriminations.
En revenant au plan d’ensemble, cependant, on trouvera de nombreux Palestiniens tourmentés par ce qui pourrait être considéré comme des préoccupations existentielles légèrement plus pressantes, comme lorsqu’ils assistent de chez eux à la destruction de leur maison au bulldozer ou lorsqu’ils voient les activités en plein air de leurs enfants être mortellement interrompues par des missiles israéliens.
La politique occultée
Dans une interview embarrassante accordée au Huffington Post, intitulée « Des photos magnifiques immortalisent la vie invisible des femmes soldats en Israël », Toledano évoque sa peur d’être « soudainement dépouillée de tout symbole culturel "féminin" » par l’uniforme militaire.
« Sur le plan politique, je suis opposée à l’occupation de la Palestine », a-t-elle ajouté, avant toutefois de préciser : « Je pense que la réalité des adolescentes qui intègrent le service militaire obligatoire [...] vaut la peine d’être relatée, même sans le contexte politique ».
En l’occurrence, occulter la politique dans un paysage fortement et irrémédiablement politisé est l’un des passe-temps préférés de certains secteurs de l’ordre établi israélien et des autres entités pro-israéliennes concernées.
Une manœuvre de propagande particulièrement mémorable a eu lieu en 2007 lorsque le magazine Maxim a diffusé une série de photos de membres de l’armée israélienne légèrement vêtues, accompagnée d’une question importante : « Elles sont belles à en crever et peuvent démonter un Uzi en quelques secondes. Les femmes des Forces de défense israéliennes sont-elles les femmes soldats les plus sexy au monde ? »
Sans l’ombre d’un doute, elles étaient beaucoup plus sexy que tous les cadavres qui s’étaient accumulés dans la bande de Gaza et au Liban au cours de l’été précédent, lors du dernier accès de massacre de masse auquel Israël s’était livré, une des raisons pour lesquelles l’image du pays avait besoin de quelques retouches.
Selon un article de mars 2007 du Jerusalem Post consacré à l’expédition photographique imminente de Maxim en Israël, intitulé « Israël se lance dans une campagne de communication Maxim-ale en présentant ses plus belles bombes », les responsables du ministère des Affaires étrangères israéliennes espéraient que la séance photo aurait contribué à « redéfinir [...] ce que pensent les lecteurs bourrés d’hormones du magazine quand ils entendent les journalistes de télévision dire que "la situation en Israël est bouillante" ».
Le Jerusalem Post a cité David Saranga, alors consul pour les médias et les affaires publiques au consulat d’Israël à New York, qui a présenté la campagne en ces termes : « Les mannequins israéliennes, a expliqué Saranga, sont un "cheval de Troie" permettant de présenter Israël comme un pays moderne avec de belles plages et de jolies femmes », par opposition à une terre de conflit constant.
Il n’y avait ici aucun scrupule à chosifier le corps féminin, ni à se livrer à une manipulation flagrante de l’opinion publique mondiale.
Et tandis que les chevaux de Troie en bikini et les colporteurs de « féminité provocante » attireront certainement leurs propres foules, voici un scoop pour les médias : le terrorisme d’État n’est tout simplement pas sexy.
- Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des femmes soldats israéliennes du 33e bataillon Caracal participent à une marche pour obtenir leur diplôme, dans la partie nord du désert du Néguev, dans le sud d’Israël, en mars 2013 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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