Bouteflika, un adieu sans gloire au pouvoir
Le bras de fer est terminé. Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, quitte le pouvoir avant la fin de son quatrième mandat qui devait se terminer le 28 avril.
Le président algérien a informé le Conseil constitutionnel de sa démission « à compter d’aujourd’hui » mardi, a annoncé l’agence de presse officielle, l’APS.
Le président algérien aurait voulu partir sans successeur désigné, ne laissant que la mort se mettre en travers de son chemin et emportant avec lui une partie de l’histoire de l’Algérie.
Mais les Algériens, sortis par centaines de milliers dans la rue depuis le 22 février pour protester d’abord contre un cinquième mandat puis pour réclamer le départ du président et celui du système, ont renversé la donne qui semblait acquise il y a encore quelques semaines. Et le patron de l’armée, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, en appelant le Conseil constitutionnel à le démettre de ses fonctions, aura précipité sa sortie.
Celui qui fut le plus jeune ministre de son pays, nommé en 1962 alors qu’il n’avait que 25 ans, à la Jeunesse, aux Sports et au Tourisme, puis en 1963 aux Affaires étrangères par Ahmed Ben Bella, détenait aussi le record de longévité pour un chef d’État algérien.
C’est en tout cas depuis son fauteuil qu’il achèvera ce qu’il s’était promis de faire : écarter le pouvoir militaire de la politique pour construire un État civil
Au mépris des rumeurs qui l’ont annoncé mort bien des fois et des spéculations sur sa capacité à diriger le pays, il avait depuis son AVC en avril 2013 et son hospitalisation en France pendant 80 jours continué à exercer ses fonctions.
Physiquement très diminué, condamné à rester assis sur une chaise, ne parlant qu’avec beaucoup de difficulté, Abdelaziz Bouteflika avait ces dernières années maintenu l’illusion, notamment en recevant devant la très officielle caméra de la chaîne officielle de nombreux chefs d’États et ministres étrangers en visites officielles. Ses collaborateurs et les diplomates affirmaient pourtant que dans les moments où ils le rencontraient, le chef de l’État avait « toute sa tête ».
C’est en tout cas depuis son fauteuil qu’il achèvera ce qu’il s’était promis de faire : écarter le pouvoir militaire de la politique pour construire un État civil, par la dissolution du DRS (les services de renseignements, colonne vertébrale du système algérien) et la mise à la retraite de leur patron depuis vingt-cinq ans, le général Toufik, présenté jusque là comme l’autre dirigeant de ce système bicéphale.
« Une idée en tête, changer la nature du système »
« Depuis le début, il n’a jamais eu qu’une idée en tête, changer la nature du système. Et pour cela, il s’était dit que rien ni personne ne pourrait lui barrer la route », confie un des fidèles du sérail à Middle East Eye. Ainsi, Abdelaziz Bouteflika prit sa revanche sur ces militaires qui l’avaient porté au pouvoir en 1999 (il fut officiellement élu avec 73,79 % des voix).
« Aujourd’hui, les Nezzar, les Belkheir, les Touati [généraux très influents qui ont marqué les années 1990], il n’y en a plus et il n’y en aura plus jamais. La machine à produire des politiques dans l’armée s’est tarie. Ahmed Gaïd Salah est le dernier officier de l’Armée de libération nationale [ALN, qui a mené la guerre contre la France de 1956 à 1962] à occuper le poste de chef d’état-major. Ceux qui suivront seront des techniciens. Avec Bouteflika part toute une génération qui s’est servie de la légitimité historique pour se maintenir au pouvoir. »
Né le 2 mars 1937 à Oujda (au Maroc) mais d’une famille originaire de Tlemcen, dans l’ouest algérien, Abdelaziz rejoint l’Armée de libération nationale dès 1956. Alors que l’ambitieux jeune politique se croit le dauphin de Boumediene et pense, à la mort de ce dernier en 1978, accéder au pouvoir, l’armée lui barre la route. Sa traversée du désert, il la fait aux Émirats arabes unis, puis en Suisse.
Après avoir refusé, à la demande de l’armée, de prendre la tête d’un pouvoir de transition en 1994 – l’Algérie est alors en pleine guerre civile –, il revient en lice en 1999, seul candidat en cours après le retrait de six adversaires convaincus que les militaires ont orchestré cette victoire.
Le timing est excellent pour l’animal politique qu’est Bouteflika. D’abord parce que la terrible décennie noire se termine sur un bilan (ONG) de 200 000 morts. Avec la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée par référendum le 29 septembre 2005, le nouveau président de la République devient, aux yeux des Algériens, l’architecte de la paix.
Le nouveau président de la République devient, aux yeux des Algériens, l’architecte de la paix
« Le projet de réconciliation nationale a pris le pas sur les réformes politiques et économiques parce que le président a bien compris que la ‘’conscience sociale’’ des Algériens était orientée vers l’ordre et la paix sociale », explique à MEE Noureddine Hakiki, directeur du Laboratoire de changement social à l’Université d’Alger 2.
Abdelaziz Bouteflika arrive aussi au moment où le prix du baril de pétrole s’envole, et à partir des années 2000, fait entrer dans les caisses de l’État de l’argent par milliards, permettant de rembourser la dette extérieure par anticipation, d’engranger près de 240 milliards de dollars de réserves de change, et surtout de faire de la manne des hydrocarbures une source de transferts sociaux sans limites. Subventions sur les produits de base, aide à la création d’entreprise, augmentation des salaires : la gestion de la rente est surtout politique. Pour acheter la paix sociale, le chef de l’État ne regarde pas à la dépense même quand, à partir de 2014, le prix du baril en chute attaque les réserves.
« Le gouvernement, pour repousser la vague des révoltes arabes, s’empresse de doper la dépense publique de 25 %, quitte à creuser les déficits publics [qui atteignent 34 % du PIB] », rappelle le politologue Mohammed Hachemaoui, en nuançant toutefois : « La distribution ininterrompue des revenus de la rente pétrolière ces dix dernières années n’a pas suffi, en dépit de son volume inégalé dans l’histoire du pays [200 milliards de dollars entre 2001 et 2009, et 380 milliards de dollars prévus pour la période 2010-2014], à immuniser l’État contre la récurrence de l’action émeutière. »
Qu’à cela ne tienne, les émeutes qui éclatent à partir de 2001 (la mort d’un lycéen dans une gendarmerie en Kabylie déclenche les émeutes du « printemps noir »), la société, les généraux, tout cela ne saurait être une entrave sur le chemin d’Abdelaziz Bouteflika. Dès 1999, il expliquera qu’il veut « récupérer » ses « attributions constitutionnelles qui ont été dispersées à partir de 1989 ».
Pour les journalistes Hassane Zerrouky et Hassiba Mellouk, qui ont participé à l’ouvrage collectif Notre ami Bouteflika – de l’État rêvé à l’État scélérat en 2010, cela signifie « effacer octobre 1988 », date des événements qui amenèrent le multipartisme et un peu d’ouverture. Bouteflika voulait « restaurer l’État autocratique dans lequel il a mûri ». Il voyait dans la presse libre, les syndicats autonomes et les partis d’opposition « un intolérable transfert de prérogatives régaliennes à une population ‘’immature’’ ».
En 2004, il remporte les élections avec 88,99 % des voix. Après avoir modifié la Constitution en 2008 pour déverrouiller le nombre de mandats, le scrutin de 2009 lui assure 90,24 % des voix et celui de 2014, 81,5 % des suffrages.
« Ses détracteurs croient, à tort, qu’il n’était qu’un roi façonné par le système. Dire cela, c’est oublier qu’il a depuis toujours vécu dans les arcanes du pouvoir avec cette conviction qu’il faut de la ruse et de l’intelligence pour essayer de rester à l’intérieur et s’accaparer tous les pouvoirs », analyse un cadre de l’État qui l’a bien connu. « Le rejet qu’il a suscité dans la population ces dernières semaines ne pourra pas faire oublier que c’est lui, l’homme du passé, qui a dessiné l’Algérie du XXIe siècle. »
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