Si Assad s’empare d’Alep, il y aura « un massacre partout dans la ville »
ALEP, Syrie – Les habitants de l’est d’Alep, contrôlé par les rebelles, disent craindre un massacre à l’échelle de la ville, si les forces loyales au président syrien Bachar al-Assad, et leurs alliés russes, parviennent à écraser l’opposition dans le dernier bastion urbain tenu par les rebelles.
L’armée syrienne a lancé une offensive militaire en trois phases sur les quartiers de la ville contrôlés par les rebelles ce week-end, la Russie intensifiant également ses frappes aériennes ciblant les hôpitaux, les marchés et les installations d’eau.
Selon des sources rebelles à l’intérieur de la ville, plus de 300 personnes, dont plusieurs femmes et enfants, ont été tuées en quelques jours. Il s’agit d’une des offensives les plus brutales depuis que le soulèvement contre le gouvernement a commencé il y a plus de cinq ans.
« Si le régime avance et s’empare de l’ensemble de l’est d’Alep, il y aura un massacre dans toute la ville », promet Morad Jabole, un professeur de chimie de 38 ans qui vit à Alep avec sa jeune famille depuis trois ans.
Badr Mohamed, un autre habitant le rejoint, affirmant que si l’est d’Alep venait à tomber, il n’y aurait que « davantage de bains de sang et de dévastations », alors que le gouvernement et ses alliés ont commencé à mener des attaques de représailles contre des civils au prétexte d’écraser le terrorisme.
Malgré les risques, cependant, Jabole et Mohamed estiment que les rebelles sont en mesure de tenir dans au moins certaines parties de l’est d’Alep et rejettent l’idée que la ville est sur le point de tomber.
« Je ne peux pas imaginer qu’une telle chose [Assad prenant totalement le contrôle de la ville] se produise après presque six ans de combats », confie Jabole.
Un scénario selon lequel un accord serait conclu pour que les combattants quittent la ville tandis que les civils restent, ce qui est arrivé dans d’autres régions assiégées de Syrie, est peu probable, ajoute-t-il, tout en soulignant que la situation change trop rapidement pour que les gens sur le terrain aient une idée claire de ce qui les attend vraiment.
Selon Mohamed, pour qui la ville est « plus susceptible de tomber aujourd’hui », Alep n’est pas encore perdue. Au lieu de cela, il envisage le début d’une « guerre sans fin » avec le gouvernement avançant lentement et les deux camps subissant de lourdes pertes.
Cette semaine, de nouvelles attaques sur les installations médicales ont dévasté le plus grand hôpital de l’est d’Alep et détruit plusieurs ambulances, ne laissant nulle part où aller aux mourants et aux blessés. Une centaine d’enfants au moins ont été tués en moins d’une semaine, a déclaré l’UNICEF mercredi soir.
Traduction : « C'était un centre de la défense civile qui sauve les gens, c'était une ambulance qui sauve des vies, #Alep aujourd'hui »
« Je pense que le siège se poursuivra et que le régime continuera ses attaques quotidiennes sur l’est d’Alep », affirme Mohamed à Middle East Eye. « Mais alors qu’il [Assad] pourrait reprendre certaines zones, aujourd’hui ou à l’avenir, il n’arrivera pas à prendre toute la ville. Les rebelles seront en mesure de rester dans une position leur permettant de défendre certains quartiers de la ville, et en raison de la configuration urbaine d’Alep [où de nombreux bâtiments sont proches], ils seront en mesure de défendre la ville plus facilement que nous l’avons vu dans les zones moins urbaines comme Daraya. »
La ville, juste à l’ouest de Damas, a été évacuée cet été suite à un long siège du gouvernement qui a suscité de nombreuses allégations selon lesquelles les civils ont été affamés jusqu’à ce qu'ils se rendent.
Malgré cette forte détermination à tenir face à cette nouvelle offensive, lancée après l’effondrement du cessez-le-feu suite au bombardement d’un convoi d’aide dont les États-Unis tiennent la Russie responsable en dépit des vives dénégations de cette dernière, certains à Alep confient ne pas pouvoir en endurer davantage.
Rwaa Jamal, humanitaire de 29 ans originaire de l’est d’Alep, confie vouloir partir le plus tôt possible dès qu’une porte de sortie sûre sera ouverte.
« Ces bombardements insensés me terrifient. Je n’avais jamais vu de bombardement aussi intense auparavant et je ne peux pas le supporter », raconte-t-elle. « J’ai peur de sortir pour aller chercher de la nourriture ou de l’eau, coupée [dans l’est d’Alep] pendant presque une semaine, mais je n’ai pas d’autre choix. »
Ces derniers jours, le gouvernement et ses alliés ont commencé à larguer des tracts sur l’est d’Alep, disant aux gens de partir, mais Jamal pense que ce n’est guère plus que de la communication.
« Je considère ces tracts comme une menace, nous enjoignant à quitter la ville », explique-t-elle. « Ce n’est pas un sympathique appel de notre gouvernement nous enjoignant à revenir vers lui. Je n’y crois pas. C’est un non-sens. S’ils étaient vraiment sérieux, ils arrêteraient les bombardements et nous ouvriraient une route humanitaire pour partir et aller où nous voulons. Au lieu de cela, ils font semblant d’avoir ouvert une route pour les civils, tout en nous bombardant. »
En août, la Russie et le gouvernement syrien ont annoncé un cessez-le-feu temporaire et ont dit qu’ils allaient ouvrir des couloirs humanitaires pour le départ des civils mais ces promesses ne se sont pas concrétisées. Les témoignages rapportent que les routes pour sortir des quartiers rebelles d’Alep ont été soit bloquées, soit bombardées. Encore une fois, le gouvernement et la Russie ont blâmé les rebelles, tandis que les rebelles blâmaient le gouvernement.
Depuis lors, le siège du gouvernement d’Alep n’a fait que se renforcer, de même que les bombardements sont devenus plus intenses.
Traduction : « Le meurtre d'innocents à Alep doit cesser. 96 enfants tués et 223 enfants blessés dans des attaques cette semaine à #Alep, #Syrie. Chacun est une fille ou un fils »
Jabole explique même si la guerre se prolonge et que la situation se détériore, il a choisi de rester à Alep parce qu’il n’a jamais vécu ailleurs.
« C’est là qu’est ma place. Je suis né ici », souligne-t-il. « Mais la situation s’aggrave de jour en jour et si cela continue, je pense qu’il serait préférable que je parte pour revenir quand la guerre sera terminée. »
Shade Derar, 41 ans, est propriétaire d’un magasin dans le quartier al-Zebdia qui a subi des bombardements massifs ces derniers jours. Il se sent immunisé contre les tracts et les appels du gouvernement à abandonner les quartiers rebelles d’Alep pour l’ouest, sous son contrôle.
« Le régime fait cela depuis plus de deux ans maintenant, nous demandant d’aller à son côté ou de faire face aux conséquences d’un bombardement qui se déchaînera contre tous ceux qui restent », raconte-t-il. « Mais il nous pilonne depuis plus de quatre ans. Avant nous avions le choix mais depuis le siège, nous n’avons plus aucun moyen de sortir. »
« Même si nous avions pu sortir, je ne crois pas que notre vie serait meilleure. Je ne pense pas qu’ils me mettront en prison, mais ils ne tiendront pas leurs promesses de nous offrir une vie agréable ou des maisons propres, et les conditions seront aussi mauvaises qu’elles le sont ici. Quelqu’un de ma famille s’est rendu dans la zone gouvernementale avant le siège. Il m’a dit qu’on leur avait donné quelques produits de base au début, mais qu’ils ont rien eu depuis et qu’il n’y avait pas d’eau, de nourriture ou de médicaments dans le camp où ils ont été placés. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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