Comment une Saoudienne cherche à faire de son pays votre prochaine destination de vacances
RIYAD – Lorsque vous songez à des « destinations de vacances », l'Arabie saoudite ne vous vient probablement pas à l'esprit. Salwa Hamad, la fondatrice de Haya Tours, espère changer cela.
Middle East Eye a rencontré Salwa à Riyad dans son nouveau bureau décoré avec de belles photographies, des brochures de voyage colorées, des objets d’artisanat traditionnel et une récompense « Meilleur voyagiste » qui occupe la place d’honneur. Rien à voir avec la simple pièce où son entreprise a commencé il y a six ans.
Depuis son enfance, Salwa a une passion pour le voyage et l'aventure.
« J'ai beaucoup lu quand j'étais enfant. J'ai lu Le Tour du monde en quatre-vingts jours ainsi que des livres sur des voyageurs comme Ibn Battuta. Mon père nous emmenait aussi camper chaque printemps. Il était originaire de la province d’ach-Charqiya et la famille de ma mère était de Taïf. Du coup, chaque année, nous nous rendions dans ces deux régions. J'ai appris toutes les routes et les itinéraires qui les relient.
Leçons d'enfance
Salwa a appris à être indépendante grâce à son père, Hamad Mohamad al-Qunaibit, un homme d'affaires qui a cessé de lui donner de l'argent dès qu'elle a commencé à travailler. Il lui a permis de choisir sa propre voie dans la vie, tout comme la mère de Salwa, Moday Hamad al-Olayan.
« Ma mère était de la génération où les femmes ne faisaient rien par elles-mêmes parce qu'elles n'y étaient pas autorisées par la tradition. Elle n'a jamais été au supermarché parce que tout ce qu'elle était autorisée à être était une mère et une épouse. Elle me disait toujours : ‘’Salwa, tu dois être indépendante, ne demande à personne de mettre de l'argent dans ta main, tu dois le faire toi-même’’ ».
Salwa a pris les conseils de sa mère à cœur. Après avoir obtenu son diplôme en informatique, elle a trouvé un emploi en tant que programmatrice informatique au ministère saoudien des Finances. Elle avait toutefois le sentiment que son environnement de travail étouffait sa créativité en raison de la bureaucratie et de la réticence à moderniser les anciens systèmes informatiques.
Son travail lui donnait cependant beaucoup de temps libre, qu'elle employait en se documentant sur les sites intéressants d’Arabie saoudite.
Rompre avec la tradition
Pendant ses vingt années de service au gouvernement, Salwa s'est mariée et a eu trois fils. Un ami avait arrangé le mariage, qui rompait toutefois avec la tradition locale, Salwa ayant décidé qu'elle n’épouserait pas quelqu'un de sa famille.
Contrairement aux coutumes de l'époque, elle a également demandé à voir son mari avant le mariage et lui a dit qu'elle ne porterait pas le niqab, alors que cette tenue pour femmes qui couvre le visage est un élément quasiment incontournable de la culture saoudienne dans la plus grande partie du pays, même de nos jours.
« Je lui ai dit que je ne couvrirai pas mon visage parce que je n'aime pas [le niqab] et que je ne cesserai pas non plus de travailler. Il a accepté parce que c’est un homme gentil et ouvert d'esprit. »
Un guide naturel
À l'âge de 42 ans, Salwa a pris sa retraite du gouvernement et a occupé son temps à l’organisation des vacances familiales dans des endroits intéressants d’Arabie saoudite.
« J’allais au ministère du Tourisme, je me procurais toutes les cartes, je louais un bus, je prenais mes sœurs, mes enfants et je disais, ‘’c’est parti !’’ »
Elle a visité des endroits comme Madain Saleh – un site archéologique au nord-ouest du pays autrefois habité par les Nabatéens, le peuple qui plus tard bâtit Petra, en Jordanie actuelle.
Elle a également aidé sa sœur, une institutrice, à organiser des excursions scolaires dans des lieux historiques comme la citadelle de Masmak – un complexe fortifié en briques de boue situé dans le vieux Riyad qui fut le site de la reconquête de la ville par Ibn Saoud.
Un autre de ses endroits préférés est la falaise à couper le souffle qui surplombe la vallée de l'Acacia. Elle est connue pour être la falaise la plus profonde du pays et est surnommée le « bord du monde ».
Salwa est ainsi devenue experte dans la recherche sur des lieux du patrimoine saoudien, l'écriture d’horaires et la planification de la logistique. Ainsi, devenir voyagiste a été une transition naturelle, quoique que loin d’être facile.
Un monde d'hommes
« Comme je voulais travailler de façon officielle, j'ai demandé à la Commission saoudienne du tourisme et du patrimoine national un permis de guide touristique. N’ayant toujours pas de réponse au bout de trois mois, je les ai appelés pour leur demander pourquoi. Un employé m'a dit au téléphone : ‘’Les femmes ne peuvent pas être guides touristiques’’. »
Cela n’a pas dissuadé Salwa. Avec le soutien de sa famille et sur les conseils de son mari, elle a demandé une licence d’agence de tourisme à la place. Mais cela lui demandait d'avoir un bureau et elle ne pouvait pas se le permettre. Elle a réussi à louer un petit local mais lors de l'inspection, un fonctionnaire du ministère du Tourisme lui a dit qu’il était trop laid pour y faire fonctionner son entreprise. Frustrée, elle s’est dirigée vers le siège de la licence touristique.
« J'avais peur, mais j'ai tout expliqué. Après m'avoir entendue, ils ont appelé le chef du bureau de Riyad. Je pense que ma température était de 500 degrés ! Je lui ai dit qu’avoir ce permis était mon droit et je lui ai demandé de me donner six mois pour faire mes preuves. Il a répondu : ‘’Je vais vous donner un an’’. Et j’ai réussi à avoir la licence ! »
Il n’était alors plus possible d’arrêter Salwa. Elle a commencé par créer des horaires, s'assurant que ses programmes fonctionneraient au moment opportun et pendant la bonne saison. « Par exemple, si vous voulez voir le festival de la rose à Taïf, vous devez y aller au printemps. »
Changer les mentalités saoudiennes
Le bouche-à-oreille a été sa principale source de publicité. Plusieurs agences de presse saoudiennes l'ont également approchée pour parler de ce qu'elle faisait, mais elle les a pour la plupart évitées, craignant que les journalistes ne se focalisent uniquement sur le fait qu’elle soit une femme dans une profession masculine. En effet, alors que ce qu’elle voulait était parler de tourisme, les questions qu'elle recevait portaient sur le fait qu’elle ne couvre pas ses cheveux devant les expatriés.
Il y avait d'autres défis encore. Salwa a constaté que les Saoudiens – ceux qu’elle souhaitait le plus sensibiliser aux richesses de son pays – n’avaient pour la plupart aucun intérêt envers ses excursions. Ils n'associaient pas l'Arabie saoudite au tourisme.
« Beaucoup d'entre nous avons une très mauvaise image de nous-mêmes et nous devons corriger cela. Peut-être pensent-ils que le tourisme devrait seulement concerner des endroits comme l'Europe, où la campagne est verte. J'aimerais savoir pourquoi ils ne sont pas intéressés. En six ans, je n’ai toujours pas compris mon propre peuple. »
MEE s’est entretenu avec des Saoudiens afin de comprendre la raison pour laquelle ils ne voulaient pas explorer davantage leur propre pays, et toutes les réponses ressemblaient à celle-ci : « Il n'y a rien à voir ici ». Un autre voyagiste saoudien a donné son avis sur la question : « C'est parce qu'il n'y a pas de centres commerciaux là-bas », a-t-il plaisanté.
Susciter l'intérêt des Saoudiens continue d'être un défi qui, selon Salwa, peut être surmonté par l'éducation.
L'image internationale de l'Arabie saoudite
Pour une grande partie du monde extérieur, l'Arabie saoudite est synonyme d'abus des droits de l’homme. Plus récemment, le royaume a été critiqué pour son rôle dans les guerres de la région. Salwa a exprimé son irritation au sujet de choses comme l'interdiction de conduire pour les femmes, mais elle maintient que le changement est en marche et elle dit à ses clients la même chose.
« Regardez-moi, je suis une femme et je travaille et voyage partout. Quand j'étais au gouvernement, j'avais le même salaire que mes collègues masculins », souligne-t-elle.
Sur le sujet du Yémen, Salwa concède qu'elle est contre toutes les guerres et qu’elle veut une solution. D’ailleurs, elle a connu cette année sa première annulation de visite, quand une école internationale a annulé une excursion dans une zone située près de la frontière avec le Yémen, invoquant des craintes liées à la sécurité.
Concernant la destruction de sites patrimoniaux au nom de la religion, Salwa a affirmé que le gouvernement ne l’approuve pas et que ce sont des individus extrêmes qui envoient des jeunes hommes ayant subi un lavage de cerveau faire de telles choses. Sa solution à cela est une meilleure éducation sur l'islam.
Depuis mars 2015, l'Arabie saoudite dirige une coalition de pays arabes et du Golfe en soutien au gouvernement déchu du Yémen contre les rebelles chiites houthis. À ce jour, la guerre a fait plus de 7 000 morts et près de 37 000 blessés, selon les Nations unies.
Un avenir prometteur pour le tourisme
Malgré les controverses auxquelles est associée l'Arabie saoudite, Salwa a été agréablement surprise de constater que les expatriés vivant dans le pays étaient très intéressés par ses excursions, à l’instar de l'enseignante britannique Sherrie Roberts.
« Nous entendons toujours parler des restrictions qui existent en Arabie saoudite, et jamais du côté plus positif. En participant aux sorties de Haya Tours, j'ai fait l’expérience de la véritable hospitalité saoudienne et j’ai vu des paysages incroyables. Je suis allée au festival de la date, à l'exposition du faucon, au ‘’bord du monde’’ et au concours de beauté de chameaux – c'était la première fois qu’une femme était autorisée à y aller ! »
L'enthousiasme de ses clients est l'une des plus grandes sources de motivation de Salwa. Elle reçoit maintenant des demandes de la part d’écoles internationales, de groupes de femmes et d'entreprises comme Aramco, ainsi que de personnes qui vivent en Arabie saoudite et veulent explorer le pays avec des Saoudiens.
Salwa reçoit également des centaines de courriels et un nombre croissant de demandes de la part de groupes résidant à l'étranger. Elle se heurte toutefois aux restrictions imposées par le gouvernement saoudien. En effet, à l'heure actuelle, les autorités saoudiennes n’émettent pas de visas de tourisme et l'Arabie saoudite n'est donc vraiment accessible qu’à ceux qui y voyagent pour motifs professionnels. Salwa affirme cependant que les choses sont en train de changer.
« Le gouvernement n'a jusqu'à présent pas ouvert le pays aux touristes, mais je crois qu’il va s’y mettre. Cela prendra juste un peu de temps. »
Il semble qu'elle ait raison. En novembre dernier, le roi Salmane s'est engagé à lancer des fouilles archéologiques aux côtés d'équipes françaises. Le gouvernement saoudien a également promis d'investir dans le secteur du tourisme dans le cadre de la « vision 2030 » du roi Salmane qui vise à diversifier l'économie saoudienne actuellement centrée sur le pétrole.
Salwa, pour sa part, attend avec impatience de pouvoir développer sa passion et inculquer à ses compatriotes comme aux étrangers la beauté, l'histoire, la culture et le patrimoine de son pays. Elle vous invite à voir « la vraie Arabie saoudite ».
Traduit de l’anglais (original).
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