La menace John Bolton pour la politique de Trump au Moyen-Orient
Les propos post-électoraux formulés la semaine dernière par le président élu Donald Trump et un de ses conseillers de campagne sur la politique au Moyen-Orient ont provoqué des spéculations quant à savoir si Trump allait bouleverser deux grandes lignes de politique étrangère de l’administration Obama au Moyen-Orient.
Mais la question la plus décisive sur l’avenir de la politique américaine vis-à-vis de la région concerne les personnes que Trump choisira pour son équipe de sécurité nationale – et surtout s’il nommera John Bolton au poste de secrétaire d’État. Bolton, l’un des membres les plus notoires de l’équipe de Dick Cheney qui complotait les guerres dans l’administration George W. Bush, ferait certainement pression en faveur de l’annulation effective du principal obstacle politique à une confrontation américaine avec l’Iran : l’accord multilatéral sur le nucléaire de 2015.
Trump a suscité un léger remous en accordant une interview au Wall Street Journal jeudi dernier, dans laquelle il a réitéré ses critiques contre l’implication de l’administration Obama dans la guerre contre Assad en Syrie et soutenu une coopération avec la Russie contre le groupe État islamique.
De même, un conseiller en politique étrangère de la campagne de Trump autrefois lié à une milice chrétienne extrémiste sectaire au Liban, Walid Phares, a laissé entendre dans une interview accordée à la BBC que Trump exigerait que l’Iran « modifie [quelques] points » de l’accord et que « l’accord tel qu’il se présente aujourd’hui [...] ne ser[ait] pas accepté par une administration Trump ».
La signification de cette interview est cependant très floue. Trump s’est lui-même gardé de menacer de prendre une telle mesure pendant la campagne, en dénonçant l’accord nucléaire comme étant « désastreux » tout en évitant toutefois de promettre d’y renoncer, à l’instar de ses rivaux républicains Ted Cruz et Marco Rubio. Dans son discours à l’AIPAC, Trump a tonné contre l’accord mais a promis de l’appliquer strictement et de tenir l’Iran « responsable » de celui-ci.
Trump a toujours accepté l’animosité officielle de longue date des États-Unis à l’égard de l’Iran, mais n’a donné jusqu’à présent aucun signe qu’il avait l’intention de provoquer une crise inutile avec l’Iran.
Quoi qu’il en soit, les propres vues de Trump ne seront que le point de départ de l’élaboration des politiques sur la Syrie et l’Iran. Son équipe de sécurité nationale aura le pouvoir d’initier des propositions de politique ainsi qu’un pouvoir de veto effectif sur les préférences de Trump en matière de politique étrangère. C’est pourquoi les choix de nominations de Trump pour les postes clés de la sécurité nationale seront certainement le facteur crucial qui déterminera quelles lignes politiques émergeront finalement de ces questions – et c’est aussi pourquoi la possibilité réelle de la nomination de Bolton au poste de secrétaire d’État représente aujourd’hui la plus grande menace pour la paix internationale et la sécurité.
Barack Obama est devenu président avec la ferme intention de retirer les forces de combat américaines d’Irak dans un délai de seize mois, comme il l’avait promis pendant sa campagne. Mais à la fin du mois de janvier 2009, lors de sa toute première rencontre avec le général David Petraeus, commandant en chef du CENTCOM, le secrétaire à la Défense Robert M. Gates et l’amiral Mike Mullen, chef d’état-major des armées, Petraeus et ses deux alliés ont poussé Obama à revenir sur son engagement en soutenant que celui-ci n’était pas réaliste.
Au final, Obama a accepté un plan conçu par les responsables de l’armée et du Pentagone en vertu duquel les brigades de combat allaient rester en Irak longtemps après août 2010, date limite fixée par Obama, pour un retrait sans réduction de la capacité de combat. Elles se sont simplement vu confier des tâches supplémentaires consistant à conseiller et à assister les unités militaires irakiennes et ont été rebaptisées « brigades de conseil et d’assistance ».
Plus tard en 2009, l’équipe de sécurité nationale d’Obama, dont faisait partie la secrétaire d’État Hillary Clinton, a fait pression en faveur d’une escalade militaire importante en Afghanistan en 2009 et 2010. Obama n’a pas adhéré aux arguments de Petraeus, Gates et Mullen en faveur d’une augmentation énorme des troupes américaines en Afghanistan. Avec le vice-président Joe Biden, il a soutenu que l’implosion du Pakistan était un problème beaucoup plus important que l’Afghanistan et qu’il n’y avait aucune preuve d’une menace d’un retour d’al-Qaïda en Afghanistan. Cependant, la coalition de guerre a divulgué à la presse que la Maison Blanche ignorait une nouvelle évaluation des services de renseignement selon laquelle les talibans afghans auraient invité al-Qaïda à retourner dans le pays s’ils gagnaient la guerre.
En réalité, la communauté du renseignement n’avait pas produit une telle évaluation, mais les partisans d’un effort considérable de contre-insurrection en Afghanistan ont démontré leur capacité à se servir des médias pour augmenter le coût politique du choix d’Obama de résister à leur exigence. Obama a cédé au sujet des troupes supplémentaires en imposant de nouveau une date limite pour leur retrait et, sept ans plus tard, les États-Unis sont encore engagés dans une guerre perdue en Afghanistan.
Ces épisodes largement inconnus soulignent à quel point Donald Trump sera vulnérable aux pressions que son équipe de sécurité nationale exercera pour soutenir des politiques avec lesquelles il pourrait être en désaccord – à moins qu’il choisisse des personnes qui partagent ses préférences politiques. Mais Trump a un problème particulier à cet égard. En effet, il a déjà éloigné pratiquement toute l’élite de la sécurité nationale du Parti républicain en attaquant des vaches sacrées telles que l’OTAN, tout comme il a été boycotté par le corps des hauts responsables de l’administration George W. Bush – à l’exception de Bolton.
Ces épisodes largement inconnus soulignent à quel point Donald Trump sera un président vulnérable
Bien qu’il soit principalement connu pour son rôle d’ambassadeur américain aux Nations unies au sein de l’administration George W. Bush, il avait précédemment occupé le poste de sous-secrétaire d’État chargé du contrôle des armements et de la sécurité internationale de 2001 à 2004.
Bien que ce récit n’ait jamais été couvert par les grands médias, j’ai raconté dans mon histoire de la question du nucléaire iranien comment Bolton, avec l’approbation totale du vice-président Dick Cheney et en coordination avec Israël, a commencé en 2003 à mettre en œuvre une stratégie dont l’objectif final était de manœuvrer pour engager les États-Unis dans une confrontation militaire avec l’Iran. La stratégie reposait sur l’accusation selon laquelle la République islamique menait un programme d’armement nucléaire secret.
Bolton et Cheney ne sont pas parvenus à obtenir leur guerre avec l’Iran et Bolton a été envoyé aux Nations unies lors du second mandat de Bush. Néanmoins, il n’a jamais cessé de parler de la nécessité pour les États-Unis de bombarder l’Iran. Dans une tribune du 14 novembre pour le New York Post, Bolton a appelé Trump à « abroger » l’accord nucléaire le premier jour de son mandat. Selon des informations rapportées la semaine dernière, il veut être secrétaire d’État dans le but de mener une telle politique et son profil est sérieusement envisagé.
Sa nomination au poste de secrétaire d’État serait une invitation ouverte à comploter davantage au sein de l’administration Trump en faveur de la guerre contre l’Iran que Bolton souhaite toujours aussi ardemment.
Bolton ne serait pas nécessairement en première ligne des pressions pour une confrontation militaire directe avec l’Iran portant sur la question du nucléaire, dans la mesure où l’armée américaine exercerait probablement son droit de veto contre toute politique qui risquerait de lancer une guerre contre l’Iran. Il pourrait néanmoins provoquer une crise avec l’Iran en sabotant l’accord en lui-même. Il commencerait par essayer de faire en sorte que Trump cesse d’utiliser son pouvoir de dérogation présidentielle pour appliquer ses dispositions sur la levée des sanctions contre l’Iran.
Bolton n’a jamais cessé de parler de la nécessité pour les États-Unis de bombarder l’Iran
Dans des circonstances normales, Bolton n’aurait jamais eu l’opportunité de reprendre son rôle de provocateur de guerre ; toutefois, la situation politique actuelle est tout sauf normale. Il y a un danger très réel de voir l’équipe de transition de Trump se tourner vers lui en ne voyant aucune alternative parmi les suspects habituels.
La seule alternative est de se tourner vers un diplomate chevronné qui n’a pas occupé de poste haut placé de la sécurité nationale dans une administration républicaine. Et si le choix pour les autres postes haut placés n’est pas déterminé par le but d’éviter le genre de confrontation que Bolton essaierait de provoquer, il pourrait vraisemblablement y accéder.
Ainsi, la désintégration de l’ordre politique contrôlé par les anciennes élites démocrates et républicaines pourrait engendrer de nouvelles menaces de guerre, à moins que Trump et ses conseillers aient la sagesse de voir la nécessité d’éviter ces menaces lorsqu’ils devront choisir leurs responsables de la sécurité nationale dans les prochains jours.
- Gareth Porter, journaliste d’investigation indépendant, fut le lauréat 2012 du prix Gellhorn du journalisme. Il est l’auteur d’un livre, récemment publié : Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (Une crise fabriquée de toutes pièces : les origines secrètes de la hantise d’un Iran nucléaire).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : l’ancien ambassadeur John Bolton discute avec Andrew Wilkow dans son émission « The Wilkow Majority », à la Quicken Loans Arena de Cleveland (Ohio), le 20 juillet 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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