Apocalypse now : les Irakiens suffoquent tandis que les gisements de pétrole sont incendiés par l’EI
QAYYARAH, Irak – Lorsque les militants de l’État islamique se sont vus chassés de la petite ville sunnite de Qayyarah, le gouvernement irakien a loué le courage des quelque 13 000 habitants qui n’ont pas quitté la ville pendant les affrontements.
Parce qu’ils ont fait le choix de ne pas fuir face à l’occupation de l’État islamique, ils n’ont pas contribué à alimenter la crise causée par les déplacements de population toujours plus nombreux en Irak. Ils ont également fait preuve d’une détermination sans faille et n’ont pas reculé devant la brutalité du groupe terroriste le plus détesté au monde.
Mais si les maraudeurs n’ont pas réussi à faire fuir les habitants de la ville à majorité sunnite, il semblerait bien que les émanations toxiques émises suite à des actes violents perpétrés par l’État islamique pourraient bien y parvenir.
En quittant la ville, les quelques combattants de l’organisation qui étaient restés sur place ont mis le feu aux champs pétrolifères des environs. De taille modeste, en particulier si on les compare aux autres gisements présents en Irak, ces champs produisent environ 10 000 barils de pétrole lourd sulfureux par jour, selon Patrick Osgood du média en ligne Iraq Oil Report.
Essentiellement conservé à des fins de production nationale, le gisement de pétrole représentait une source importante d’emplois pour plusieurs centaines d’habitants de la ville, sans compter les milliers de personnes qui dépendaient financièrement de l’emploi de leurs proches dans cette industrie.
D’après Patrick Osgood, le pétrole qui part en fumée chaque jour représente environ 150 000 dollars, pour un seul champ pétrolifère. Il s’en dégage un épais panache de fumée noire qui donne à toute la ville des allures d’apocalypse.
La présence de ces militants a aussi pour but de marquer les esprits, de rappeler que l’État islamique est toujours une menace. Ainsi, si l’on s’égare aux abords de la ville, on peut très clairement discerner le bruit des mitrailleuses et voir, disséminées un peu partout, les carcasses calcinées des voitures piégées. L’armée irakienne se trouve à tout juste quelques centaines de mètres des portes de la ville.
Un habitant, qui se fait appeler Ahmed, explique pourquoi il a choisi de ne pas quitter la ville : « Lorsqu’ils sont arrivés à Qayyarah, ils exécutaient des gens dans la rue. Ils ont tué mon frère. Je suis resté pendant tout ce temps parce que c’est chez moi. L’État islamique n’existera pas éternellement et je savais que nous devions rester pour reconstruire Qayyarah, pour reconstruire l’Irak, pour que notre pays continue d’exister bien après l’extermination de Daesh (EI). Il en allait de ma responsabilité. »
Mais aujourd’hui, malgré son caractère stoïque, il envisage lui aussi de partir. « Chaque matin, je me lève et je me sens mal. Je ne fais que tousser. L’EI ne m’a pas tué, mais je crains que les panaches de fumée y arrivent. »
Libérés mais intoxiqués
Ahmed n’est pas le seul. Plusieurs centaines d’habitants de la ville ont été hospitalisés à la suite de difficultés respiratoires liées aux émanations de fumée, et ces dernières auraient entraîné pas moins de 30 décès.
Bien que la ville de Qayyarah ait été libérée, ses habitants commencent désormais à fuir. Ils craignent que la fumée toxique parvienne à faire ce que l’organisation État islamique n’a jamais réussi à faire.
Dans la zone, les cliniques médicales rouvrent, mais elles manquent de ressources pour combattre les effets de l’inhalation de fumée, en particulier de bouteilles d’oxygène, et ont tendance à donner la priorité au soin des blessures de guerre.
L’une des personnes ayant déjà fui les panaches de fumée se prénomme Muna. Elle est rentrée chez elle, à Qayyarah, après la libération de la ville mais n’y est pas restée. Elle a rejoint, au bout de deux jours, un camp de fortune installé dans la banlieue d’Erbil. « Il n’y a plus rien pour moi là-bas », a-t-elle déclaré. « Mon mari est parti et je ne peux pas y vivre une vie paisible. Je ne vais pas élever mes enfants dans une ville empoisonnée. »
Elle a ainsi ajouté : « Même sous Daech, nous pouvions faire en sorte de ne pas nous attirer d’ennuis. Nous restions enfermés chez nous et priions lorsqu’ils nous l’ordonnaient, mais il est impossible de se cacher de la fumée. Lorsque je suis revenue chez moi, je passais mon temps à tousser, les médecins ne pouvaient rien y faire, ils ne pouvaient pas m’aider. Je devais m’aider moi-même. »
Même si aucune mesure officielle n’a jusqu’à présent été effectuée, le géologue consultant Timothy Atkin indique que les niveaux atteints sont très certainement supérieurs aux valeurs limites définies par les États-Unis en termes d’émission de polluants. Selon lui, « à de tels niveaux, les agents polluants causant dans un premier temps essentiellement des toux et des maux de tête peuvent se révéler instantanément dangereux pour la santé ».
Aucun signe ne laisse présager une amélioration de la situation. Au Koweït, lors de la première guerre du Golfe, Saddam Hussein et son armée avait mis le feu à certains des plus importants puits de pétrole du pays. Le plus grand d’entre eux avait brûlé sans interruption pendant plus de 10 mois, et l’ensemble des incendies n’avaient pu être éteints qu’avec l’aide de plusieurs équipes de spécialistes venant des États-Unis.
Mais il ne semble pas qu’une telle intervention soit envisagée pour venir à bout des incendies de Qayyarah ou d’ailleurs. Comme le signale Patrick Osgood du Iraq Oil Report : « Les tirs de roquette et de mortier continuent dans la zone ; le contexte sécuritaire empêche donc de combattre les incendies dans les environs, ce qui n’est pas sans conséquence sur le pompage de l’eau au niveau des têtes de puit. »
Au cours des jours qui ont précédé la visite de MEE, au moins trois voitures ont explosé dans l’enceinte de la ville. Par chance, les véhicules remplis d’explosifs ont pu être stoppés en périphérie de la ville mais la menace est toujours bien présente. La situation devait certes être maintenue sous un semblant de contrôle mais il s’avère que les autorités n’ont, pour le moment, toujours pas les moyens de lutter contre ces attaques.
Osgood précise : « La North Oil Company ne dispose probablement pas des équipements nécessaires pour lutter contre un incendie d’une telle violence et d’une telle envergure. Il est d’ailleurs probable que seul un petit nombre d’entreprises en soient capables. Le gouvernement irakien a affirmé avoir progressé quant à l’extinction des incendies, mais en réalité tous les puits [qui ont été] incendiés brûlent toujours. Pendant ce temps, l’Irak fait pression sur les États-Unis afin qu’ils leur viennent en aide, mais personne n’enverra d’hommes sur le terrain tant qu’ils courent le risque d’être brûlés ou tués par une autre explosion. En résumé, tant que la zone ne sera pas sécurisée, les incendies continueront leur expansion, peut-être pendant des semaines. »
Des panaches de fumée visibles depuis l’espace
Dernièrement, la situation a pris une tournure encore plus meurtrière. En battant en retraite, les militants de l’EI ont incendié une partie de l’usine de soufre de Mishraq, l’une des plus importantes de la région. Du dioxyde de soufre et du sulfure d’hydrogène, deux gaz nocifs, sont désormais aussi relâchés dans l’air sous forme de panaches de fumée visibles depuis la station spatiale internationale. Les autorités locales affirment qu’au moins deux personnes sont mortes et plus de 30 entres autres ont été hospitalisées.
Les vents changeants ont poussé les émanations de fumée jusqu’à la base aérienne de Qayyarah, où des centaines de militaires américains ont été contraints de s’équiper de masques à gaz.
L’armée irakienne a elle aussi dû fournir à son personnel présent dans les environs des respirateurs mais à dire vrai, c’est la population locale qui court le plus grand risque. Seule une minorité d’entre eux disposent de masques à gaz ou réalisent les dangers que présentent de telles fumées.
Le simple fait que le vent change soudainement de direction peut par ailleurs compromettre les chances de l’opération visant à libérer Mossoul. Les lignes de front à proximité, situées à l’est de la ville, sont en grande partie défendues par les forces kurdes peshmergas, et peu d’entre eux possèdent un équipement approprié pour se protéger des fumées toxiques et poursuivre cette opération dans de telles circonstances.
La menace de pluies acides
Les deux formes de pollution, à savoir les épais panaches de fumée noire dégagés par le pétrole en feu et les émanations chimiques de l’usine de soufre, présentent en outre des risques sérieux pour l’environnement irakien à long terme.
Comme le signale Timothy Atkins, « lorsque du dioxyde de soufre est mélangé à de l’eau, il peut se former de l’acide sulfurique qui, une fois dans l’atmosphère, peut être à l’origine de pluies acides ». L’hiver approche à grands pas en Irak et cette saison voit environ 90 % des précipitations annuelles du pays ; le risque est donc grandissant et mortel.
Mais le danger ne se limite pas aux possibles conséquences néfastes sur la santé. Il est probable que les pluies acides détruisent une grande partie de la végétation dans la zone touchée, tandis que le manque d’ensoleillement du fait des panaches de fumée présente des risques similaires tant pour la végétation que pour les habitants.
Qayyarah a certes été libérée des mains de l’organisation État islamique mais il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, les menaces les plus dangereuses pour la population et les autorités sont tout sauf un lointain souvenir. Peut-être est-ce un aperçu des défis que devra affronter l’Irak post-EI.
Traduit de l'anglais (original).
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