Les millions dépensés sur un mur pourraient sauver les enfants de la « Jungle »
Deux millions de livres sterling : c’est la somme que le gouvernement britannique va dépenser pour construire un mur afin d’essayer d’empêcher les gens d’entrer au Royaume-Uni depuis Calais. Celle-ci s’ajoute aux millions de livres de fonds publics britanniques qui ont déjà été dépensés en barbelés et en mesures de contrôle aux frontières au cours de l’année écoulée.
Alors que le gouvernement investit sur ces points, l’aide est à son plus bas niveau jamais observé et la nourriture vient à manquer dans le camp de réfugiés officieux connu sous le nom de « Jungle ». Il n’y a tout simplement pas assez de provisions pour subvenir aux besoins des 10 000 personnes ou presque qui vivent dans ce bidonville situé à à peine quelques encablures du Royaume-Uni. La quasi-totalité de la nourriture et de l’aide présentes dans le camp est reçue sous forme de dons et distribuée par des bénévoles. Il est étrange de penser que les réfugiés sont bien mieux pris en charge dans des pays qui, ici au Royaume-Uni, seraient qualifiés de « sous-développés ».
Il est étrange de penser que les réfugiés sont bien mieux pris en charge dans des pays qui, ici au Royaume-Uni, seraient qualifiés de « sous-développés »
Depuis la mort d’Aylan Kurdi, l’enfant syrien qui a été rejeté sur le rivage après s’être noyé en essayant de rejoindre la sécurité l’an dernier, des milliers de gens ordinaires sont venus en France depuis le Royaume-Uni pour offrir aide et soutien aux réfugiés.
Le gouvernement britannique semble ne voir aucune raison morale ou éthique de s’impliquer dans le camp, et préfère plutôt dépenser de l’argent pour construire un mur de 4 mètres en réponse à la crise de Calais.
L’intervention des bénévoles
Je suis bénévole dans la « Jungle » depuis plus d’un an ; avec un groupe de Brighton, nous avons mis en place un projet qui œuvre directement auprès des jeunes. Avant cela, nous gérions des services médicaux et une kitchenette dans le camp. Quand je suis arrivée dans la « Jungle », il n’y avait pas de service qui travaillait avec les enfants réfugiés, à ma grande consternation. Un an plus tard, il y a le Refugee Youth Service, Médecins sans frontières (MSF), le Women and Children’s Bus et notre service, l’Hummingbird Project.
Ces infrastructures ont pu être développées grâce au travail acharné et au dévouement des bénévoles et des réfugiés qui ont mis en place ces projets. Tout le monde apprend en avançant, alors que nous n’avons pour la plupart aucune expérience de crises humanitaires. Malheureusement, il n’y a eu aucune trace des grands organismes de bienfaisance qui ont des années d’expertise dans ces domaines, ni du soutien d’autres grandes organisations.
Ce que j’ai constaté chez ceux qui restent longtemps, c’est qu’ils commencent peu à peu à perdre espoir
Près de mille enfants et jeunes vivent dans le camp : la plupart d’entre eux y sont arrivés d’eux-mêmes, sans famille ni anciens pour prendre soin d’eux. Ils vivent dans des tentes, des cabanes en bois ou des containers en métal et la plupart viennent de pays comme l’Afghanistan, l’Irak, le Soudan, l’Érythrée ou l’Éthiopie. Ils ont connu la guerre, les combats, la brutalité et la perte d’êtres chers avant de fuir leur pays d’origine et de commencer leur voyage courageux vers la sécurité.
Tous ont parcouru de longues distances par tous les moyens possibles, mais la plupart du temps à pied, en bateau et en voiture. Ils sont peut-être venus avec des amis, mais généralement, ces amis sont des enfants aussi jeunes qu’eux et il n’y a personne pour s’occuper d’eux. Ce sont des enfants assez incroyables : ils sont drôles, résistants et intelligents et c’est un plaisir de travailler avec eux. Notre service engage les jeunes à travers l’art, ce qui nous permet de travailler avec eux sur des questions de sécurité et de protection de l’enfance.
La plupart des jeunes avec lesquels nous travaillons tentent de passer au Royaume-Uni en s’engouffrant dans des camions ou des trains. Presque tous n’ont jamais fait cela auparavant et ne savent pas combien de personnes sont mortes en faisant exactement la même chose. Les mois passent et ils entendent des récits d’horreur de gens qui suffoquent dans des containers hermétiques en métal, qui meurent gelés dans des camions réfrigérés, écrasés par des marchandises tombées ou renversés par des véhicules en essayant de les ralentir ou par des conducteurs frustrés et en colère.
Un espace sécurisé pour les enfants
Ceci n’est qu’une petite fraction des risques auxquels ces enfants sont confrontés chaque nuit. Certains trafiquants brutaux exigent si souvent de l’argent pour le simple fait d’entrer dans un parc à camions qu’ils doivent s’y faufiler ou chercher des moyens d’obtenir de l’argent pour les payer. Ensuite, il y a le risque d’exploitation sous toutes les formes, en particulier d’exploitation sexuelle.
Lorsqu’ils arrivent dans notre espace sécurisé, ils sont parfois épuisés, parfois reconnaissants pour l’environnement calme que nous cherchons à créer ; d’autres fois, ils sont en colère et bouleversés. Ils font de la peinture, jouent, chantent et dansent comme tous les autres enfants. Ils dessinent leur maison, des drapeaux, des fleurs, des camions, des voitures et leur famille. La plupart ont hâte de rentrer et le feraient sans hésiter une seule seconde si une menace constante ne planait pas sur eux et leur famille. Ils parlent de leur avenir, de ce qu’ils voudront faire lorsqu’ils seront grands et de leur projet pour s’éduquer et vivre avec leur famille au Royaume-Uni.
À cause de l’exigüité et des situations désespérées, les gens ont tendance à avoir l’impression de devenir fous
La plupart des gens ne restent pas plus de huit mois dans la « Jungle ». À cause de l’exigüité et des situations désespérées, les gens ont tendance à avoir l’impression de devenir fous ; pourtant, certains jeunes y vivent depuis plus longtemps.
Ce que j’ai constaté chez ceux qui restent longtemps, c’est qu’ils commencent peu à peu à perdre espoir, or l’espoir est la seule chose qui permet de continuer d’avancer. Au bout de six mois environ, on voit l’épuisement et le désespoir s’installer visiblement. Même les plus jeunes peuvent sembler vieillir sous nos yeux.
« Si je reste ici, autant être mort »
Âgé de 14 ans, Abdoul (nom d’emprunt), un des jeunes avec qui je travaille, est ici depuis un an. Au fil du temps, j’ai remarqué que ses tentatives d’entrée au Royaume-Uni sont devenues de plus en plus dangereuses. Depuis un an, il tente sans succès de s’engouffrer dans des camions, et sans argent à donner aux trafiquants, il se met encore plus en danger. Il projetait d’essayer de se faufiler dans un parc d’autocars sans être repéré par les trafiquants.
Suite à cela, trois de ses amis, également réfugiés, ont fini hospitalisés. Lorsque nous l’avons vu, il semblait assez secoué par cette expérience, mais il affirme qu’il n’a rien à perdre. Je lui ai demandé de s’asseoir pour qu’on ait une conversation franche : je lui ai expliqué que son cas nous préoccupait sérieusement et que ses actes allaient finir par le tuer. Ce qu’il a compris, avant toutefois de me répondre : « Si je reste dans la Jungle, autant être mort. »
J’ai pu renvoyer ce garçon vers Citizens UK pour que son cas soit examiné en vertu de l’amendement Dubs, le régime récemment introduit pour accorder un passage sûr aux enfants non accompagnés pris au piège à Calais. L’amendement Dubs, déposé par le membre éponyme du Parti travailliste qui est arrivé en Grande-Bretagne dans le cadre du programme Kindertransport soutenu par le gouvernement avant la Seconde Guerre mondiale, signifie que le cas d’Abdoul pourrait être envisagé en vue d’une entrée sûre et légale au Royaume-Uni en raison du temps qu’il a passé à Calais.
Un mince espoir
À ce jour, personne n’a pu entrer grâce à ce programme, donc je ne suis aucunement en mesure d’estimer les chances de succès. J’ai expliqué cela à Abdoul, en précisant toutefois que cela valait la peine d’essayer. Le reste de la journée, Abdoul était calme. J’ai vu l’espoir renaître en lui. Peut-être que pour l’instant, alors qu’il attend de savoir si son cas sera examiné, il ne mettra pas sa vie en jeu toutes les nuits.
Le Royaume-Uni semble avoir oublié que par le passé, nous avons aidé un grand nombre d’enfants réfugiés
Le Royaume-Uni semble avoir oublié que par le passé, nous avons aidé un grand nombre d’enfants réfugiés. En effet, nous sommes parvenus à sauver des milliers d’enfants juifs pendant la guerre et les avons amenés en lieu sûr au Royaume-Uni. Lord Alf Dubs en faisait partie ; aujourd’hui, il est un membre respecté de la Chambre des Lords et un défenseur des réfugiés qui a tant apporté à notre pays. La mission de sauvetage de 1938 n’a jamais fait obstacle à notre société et venir en aide aux enfants à Calais ne le fera pas non plus.
Si nous pouvons nous permettre de dépenser 2 millions de livres sterling pour construire un mur, nous pouvons nous permettre d’investir dans l’avenir des enfants comme Abdoul.
- Elaine Ortiz travaille depuis de nombreuses années dans la protection de l’enfance pour des organisations telles que la NSPCC Child Protection Helpline, dans des établissements de soins ainsi que dans l’aide aux victimes de viols (adultes et enfants) au St. Mary’s Centre de Manchester. En juin 2015, elle a mis en place l’Hummingbird Project qui œuvre directement auprès des réfugiés dans des camps du nord de la France ainsi qu’au Royaume-Uni.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des bénévoles interagissent avec les jeunes réfugiés avec lesquels ils travaillent dans l’espace sécurisé d’Hummingbird, dans la « Jungle » de Calais, en 2016 (Elaine Ortiz/Hummingbird Project).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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