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Entre « asphyxie » et « pressions », RSF s'inquiète pour la liberté de la presse en Algérie

Pressions politiques, judiciaires et économiques : selon le nouveau rapport de Reporters sans frontières (RSF) paru ce jeudi, de plus en plus de contraintes ont contribué depuis deux ans à museler les médias algériens
Affiche de solidarité pour la libération de Mehdi Benaïssa, un des responsables de la chaîne KBC du groupe de presse El Khabar, placés en détention provisoire du 24 juin au 18 juillet 2016 pour « fausses déclarations » concernant des autorisations de tournage (Facebook)
Par MEE

La mort en détention du journaliste Mohamed Tamalt le dimanche 11 décembre n’aura rien fait pour éclaircir le tableau déjà très sombre sur la liberté de la presse en Algérie.

Dans son dernier rapport, publié ce jeudi, « Algérie : la main invisible du pouvoir sur les médias », Reporters sans frontières (RSF) dresse la liste de tous les obstacles à une information libre et indépendante et à un véritable pluralisme d’opinions, qui relèguent l’Algérie à la 129e place (sur 180) au classement mondial 2016 de la liberté de la presse.

Le secteur qui en souffre le plus depuis deux ans est sans doute celui de la presse écrite, étranglée « par la conjoncture politique et économique défavorable ». « Les 150 titres que compte l’Algérie choisissent souvent une ligne éditoriale peu – voire pas du tout – critique envers les dirigeants et leur action pour assurer la viabilité de leur entreprise médiatique, dépendant en grande partie de la publicité », relève le rapport.

La situation est à peine meilleure pour le secteur audiovisuel malgré des réformes engagées à partir de 2012 pour ouvrir le champ audiovisuel algérien au secteur privé après des décennies de verrouillage. « Seules cinq (Dzair TV, Ennahar TV, El Djazair, Echourouk TV et Hogar TV) ont obtenu en avril 2013 l’agrément leur permettant d’ouvrir des bureaux à Alger, agrément qui n’a d’ailleurs pas été renouvelé après la fin de cette même année », précise RSF.

Hassan Bouras est en prison pour avoir publié une vidéo où trois témoins dénoncent à visage découvert des faits graves de corruption impliquant des hauts responsables de l’appareil judiciaire et sécuritaire de la ville d’El Bayadh, dans l’ouest algérien. Hassan Bouras a été condamné à un an de prison ferme sur la base du code pénal pour « outrage à corps constitués », entre autres.

Face à l’information officielle relayée par une dizaine de titres de presse, cinq télévisions et huit radios nationales, les « journalistes-citoyens », très présents sur les réseaux sociaux et sur YouTube où ils partagent photos et vidéos sont de plus en plus nombreux.

Mais ils sont un « sujet d’inquiétude pour les autorités algériennes », regrette RSF. « Celles-ci n’hésitent pas à les poursuivre sur la base du code pénal en l’absence d’une législation protectrice ».

Le code pénal est, selon RSF, un des outils utilisé par le gouvernement pour faire pression. « Le ministère public est à l’origine de la plupart des poursuites engagées contre les journalistes et journalistes-citoyens au cours de ces deux dernières années. Le recours au code pénal est systématique, notamment en raison du fait que les infractions liées au droit d’informer – à savoir la diffamation, l’outrage et l’injure – sont prévues dans le code pénal et punies de peines allant de deux mois à cinq ans de prison et de 1 000 DA à 500 000 DA (de 10 à 4 000 euros).

VIDÉO : Sit-in en juillet dernier pour la libération de Mehdi Benaissa et Ryad Hartouf, responsables de la chaîne KBC du groupe de presse El Khabar, placés en détention provisoire du 24 juin au 18 juillet 2016 pour « fausses déclarations » (article 223 du code pénal) concernant des autorisations de tournage. Leur détention était pourtant illégale, aux termes des derniers amendements apportés au code de procédure pénale, puisque la peine maximale encourue pour ce délit était de trois ans de prison.

Autre moyen de pression : la bureaucratie. « Absence d’autorisations de tournage, présentation de dossiers incomplets, non conformité des statuts des médias notamment audiovisuels avec les lois en vigueur, sont régulièrement invoqués par le gouvernement pour justifier la suspension d’une émission ou d’un média, l’interdiction d’accès aux locaux d’un journal ou encore la saisie du matériel d’une télévision, énumère le rapport. Ces blocages au nom d’une bureaucratie souvent lourde et incompréhensible pour les médias visent systématiquement ceux qui sont critiques à l’endroit du gouvernement. Les décisions des autorités sont d’ailleurs sans appel ».

Enfin, RSF évoque les pressions politiques, en particulier sur ceux qui se sont opposés à la réélection d’Abdelaziz Bouteflika en 2014, comme les quotidiens El Khabar et El Watan. « Les pressions se manifestent principalement par des menaces verbales de hauts dirigeants algériens, des restrictions au droit d’informer pour les médias étrangers et, phénomène assez nouveau, des campagnes de diffamation et menaces graves à l’encontre de journalistes menés sur internet et les réseaux sociaux ».

Dessin du caricaturiste Le Hic paru en 2009 lors de la réélection d’Abdelaziz Bouteflika pour un troisième mandat

Problème : en plus du pouvoir politique, un autre pouvoir pèse déjà fortement sur le paysage médiatique : celui des « hommes d’affaires qui s’intéressent de plus en plus aux médias ». Parmi eux : Issaad Rebrab, classé parmi les 10 plus grosses fortunes d’Afrique par le magazine Forbes détient le quotidien Liberté, qui a cherché à racheter le quotidien El Khabar. Ou encore Ali Haddad, président du puissant Forum des chefs d’entreprises (FCE), à la tête d’un florissant groupe de BTP, propriétaire de deux chaînes de télévision Dzaïr TV et Dzaïr News TV et de deux quotidiens, Le Temps d’Algérie et Wakt El-Djazaïr.

« Cette tendance, qui laisse craindre la naissance d’une oligarchie médiatique au service d’intérêts économiques ou politiques occultes, est d’autant plus inquiétante qu’elle est difficilement quantifiable vu l’absence de transparence au sujet des propriétaires des médias ».

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