Une OTAN arabe ? On en est encore loin
Au moment même où les alliés des États-Unis essaient de comprendre les déclarations contradictoires, et souvent critiques, de l’administration Trump au sujet de l’OTAN, se répand une rumeur : l’administration américaine souhaiterait contribuer à créer l’équivalent arabe de l’Alliance nord-atlantique.
Quel que soit le statut exact de cette politique présumée – à une période de grande incertitude et d’annonces souvent contradictoires – cette information met en lumière deux tendances importantes quant à l’avenir de la sécurité au Moyen-Orient.
La société civile regarde souvent avec suspicion – ou voit même comme une menace pure et simple – la coopération entre les forces de sécurité de pays qui restent autoritaires
La première, c’est que le monde arabe aspire à intensifier la coopération en matière de sécurité régionale. En dépit de points communs culturels et linguistiques dans cette région, les différences politiques et économiques et l’héritage colonial ont limité la portée de la coopération régionale, tant sur le plan politique qu’économique ou militaire. Actuellement, la Ligue arabe est l’une des organisations régionales les plus faibles du monde.
Même le Conseil de coopération du Golfe (CCG) – formé de seulement six monarchies qui semblent avoir plus de points commun que les 22 États (plus la Palestine) de la Ligue arabe – a bataillé pour élaborer une ligne de conduite commune sur nombre de questions majeures de sécurité auxquelles sont confrontées ses membres, de l’Iran au Yémen, et jusqu’au rôle de l’Islam politique.
Néanmoins, ce sont des pays du Golfe qui mènent actuellement une campagne en faveur de la sécurité régionale, par le truchement de la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) impliquée dans la guerre au Yémen, et aussi d’une autre coalition, « l’alliance militaire islamique » – Tonnerre du Nord – conduite par les Saoudiens. Celle-ci s’est aussi baptisée de manière ambitieuse « OTAN musulmane » en vue de lutter contre l’extrémisme.
Traditionnellement, les pays du Golfe comptent sur les garanties apportées par l’Occident, mais ils cherchent désormais des solutions plus locales, surtout au sein du monde arabe et islamique.
Défaillance de l’autonomie
Cela correspond à l’évolution naturelle d’États postcoloniaux. Il s’agit aussi en partie d’une réponse à la perception que les États-Unis ne sont plus engagés qu’avant en faveur de la sécurité dans le Golfe.
Perception probablement exagérée, mais qui reflète les changements à long terme constatés sur le marché du pétrole, la perte du soutien de l’opinion publique américaine aux interventions militaires au Moyen-Orient, et des conceptions divergentes quant à la nature des menaces sur la sécurité des États du Golfe à l’avenir.
Aucune menace d’intervention crédible n’a pesé contre Assad, ce qui a conduit de nombreux pays à conclure que la région a besoin de créer sa propre force d’intervention et qu’elle ne peut plus compter sur les États-Unis ou sur d’autres pays pour sa défense
Sur le dernier point, les gouvernements du Golfe s’inquiètent surtout de scénarios mettant en scène des régimes menacés par des soulèvements domestiques ou transnationaux plutôt que par d’autres États, et ils doutent désormais que les États-Unis les protègent de ces menaces.
Ils souhaitent donc devenir plus autonomes. Les Émirats arabes unis ainsi que l’Arabie Saoudite cherchent actuellement à développer leur propre industrie de défense, plutôt que dépendre entièrement de matériels d’importation qui pourraient à l’avenir être suspendus par certains parlements étrangers. Quant aux EAU et au Qatar, ils viennent d’introduire le service national. Étant donné que la plupart d’entre eux sont des pays faiblement peuplés, leurs gouvernements sont à la recherche d’une coopération sécuritaire avec des pays disposant d’effectifs plus nombreux – l’Égypte en particulier.
Presque toute la société civile déplore le déficit général de coopération régionale – surtout sur le plan économique. À chaque fois que des économistes régionaux se rassemblent pour résoudre les maux du monde arabe, ils recommandent le développement d’une plus grande coopération régionale, mais regrettent qu’elle ne se réalise jamais et reprochent aux gouvernements leur incapacité à surmonter leurs différends politiques.
En matière de coopération sécuritaire, l’opinion est plus partagée. La société civile regarde souvent avec suspicion – ou voit même comme une menace pure et simple – la coopération entre les forces de sécurité de pays qui restent autoritaires.
Quant à la coopération militaire, la guerre en Syrie et le manque de toute menace crédible d’intervention contre le président Assad ont conduit de nombreux membres de la génération actuelle à conclure que la région a besoin de disposer sa propre force d’intervention et de ne plus compter sur l’intervention des États-Unis (ou de tout autre pays), même s’il s’agit d’arrêter des massacres.
Malgré sa rhétorique antimusulmane pendant la campagne électorale et ses critiques envers Hillary Clinton pour ses liens avec l’Arabie saoudite et le Qatar, Trump entretiendra probablement des relations cordiales avec les États arabes du Golfe
Mais la Syrie a aussi constitué une illustration des clivages au sein du monde arabe, puisqu’il existe aussi une forte opposition à toute suggestion d’un engagement du Golfe ou de la Turquie, et la ligne de partage politique a tendance le plus souvent – mais pas exclusivement – à coïncider avec les divisions confessionelles.
Qu’elle soit constituée jusqu’à récemment presqu’exclusivement d’États à majorité sunnite est une des critiques formulées contre l’alliance « Tonnerre du Nord » menée par les Saoudiens. En décembre 2016, Oman a adhéré à la coalition, mais l’Iran et l’Irak restent toujours à l’écart.
L’administration Obama avait déjà cherché à encourager une plus étroite coopération en matière de sécurité régionale, car elle souhaitait réduire la présence à long terme des forces américaines dans la région. Mais elle fut en proie à des remords après avoir constaté en Syrie et au Yémen le résultat des « solutions régionales aux problèmes régionaux ».
L’ennemi commun n’est plus Israël, c’est l’Iran
La deuxième tendance importante concerne les changements de perceptions quant aux menaces régionales de ces dernières décennies : des États arabes clés en sont venus à considérer Israël non plus tant comme un ennemi mais comme un État avec lequel ils partagent d’autres ennemis communs. Ces gouvernements arabes s’inquiètent plutôt désormais de la menace perçue en provenance de l’Iran et d’une série de groupes transnationaux non-étatiques, notamment le groupe État islamique (EI) et al-Qaïda.
Les armées égyptienne et israélienne coopèrent désormais plus que jamais
Les armées égyptienne et israélienne coopèrent aujourd’hui plus que jamais pour se prémunir d’une insurrection dans le Sinaï, qu’elles considèrent largement comme une menace commune. Et si les États du Golfe déclarent officiellement ne pas avoir de relations diplomatiques avec Israël, ils ne considèrent pas ce pays comme une menace géopolitique.
De ce fait, l’idée d’une alliance pour la sécurité régionale arabe collaborant discrètement avec Israël n’est pas surprenante. Cependant, son application reste problématique, et pas seulement à cause des désaccords entre les gouvernements arabes (qui, tout en s’accordant effectivement pour combattre l’EI, par exemple, ont des vues diamétralement opposées sur les Frères musulmans), mais aussi du fait de la concurrence entre l’Arabie saoudite et l’Égypte, voire même entre l’Arabie saoudite et les EAU.
Ces problèmes ont jusqu’à présent rendu difficile même la création d’une simple alliance entre armées du Golfe, même au-delà de la seule question du Yémen, alors que, même au sujet du Yémen, existent de considérables divergences stratégiques entre l’Arabie saoudite et les EAU pour savoir avec quels islamistes locaux travailler.
Divisions confessionnelles
On a souvent des doutes sur la façon dont une telle alliance d’États arabes pourrait résoudre les problèmes de sécurité les plus complexes de cette région, du fait des défaillances et des fragilités de l’État ainsi que de la résurgence d’un type violent et clivant de politique identitaire basée sur le confessionnalisme opposant sunnites et chiites.
Les confessions, instrumentalisées parfois par certains États – notamment l’Iran et l’Arabie saoudite – au final, les menacent tous. La guerre au Yémen a exacerbé le dysfonctionnement de cet État ainsi que la violence confessionnelle au sein de ce pays, le plus pauvre du monde arabe, à tel point qu’on a du mal à espérer l’avènement d’une stabilité durable dans la péninsule arabique.
Obama avait dit que les États du Golfe pourraient courir des risques internes plus grands que les menaces que fait peser sur eux l’Iran. L’administration Trump risque de prendre le point de vue opposé, en adoptant une position plus dure contre l’Iran, au moins de façon rhétorique, et de considérer qu’il ne convient pas de mettre son nez dans la politique intérieure d’un pays ; attitude qui sera approuvée par les États arabes eux-mêmes.
Ils adopteront un point de vue semblable sur les politiques de Trump lui-même – comme quand le ministre des Affaires étrangères des EAU a déclaré que le refus de l’administration américaine de délivrer des visas aux ressortissants de sept pays musulmans relevait exclusivement des affaires intérieures aux États-Unis. Effectivement, les alliés occidentaux de l’Amérique, dont le Royaume-Uni, l’Allemagne ou le Canada, ont critiqué plus sévèrement le refus de délivrance de visas que les États de Golfe ou l’Égypte.
Malgré sa rhétorique antimusulmane pendant la campagne électorale et ses critiques envers Hillary Clinton pour ses liens avec l’Arabie saoudite et le Qatar, Trump entretiendra probablement des relations cordiales avec les États arabes du Golfe comme avec l’Égypte.
Et si l’on ne s’attends pas à de grandes modifications des politiques concernant le Golfe, la nouvelle administration américaine apportera probablement un soutien plus appuyé à la coalition menée par les Saoudiens au Yémen. En revanche, on n’est pas près de voir se former une « OTAN arabe » digne de ce nom.
- Jane Kinninmont est directrice de recherche et directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient de Chatham House. Elle a auparavant occupé les postes de directrice associée pour le Moyen-Orient et l’Afrique à l’Economist Group, de rédactrice en chef pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et d’économiste à l'Economist Intelligence de 2006 à 2010 ainsi que de directrice de la rédaction pour le Moyen-Orient et l’Afrique au Business Monitor International, entre 2003 et 2006. Elle collabore régulièrement avec plusieurs publications, dont The Economist, The Guardian et Foreign Policy.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : ce cliché, pris le 10 mars 2016, montre des soldats en train de regarder les colonnes de fumée au dessus des manœuvres militaires effectuées dans la cadre de l’opération « Tonnerre du Nord » à Hafr al-Batin, ville située à 500 kilomètres au nord-est de Riyad, la capitale saoudienne (AFP)
Traduction de l’anglais (original) par [email protected].
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