La nouvelle tactique de l’EI : des attentats pour dissuader l’Occident d’accueillir des réfugiés
Lundi soir, un conducteur inconnu a foncé fans la foule avec un camion dans un marché de Noël de Berlin, pour un bilan de 12 morts et 48 blessés. Quelques heures plus tard, la police allemande a arrêté un suspect à l’ancien aéroport de Tempelhof, qui abrite aujourd’hui le plus grand centre d’hébergement pour réfugiés de Berlin.
L’État islamique cherche à inciter les États membres de l’UE à imposer encore plus de restrictions sur le nombre de réfugiés acceptés en provenance de la région
Mais mardi soir, Naveed Baloch, un demandeur d’asile de 23 ans originaire du Pakistan, a été libéré, la police ayant déclaré qu’elle ne disposait pas de suffisamment de preuves pour le maintenir en détention et prévenu qu’un assaillant pouvait toujours être armé et en liberté.
Pendant ce temps, le groupe État islamique a revendiqué l’attentat via une déclaration publiée par son outil de propagande, l’agence Amaq.
Bien qu’il n’y ait pas de moyen immédiat de vérifier l’affirmation du groupe, celle-ci met en évidence le dernier avertissement formulé par Europol, selon lequel l’État islamique perd du territoire au Moyen-Orient et en Afrique du Nord mais adopte dans le même temps de nouvelles tactiques pour perpétrer des attentats au sein de l’UE – à la fois par des assaillants solitaires et par des groupes en lien avec l’État islamique.
Les auteurs du rapport du Centre européen de lutte contre le terrorisme d’Europol, publié plus tôt ce mois-ci, estiment en outre que les terroristes directement commandés par le leadership du groupe – comme les combattants étrangers de retour au pays – pourraient bientôt commencer à exécuter ces attentats dans le but spécifique de compromettre l’avenir des réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord qui cherchent refuge au sein de l’UE.
À travers ces attentats, le groupe vise à tirer profit de l’inquiétude des Européens et à inciter les États membres de l’UE à imposer encore plus de restrictions sur le nombre de réfugiés acceptés en provenance de la région, avec comme objectif ultime de générer un sentiment anti-occidental au sein de l’oumma musulmane.
Le changement de stratégie de l’État islamique
Initialement, l’objectif principal de l’État islamique était de s’emparer de territoires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. L’implication du groupe dans le terrorisme était limitée à des attentats contre les chiites et les autres minorités vivant dans les pays musulmans où le groupe disposait d’une forte présence, notamment la Syrie et l’Irak, ou dans les pays musulmans voisins de la zone d’influence de l’État islamique, comme la Turquie.
Cependant, alors que l’État islamique perd du territoire en Syrie, en Irak et en Libye, le leadership du groupe a opté pour une stratégie plus large : il encourage désormais ses partisans à perpétrer des attentats contre les « mécréants » dans les pays occidentaux, en particulier contre les ressortissants des pays qui participent à la coalition contre l’État islamique dirigée par les États-Unis, selon le rapport. Le groupe encourage également les attentats contre les « infidèles » dans d’autres pays tels que le Kenya et le Bangladesh.
Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, le groupe a récemment augmenté son investissement dans la propagande à destination des musulmans vivant en Occident ou dans les régions musulmanes abritant d’importantes communautés occidentales.
Par le passé, l’État islamique s’est principalement servi de ses médias pour informer ses adeptes des victoires militaires du groupe sur le champ de bataille ou pour enrôler de nouvelles recrues, mais aujourd’hui, ces médias encouragent les attentats terroristes contre les Occidentaux, ce qui représente un changement de stratégie du groupe qui menace directement les États membres de l’UE – et au-delà.
Il y a deux mois, par exemple, l’État islamique a commencé à publier un nouveau magazine appelé Rumiyah, qui est une version raccourcie de Dabiq, le magazine précédent du groupe. Le nouveau magazine est publié dans une variété de langues, dont l’anglais et le français, et encourage les adeptes de l’État islamique à perpétrer des attentats terroristes simples sur le plan logistique – mais très efficaces – contre les Occidentaux et d’autres ennemis perçus.
Un numéro spécial de Rumiyah publié le mois dernier s’est consacré à la manière de perpétrer des attaques au couteau. S’adressant principalement aux adeptes d’Afrique de l’Est de l’État islamique, les auteurs expliquent comment choisir un couteau pour réussir un attentat terroriste, en soutenant notamment que les couteaux sont relativement faciles à dissimuler et à utiliser. Le numéro aborde également la façon de choisir des cibles potentielles.
La menace actuelle
D’après Europol, des attentats liés à l’État islamique ont récemment eu lieu en France, en Belgique, au Danemark, en Allemagne et au Royaume-Uni, bien que l’on pense que le groupe concentre désormais ses efforts sur tous les pays qui font partie de la coalition contre l’État islamique dirigée par les États-Unis.
La plupart ont été commis par des assaillants isolés qui ont été inspirés par le discours de l’État islamique mais qui auraient agi d’eux-mêmes sans contact avec le groupe.
Jusqu’à récemment, ces assaillants choisissaient généralement des cibles symboliques, notamment les forces de l’ordre européennes, comme dans le cas de l’attaque au couteau contre un commandant de police français et son épouse près de Paris le 13 juin 2016 et, plus récemment, l’attaque contre deux policières à Charleroi, en Belgique.
Plus récemment, suite aux directives de l’État islamique, ces assaillants ont commencé à cibler des civils, tandis que les attentats qui auraient été dirigés par le leadership de l’État islamique en Syrie et en Irak ont visé exclusivement des civils, dans le but de provoquer des pertes aveugles massives et de retourner les Européens contre des réfugiés de la région qui cherchent à obtenir l’asile.
Outre les pertes humaines, ces attentats ont également eu un impact économique et politique. L’objectif ultime de l’État islamique, selon le rapport d’Europol, est d’en tirer profit.
L’unité de Daech dédiée aux attentats au sein de l’UE
La plupart des attentats terroristes perpétrés en Europe au nom de l’État islamique semblent avoir été conçus et exécutés par des individus inspirés par l’État islamique, et non directement liés à l’organisation en elle-même, selon Europol.
Pourtant, les renseignements de sources ouvertes d’Europol laissent entendre que l’État islamique a créé une unité dédiée à la planification et à l’exécution d’attentats au sein de l’UE. Selon un ancien djihadiste interrogé par le New York Times, au moins dix attentats terroristes contre des Occidentaux ont été dirigés ou coordonnés par cette unité spéciale.
On estime que cette unité a commencé à envoyer ses combattants à l’étranger il y a environ deux ans et que ces derniers sont entrés dans l’UE par des itinéraires légaux et illégaux.
Selon le rapport d’Europol, il n’existe « aucune preuve solide qui confirme que les terroristes utilisent systématiquement le flux de réfugiés pour entrer en Europe sans être repérés ». Toutefois, le rapport indique également qu’il est « incontestable que certains terroristes sont entrés dans l’UE en se faisant passer pour des réfugiés ».
L’ampleur de cette menace est inconnue. Néanmoins, le sujet a déjà fait l’objet d’exagérations et d’une exploitation, en particulier par les factions populistes et les partis de droite qui visent à limiter davantage l’accès à l’UE des réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique.
Et c’est précisément ce que souhaite le leadership de l’État islamique : générer un sentiment anti-musulman en Europe qui pourra à son tour être utilisé pour générer un sentiment anti-occidental au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
L’intégration, pas l’intolérance
Un danger majeur est représenté par la possibilité de voir des éléments de la diaspora de réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord devenir vulnérables à la radicalisation une fois arrivés en Europe, où ils pourraient avoir du mal à se sentir chez eux.
C’est donc maintenant que nous, les Européens, devons continuer de nous investir dans la pleine intégration des immigrés et de lutter contre l’islamophobie et le racisme, au lieu de recourir à une rhétorique haineuse et à la promotion de politiques intolérantes.
Nous devons défier les intentions de l’État islamique : nous devons nous rappeler que la grande majorité des réfugiés qui fuient la région ne représentent pas une menace pour la sécurité. Ce sont des êtres humains désespérés qui risquent leur vie pour échapper à la violence et aux difficultés économiques dans leur pays respectif déchiré par la guerre – comme nous le ferions si nous étions à leur place.
Nous devons également nous rappeler que nos services de sécurité renforcent déjà leur collaboration pour faire face à la menace réelle : les combattants qui reviennent et les autres individus susceptibles d’être vulnérables au discours de l’État islamique.
Ne rendons pas cette menace plus grande qu’elle ne l’est.
- Tania Ildefonso Ocampos est une analyste politique espagnole spécialisée dans les stratégies de l’UE au Moyen-Orient. Elle a effectué par le passé un stage Robert Schuman (à l’Unité euro-méditerranéenne et moyen-orientale de la Direction générale des politiques extérieures du Parlement européen) et elle a obtenu un master en Histoire du Moyen-Orient à l’université de Tel Aviv, en Israël.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des citoyens et des élus français défilent avec des fleurs lors d’une marche à Mantes-la-Jolie, le 18 juin 2016, en hommage au policier français Jean-Baptiste Salvaing et à sa compagne Jessica Schneider, tués à leur domicile à Magnanville par Larossi Abballa, un homme de 25 ans qui avait prêté allégeance au groupe État islamique (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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