Vers la fin des relations entre l’Iran et Trump ?
Dans cette région marquée par des tensions, le maintien de relations politiques entre l’Iran et les États-Unis est essentiel. Le climat géopolitique qui règne au Moyen-Orient est en effet fortement impacté par la relation entre ces deux pays qui s’affrontent pour asseoir leur influence sur la région.
Après des décennies de rivalités et de relations irréconciliables, la présentation en 2013 par Obama d’une initiative visant à dénouer la crise sur le nucléaire iranien, suivie par la mise en œuvre du Plan global d’action conjoint (JCPOA), plus connu sous le nom d’accord sur le nucléaire iranien, est venue quelque peu modifier la donne. Cependant, du fait de l’existence même de cet accord, les États-Unis se voient dans la quasi-impossibilité de s’élever face à l’Iran et de nombreux analystes prédisent, dans les mois à venir, deux possibles changements susceptibles de marquer un tournant dans les relations entre les États-Unis et l’Iran.
Vers la fin de l’accord
Le thème de l’accord sur le nucléaire était au cœur de la campagne du président nouvellement élu Donald Trump. Il a d’ailleurs fait à ce sujet un grand nombre de déclarations, le qualifiant à plusieurs reprises de « stupide », d’«entente totalement déséquilibrée » et de « pire accord jamais négocié ».
Pour ses opposants américains, le véritable problème posé par cet accord est le fait qu’il empêche presque complètement le pays de s’opposer à l’Iran en cas de besoin
Un peu plus tôt pendant sa campagne, Trump avait annoncé qu’il souhaitait « démanteler l’accord catastrophique ». Mais par la suite, le principal conseiller en matière de politique étrangère de Trump avait affirmé qu’il ne mettrait pas fin à l’accord, mais qu’il ne l’appliquerait pas pour autant en l’état. Au lieu de cela, d’après les propos tenus par l’un de ses conseillers, Trump « le renégociera ».
Les faucons, démocrates ou républicains, ont salué la position de Trump. Pour eux, le problème que pose cet accord n’est pas simplement le fait que l’Iran puisse conserver ses infrastructures et continuer à enrichir de l’uranium. Le véritable problème posé par cet accord est le fait qu’il empêche presque complètement les États-Unis de s’opposer à l’Iran en cas de besoin. Parallèlement à une intervention militaire, la prise de sanctions constitue le moyen le plus efficace pour discipliner des gouvernements hostiles. Mais si les États-Unis décidaient d’imposer de nouvelles sanctions contre l’Iran, cela marquerait véritablement la fin de l’accord.
Il existe par ailleurs certains enjeux qui dépassent le simple cadre de l’accord sur le nucléaire. L’Iran est fermement déterminé à développer son programme de missiles, et s’en donnera les moyens ; une décision à laquelle est opposé l’establishment américain dans son ensemble. De la même manière, l’Iran ne retirera pas son soutien indéfectible au Hezbollah, accusé par les États-Unis et Israël de soutenir le terrorisme.
Plus important encore, l’Iran conteste l’hégémonie des États-Unis aux quatre coins de la région. La chute d’Alep a témoigné du déclin de l’influence américaine dans la région et de l’émergence d’un nouvel ordre au sein duquel l’Iran jouera un rôle clé en tant que puissance régionale.
Certains détracteurs connus de l’accord sur le nucléaire indiquent que Trump peut parvenir à « un accord avec l’Iran permettant d’endiguer véritablement l’attitude agressive du pays dans la région. […] En échange, l’Iran pourrait se voir imposer des sanctions moindres, voire même des relations normales pourraient être retrouvées. »
Quels avantages l’Iran retirerait-il à négocier un nouvel accord pour faire plaisir à Trump ? Aucun
Si Trump décidait de s’engager dans cette voie, il deviendrait le septième président américain à tenter de changer l’identité du gouvernement iranien. Bonne chance !
En attendant, une renégociation de l’accord se révèlerait extrêmement complexe. L’accord sur le nucléaire a été conclu par sept nations après quasiment deux années de négociations et plus de dix années de crise, laissant par moments planer la menace d’une guerre entre l’Iran d’un côté, et Israël et les États-Unis de l’autre. Quels avantages l’Iran retirerait-il à négocier un nouvel accord pour faire plaisir à Trump ? Aucun.
Le maintien de l’accord : quelles suites ?
Cependant, la renégociation de l’accord ou la signature d’un nouvel accord visant à endiguer l’attitude agressive de l’Iran pourrait avoir deux conséquences majeures.
Tout d’abord, Trump et son département du Trésor pourraient refuser toute nouvelle levée des sanctions actuelles. En vertu de l’accord sur le nucléaire, tous les 120 ou 180 jours en fonction de la loi applicable en matière de sanctions, le président et le Trésor sont censés statuer sur la levée de ces sanctions.
Ensuite, compte tenu du climat qui règne actuellement au sein du Congrès et si l’on considère le fait que les opposants à l’accord sur le nucléaire attendent avec impatience l’entrée en fonction de Trump, l’éventualité de l’adoption d’une loi en matière de sanctions contre l’Iran n’est pas à exclure.
Ces deux situations seraient susceptibles d’enfreindre l’accord sur le nucléaire, obligeant ainsi les États-Unis à suspendre les principales sanctions prises contre l’Iran. Qui plus est, en le violant, les États-Unis enfreindraient également la législation internationale dans la mesure où l’accord a été entériné par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Si l’une de ces deux situations se présentait, deux autres conséquences seraient alors à craindre.
L’Iran pourrait décider de renoncer à l’accord, une « opportunité en or » attendue avec impatience par les extrémistes iraniens et une décision qui augmenterait de manière significative la probabilité d’une guerre entre l’Iran et les États-Unis.
Les Européens pourraient quant à eux cesser de coopérer avec les États-Unis, ignorer sa décision et continuer à faire affaire avec l’Iran à condition que les Iraniens continuent de se soumettre à l’accord. Dans ce cas, les relations hostiles entre les États-Unis et l’Iran s’aggraveraient, comme ce fut le cas au cours de la période 2005-2009 sous la présidence de George W. Bush et d’Ahmadinejad.
Par ailleurs, la théorie du conseiller de Trump en matière de sécurité nationale, Michael Flynn, quant à « un changement de régime » en Iran deviendrait probablement la doctrine de l’administration, une théorie qu’il présente dans son livre The Field of Fight: How We Can Win the Global War Against Radical Islam and Its Allies et sur laquelle il s’est exprimé devant le sous-comité des Affaires étrangères et des forces armées en juin 2015.
Le poids de l’élection
Les modérés (également appelés les pragmatiques), les réformistes et les conservateurs modérés ont formé une coalition contre leurs opposants, qui se sont eux-mêmes attribué le nom de « principlistes » et comptent des conservateurs et des conservateurs radicaux.
Bien que la majorité des analystes en Iran prédisent la victoire de Rohani aux élections, l’insatisfaction générale quant aux résultats économiques de son administration ne peut être ignorée
Avec le décès de l’ancien président iranien Akbar Hashemi Rafsanjani le 8 janvier dernier, le camp modéré a perdu son leader spirituel. Il incombe désormais au président iranien Hassan Rohani de reprendre le flambeau et de prendre la tête du camp.
Les partisans radicaux sont fermement ancrés dans l’establishment iranien. On dénombre parmi eux le corps des Gardiens de la révolution islamique (IRGC), l’importante milice paramilitaire des Basij qui opère sous la supervision de l’IRGC, les forces de police et le pouvoir judiciaire fondamentalement conservateur.
Il n’en reste pas moins que, par le passé, à chaque fois que cette faction politique et les modérés se sont opposés (que ce soit concernant l’interprétation de l’islam, la gouvernance du pays ou la politique étrangère), l’ayatollah iranien Ali Khamenei s’est engagé au côté des radicaux.
Les principlistes rejettent toute interprétation libérale de l’islam, et leur branche radicale se prononce en faveur du maintien de relations hostiles avec les États-Unis et de la résistance face à l’« arrogance internationale menée par les États-Unis ». Les modérés, contrairement à leurs opposants, croient en l’importance du maintien de relations avec l’Occident, y compris les États-Unis.
Comme on pouvait s’y attendre, alors que l’échéance des élections présidentielles iraniennes de mai approche, les oppositions entre les deux camps rivaux ont atteint de nouveaux sommets. Fait sans précédent, Rohani et le chef radical du pouvoir judiciaire, l’ayatollah Sadeq Larijani, se sont publiquement accusés de corruption et se sont mutuellement demandé des comptes.
Des difficultés économiques à double tranchant
Bien que la majorité des analystes en Iran prédisent la victoire de Rohani aux élections, l’insatisfaction générale quant aux résultats économiques de son administration ne peut être ignorée. D’après la dernière enquête menée l’année dernière par le Center for International and Security Studies (Centre d’études internationales et en matière de sécurité), huit Iraniens sur dix estiment que l’économie du pays ne connaît aucune amélioration et trois sur quatre considèrent que Rohani a échoué à réduire le chômage.
Concrètement, quelle que soit l’administration élue, il sera impossible de redresser l’économie du pays si des sanctions écrasantes lui sont à nouveau imposées
S’ils sont capables d’offrir de nouvelles perspectives en s’appuyant sur l’échec de Rohani sur le plan économique, tout en adoptant des stratégies visant à faire sortir le pays de la stagflation et à lutter contre les inégalités croissantes en matière de revenus et de richesses, un engagement qui ne trouve pas écho dans le programme essentiellement religieux de Rohani et de son équipe, les principlistes ont toutes leurs chances de remporter les élections.
Si Rohani est élu, l’Iran n’initiera aucun changement dans ses relations avec les États-Unis tant que l’administration Trump contribuera à la mise en œuvre de l’accord sur le nucléaire.
Si un principliste est élu, de nombreux analystes, même en Iran, prédisent que les tensions entre l’Iran et les États-Unis pourraient s’intensifier jusqu’à entraîner l’effondrement de l’accord et l’adoption de nouvelles politiques radicales envers les États-Unis, comme c’était déjà le cas sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad.
Mais cet argument est biaisé. S’il est vrai que les joutes verbales et rhétoriques vont très probablement devenir plus fréquentes, concrètement, quelle que soit l’administration élue, il sera impossible de redresser l’économie du pays si des sanctions écrasantes lui sont à nouveau imposées.
Le dirigeant iranien a bien compris que le sujet était sensible. C’est pourquoi il a mis en avant à plusieurs reprises, pour la dernière fois cette semaine, le fait que l’« Iran n’enfreindra pas le JCPOA. Respecter un accord qui a été conclu est une obligation du Coran. »
- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste indépendant irano-canadien qui écrit sur les affaires intérieures et étrangères de l’Iran, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine dans la région. Il est coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. Il contribue à plusieurs sites consacrés au Moyen-Orient ainsi qu’au Huffington Post. Il écrit également de façon régulière pour BBC Persian. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @SShahisaless.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président iranien Hassan Rohani prononce un discours à l’occasion d’une conférence intitulée « Implementation of Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA): a new chapter in Iran's economy » (La mise en œuvre du Plan global d’action conjoint (JCPOA) : un nouveau chapitre s’ouvre pour l’économie iranienne), le 19 janvier 2016, à Téhéran (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par StiiL.
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