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L’accord énergétique qataro-russe qui pourrait ouvrir la voie vers la paix en Syrie

Le récent investissement qatari dans la plus grande compagnie pétrolière de Russie pourrait signaler un compromis diplomatique, dans la mesure où Doha se rend compte qu’Assad est peut-être là pour rester

La Qatar Investment Authority, associée au négociant de matières premières Glencore, a récemment acheté une participation de 19,5 % dans Rosneft, la plus grande compagnie pétrolière de Russie, pour un montant de 11,5 milliards de dollars, et a injecté ainsi un capital nécessaire dans une économie décimée par des sanctions.

Pourquoi l’autorité d’investissement d’État du Qatar s’est-elle sentie obligée d’aider le président russe Vladimir Poutine à remporter une victoire politique contre les États-Unis ?

Pourquoi l’autorité d’investissement d’État du Qatar (QIA) s’est-elle sentie obligée de s’impliquer dans le marché risqué de la Russie et d’aider potentiellement le président russe Vladimir Poutine à remporter une victoire politique contre les États-Unis ?

Bien que la QIA ait déjà été impliquée dans le marché russe, c’est la première fois que le fonds d’investissement cherche à entrer dans le cercle pétrolier interne de Poutine. La publication d’État Pravda a rejeté la participation du Qatar, affirmant que la QIA pourrait être remplacée par une société russe.

Même si l’on tient compte de cette possibilité, le Qatar est également actionnaire majoritaire de Glencore, ce qui renforce encore son poids. Une certaine forme de compromis diplomatique avec la Russie pourrait être dans l’air, dans la mesure où le Qatar, qui critique ouvertement le gouvernement d’Assad, commence à se rendre compte qu’Assad pourrait continuer à jouir d’un avenir en Syrie.

Un compromis diplomatique ?

La politique étrangère du Qatar a fait preuve de pragmatisme en période de changement. En 2013, l’émir du Qatar Hamad ben Khalifa al-Thani a créé la surprise en remettant les rênes du pouvoir à son fils Tamim ben Hamad ben Khalifa al-Thani. Bien que cette passation ait été considérée comme un peu prématurée, elle a résolu deux problèmes.

Premièrement, elle a mis fin à la question de savoir qui dirigerait le pays après l’émir malade, qui s’est assis sur le trône en renversant son propre père en 1995.

Deuxièmement et surtout, elle a permis le renvoi du puissant ministre qatari des Affaires étrangères, Hamad ben Jassem ben Jaber al-Thani, qui était aussi Premier ministre et chef de la QIA.

Un parapentiste survole Doha avec un portrait de l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, pendant les célébrations de la fête nationale de l’émirat du Golfe, en 2013 (AFP)

Non seulement Hamad ben Jassem occupait des postes clés au gouvernement, mais il irritait également ses voisins du Golfe avec une politique étrangère bismarckienne perçue par beaucoup comme trop agressive et indiscrète et comme un tremplin pour des groupes hostiles tels que les talibans afghans et les Frères musulmans.

Bien que les al-Thani aient poursuivi une politique étrangère indépendante des voisins du Golfe – ce qui va vraisemblablement continuer –, un appel à l’équilibre était nécessaire après le Printemps arabe pour éviter d’autres reproches.

Avec la reprise récente d’Alep, le régime syrien semble être revenu des affres d’une défaite certaine grâce en grande partie à l’axe Russie-Iran-Hezbollah, qui se consacre à la protection de ses intérêts géopolitiques.

Le Qatar a vivement critiqué le régime d’Assad et s’est donc érigé en adversaire par procuration du gouvernement russe. Désormais, le pays doit réévaluer sa position vis-à-vis de la crise syrienne pour rester un acteur pertinent en maintenant un équilibre entre les intérêts du Golfe et ceux de la Russie.

L’effet Trump

La nomination récente du chef d’Exxon, Rex Tillerson, au poste de secrétaire d’État par le président élu américain Donald Trump a de nouveau confirmé la relation étroite entre Trump et Poutine, qui est accusé d’avoir orchestré un piratage des élections ayant contribué à sa victoire. Tillerson, qui a dirigé les opérations de la compagnie en Russie avant d’en devenir le PDG, entretient également des relations étroites avec Poutine ainsi qu’avec le président de Rosneft, Igor Setchine.

Alors que les États-Unis pourraient s’extirper du Moyen-Orient et que la Russie semblerait prendre sa place, un allié au Qatar serait un atout, sinon une denrée précieuse pour aller de l’avant

Du point de vue du Qatar, une relation favorable entre la Russie et les États-Unis présente non seulement des opportunités économiques, mais aussi des opportunités politiques qui ne peuvent être exploitées qu’en renforçant le cœur de l’économie vacillante de la Russie. L’injection de 11 milliards de dollars de fonds dans les activités pétrolières de la Russie est une façon d’y contribuer et de s’acheter potentiellement de l’influence à Moscou.

L’accord pourrait également avoir des répercussions sur les relations du Qatar avec d’autres acteurs importants au Moyen-Orient. Qui plus est, juste après l’accord avec le Qatar, le géant italien du pétrolier Eni a accepté de vendre à Rosneft une participation de 30 % dans le gisement de gaz égyptien de Zohr, la plus grande découverte de gaz naturel en Méditerranée survenue au cours de la dernière décennie. Cela signifie que le Qatar dispose désormais d’un accès indirect aux gisements de gaz égyptiens.

Cette même Égypte dont le président Abdel Fattah al-Sissi a salué la victoire de Trump et soutenu un projet de résolution russe omettant de réclamer l’interruption du bombardement dévastateur d’Alep, une démarche qui a poussé l’Arabie saoudite à suspendre son aide pétrolière à l’Égypte.

Le Premier ministre russe Vladimir Poutine en compagnie du président et PDG d’ExxonMobil Rex Tillerson, lors de la signature d’un accord de partenariat stratégique entre Rosneft et ExxonMobil à Sotchi, en août 2011 (AFP)

Il ne fait aucun doute que les tensions entre le Qatar et l’Égypte continuent de frémir, comme l’Égypte l’a récemment illustré en accusant le Qatar d’avoir participé à un attentat à la bombe perpétré par l’État islamique contre une église. Pourtant, compte tenu de l’évolution de la dynamique extérieure, les mouvements commerciaux du Qatar pourraient être un signe d’une ingérence indirecte dans une nouvelle connexion entre la Russie, les États-Unis et l’Égypte.

Alors que les États-Unis pourraient s’extirper du Moyen-Orient et que la Russie semblerait prendre sa place, un allié au Qatar serait un atout, sinon une denrée précieuse pour aller de l’avant.

Les intérêts énergétiques

En dépit de leurs différences politiques, la Russie et le Qatar restent tous deux liés en tant que deux des principaux producteurs et exportateurs d’énergie au monde et en tant que membres dirigeants du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG). Les deux pays ont également un intérêt à continuer de fournir du gaz naturel au marché européen, ce qui a donné lieu à une concurrence historique.

Il n’est pas inconcevable de voir le pays abandonner ses machinations complexes autour des gazoducs en échange d’une place à la table des négociations sur l’avenir de la Syrie

Bien que la Russie soit appelée à rester un acteur clé en Europe, étant donné le vaste réseau de gazoducs qui la relie à l’Ukraine, l’Europe va diversifier au fil du temps ses importations de GNL par le biais de la Norvège, des États-Unis et du Qatar. La Russie est consciente de cette éventualité et diversifie actuellement ses propres marchés en se tournant vers l’Asie, une démarche ponctuée dernièrement par un accord de 400 milliards de dollars pour un gazoduc signé avec la Chine en 2014.

Il est peu probable que le Qatar renonce à pénétrer le marché européen, où il cherche à adopter une attitude plus agressive ; néanmoins, il n’est pas inconcevable de voir le pays abandonner ses machinations complexes autour des gazoducs en échange d’une place à la table des négociations sur l’avenir de la Syrie.

Les affaires et la politique ne se mélangent pas nécessairement et, le plus souvent, occupent leur propre champ d’action. Dans le cas du Qatar et de la Russie, cependant, les enjeux en Syrie pourraient être assez élevés pour mériter une telle considération.

Aurangzeb Qureshi est un analyste politique qui écrit sur la géopolitique de l’énergie et les questions sociales au Moyen-Orient. Il publie sur le blog GeoPipelitics.com ; ses analyses et commentaires sont parus dans des publications telles que Al-Jazeera English, Al-Arabiya English, Foreign Policy Journal et Business Insider, entre autres. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @aqureshi80.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une flamme de gaz jaillit derrière un fil de fer barbelé, sur un site de production de Rosneft, à Prirazlomnoye, en Sibérie occidentale (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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