À Alep, un sanctuaire pour chats nourrit les animaux et redonne le sourire aux enfants
ALEP - Alors que des milliers de personnes ont été contraintes de fuir la zone est d’Alep au cours des dernières années, la plupart laissant derrière elles tout ce qu’elles possédaient, Mohammad Alaa Aljaleel a constaté que le nombre de chats abandonnés n’avait de cesse d’augmenter.
Employé de maintenance jusqu’en 2012, date à laquelle la guerre s’est abattue sur la ville où il résidait, cet amoureux des chats a aujourd’hui construit un petit jardin pour accueillir les animaux.
À l’origine, le sanctuaire pour chats n’était qu’une initiative modeste : un petit espace à l’extérieur de sa maison où il pouvait nourrir les animaux affamés, clôturé afin de protéger les chats orphelins des chiens errants.
« Au début, il n’y avait que quinze chats dans la maison, mais j’ai fini par recueillir au fil des années plus de 150 chats venant de toute la ville », a-t-il expliqué à Middle East Eye.
« Et tous les jours, de nouveaux animaux nous rejoignent, certains d’entre eux ne viennent que pour manger puis repartent passer la nuit ailleurs », mais ce sont environ 100 chats qui dorment chaque nuit dans la maison.
Totalement paralysée par l’état de siège qui y règne depuis juillet, même si celui-ci a été brisé pendant à peu près un mois, la zone est d’Alep est également la cible d’une campagne de bombardements sans précédent de la part du gouvernement syrien et de la Russie, ayant fait plus de 358 morts depuis la rupture du cessez-le-feu négocié par les États-Unis et la Russie.
Les écoles ont été fermées par intermittence, et il devient de plus en plus difficile de se fournir en nourriture, médicaments et carburant.
C’est dans ce contexte, et grâce à des dons venus du monde entier, que Mohammad a décidé de transformer le sanctuaire pour chats en terrain de jeu afin de subvenir aux besoins des animaux, tout en offrant aux enfants d’Alep la possibilité de s’amuser et d’oublier l’espace d’un instant les inquiétudes qui les habitent au quotidien.
« Cela représentait une somme d’argent suffisante pour agrandir et améliorer la maison des chats. Dehors, dans le jardin, j’ai planté de nouveaux arbres, et installé des balançoires et des balançoires à bascule. »
« Des enfants venant des environs, mais aussi d’autres quartiers, viennent maintenant pour jouer dans le parc et dans la maison des chats », a-t-il ajouté.
Alors que la nouvelle de sa démarche se répandait, des dons ont commencé à affluer d’Europe, d’Amérique du Sud et des États-Unis, à l’initiative d’Alessandra Abidin, une Libano-Italienne.
« Ernesto, mon chat adoré, est décédé l’année dernière, et je voulais faire un don en sa mémoire », a-t-elle indiqué à MEE.
« Il était comme mon bébé, je l’aimais tellement. »
Après une recherche rapide, elle est tombée sur le nom de Mohammad et a découvert son sanctuaire pour chats sur Facebook.
« Je lui ai donc écrit pour lui dire que je souhaitais l’aider en lui faisant un petit don en mémoire de mon chat, et il m’a répondu qu’un grand nombre de personnes avaient fait de même pour lui demander comment ils pouvaient lui faire parvenir leurs dons », a expliqué Alessandra Abidin, violoniste professionnelle qui enseigne également la musique à des réfugiés.
« Mais du fait de la barrière de la langue et de la situation en Syrie, il était très difficile d’envoyer de l’argent dans ce pays », a-t-elle continué. Elle a ainsi proposé d’épauler Mohammad pour coordonner la collecte des dons.
À l’heure actuelle, environ 70 personnes envoient leurs dons tous les mois, « des personnes bienveillantes et attentionnées, qui portent un intérêt à l’humanité », comme Mohammad aime à les décrire, et des centaines d’autres ont fait des dons ponctuels.
En quête de nourriture
Lorsqu’il a commencé à nourrir les chats errants il y a trois ans, Mohammad pouvait acheter aux bouchers des restes de viande pour environ 4,5 € par jour. Mais il n’en a aujourd’hui plus la possibilité : du fait de l’état de siège total qui règne dans la zone est de la ville, la viande fraîche est devenue un luxe rare, même pour les humains.
« Il n’y en a désormais pas assez pour les hommes, alors pour les chats… Je les nourris donc avec ce que ma famille et moi-même mangeons », a-t-il précisé.
« Je cuisine du riz pour eux et je le mélange avec de la mortadelle (une spécialité de charcuterie italienne) afin qu’ils puissent au moins sentir le goût de la viande. »
Mais malgré tous ses efforts culinaires, les chats ne s’y trompent pas.
« Ils ne mangeaient pas les trois premiers jours, mais peu à peu tiraillés par la faim, ils ont commencé à aimer ça. »
Mohammad Aljaleel offre aujourd’hui à chaque chat un repas par jour, « pour qu’ils puissent survivre aussi longtemps que possible comme nous ne savons pas combien de temps durera le siège ».
Actuellement, le montant des dons reçus est tel qu’il couvre le coût de la nourriture des chats, mais il permet aussi à Mohammad de venir en aide à d’autres personnes.
En plus d’avoir aménagé l’espace de jeu pour les enfants, il dispose d’environ trois mois de réserves de nourriture qu’il distribue aux plus démunis.
« Nous aidons principalement des orphelins et des veuves qui ne peuvent d’aucune façon se procurer de la nourriture », a-t-il signalé.
Cela inclut Ibrahim, depuis peu orphelin suite au décès de son père, « le dernier fleuriste d’Alep », afin qu’il puisse nourrir ses frères et, avec un peu de chance, qu’il reprenne l’activité professionnelle de son père.
Le surplus d’argent a également permis à Mohammad Aljaleel de creuser des puits en libre accès et d’acheter deux camionnettes pour son activité d’infirmier volontaire.
Disponible sur simple appel, 24 heures sur 24, Mohammad transporte les personnes décédées et blessées vers le centre médical le plus proche, mais les camionnettes manquent d’un équipement adapté.
« En ce moment, cela m’occupe une bonne partie de la journée, car les bombardements se sont intensifiés », a-t-il expliqué.
« Je suis susceptible de partir à tout moment. Dès que je reçois un appel m’informant de l’explosion d’une bombe, je m’y rends. L’ensemble des dons sont donc utilisés pour des actions humanitaires, que ce soit la maison des chats ou le transport de personnes vers le centre médical le plus proche. »
La perte d’un chat
Les chats n’ont pas été épargnés par les bombardements.
Lorsqu’une chatte blessée a été trouvée dans les décombres d’un bâtiment détruit il y a quelques mois, un Casque blanc de la Défense civile a amené l’animal à Mohammad Aljaleel, dont l’amour des chats est localement connu.
La chatte saignait et l’une de ses pattes était cassée ; Mohammad a fait une heure de route, dans la nuit, pour qu’elle puisse être examinée par un vétérinaire qui se trouve à l’extérieur de la ville. C’était avant que la zone est d’Alep ne soit pleinement assiégée.
« Il s’est occupé d’elle et elle s’est remise de ses blessures, puis je l’ai ramenée avec moi », se souvient-il.
« Lorsque cette chatte a enfin été guérie, ce fut un moment très émouvant. J’ai ressenti la même chose que si j’avais sauvé une vie humaine. » Mais désormais le siège a complètement isolé l’est de la ville et il est difficile de trouver un médecin, et encore plus un vétérinaire. Il reste moins de 30 médecins pour près de 275 000 personnes.
Mohammad Aljaleel est dans l’impossibilité de castrer et de stériliser les chats, et ils se reproduisent à un rythme effréné, souligne-t-il, mais les mères sont souvent tellement sous-alimentées qu’elles ne s’occupent pas de leur portée.
« Nous perdons un grand nombre de chatons parce que les mères abandonnent leurs petits et ceux-ci se font manger par les chiens errants, mais aussi parce qu’elles-mêmes ne mangent pas suffisamment et qu’elles ne peuvent pas produire de lait pour nourrir les chatons. »
Les cafés à chats rencontrent peut-être un énorme succès de Tokyo à Londres, mais Mohammad insiste sur le fait que son initiative est la première du genre en Syrie et au Moyen-Orient : il a créé un espace public où les enfants peuvent jouer et passer du temps avec des chats abandonnés, qui y sont nourris et soignés.
Son rêve serait de pouvoir exporter son projet de parc à chats partout dans le monde.
« Je prévois de l’agrandir et de partager cette fantastique expérience avec de nombreux autres pays du monde. Un jour, je souhaiterais pouvoir aménager un parc entier dédié aux chats de la ville, où les gens pourraient amener leurs enfants jouer avec leurs amis félins et apprécier leur week-end. Ça, c’est mon rêve. »
Imperturbable face à la guerre et aux destructions qu’elle a causées, Mohammad Aljaleel continue à se dévouer corps et âme à sa ville et à ses chats.
« Je ne veux pas quitter la ville ou fuir mon pays comme tant de mes amis l’ont fait. Je veux rester ici, avec mes voisins qui se battent encore et les aider, mais aussi avec les chats. »
Traduction de l’anglais (original).
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