Moussa Fall : « Le pouvoir mauritanien doit sortir du jeu électoral »
« Nous traversons une crise politique profonde. Et à l’approche de la fin du mandat du président Mohamed Ould Abdel Aziz, en 2019, la rupture entre le pouvoir, que nous qualifions d’autocratique, et l’opposition, a atteint son paroxysme », explique Moussa Fall à Middle East Eye.
Samedi 11 mars, le président du Forum national pour l’unité et la démocratie (FNDU), formé par une quinzaine de partis, a co-organisé une marche qui a rassemblé, selon l’AFP, des milliers de personnes pour protester contre le projet de révision de la Constitution en vigueur depuis 1991.
Lors d'un premier rassemblement, le 7 mars, les protestataires, qui portaient des pancartes dénonçant un « tripatouillage » de la Constitution, avaient été dispersés par la police. Le FNDU avait alors dénoncé dans un communiqué « une répression aveugle » sur ses militants dont certains avaient été, selon lui, blessés.
Le projet de révision constitutionnelle a été adopté jeudi « par la majorité des 147 députés présents de l’assemblée nationale, à 121 voix contre 19 », a précisé Mohamed Ould Beilil, président de l'Assemblée nationale, dominée par le parti présidentiel. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz, qui y dispose d'une majorité confortable a mené campagne auprès de ses soutiens pour les convaincre de l'intérêt de son projet.
Que prévoit-ce texte ? La suppression du Sénat et de plusieurs autres institutions : la Haute Cour de Justice, le médiateur de la République et du Haut Conseil islamique.
Un Sénat remplacé par… des conseillers régionaux
« Personne n’a compris ce qui motive cette décision. Nous savons juste que le Sénat doit être remplacé par des conseillers régionaux, qui sont chargé de gérer les budgets d’investissements pour le développement des régions, et qui n’ont donc aucun statut de législateur ! », s’insurge Moussa Fall devant la perspective d’un retour à une configuration monocamérale à l’image de celle d’avant 1991.
L’autre projet controversé concerne la modification du drapeau mauritanien. Deux bandes rouges, symbolisant le sang versé par les « martyrs de la résistance » seront ajoutées au croissant et à l'étoile jaunes sur fond vert.
« Lors de la manifestation, une majorité de l’opinion publique, très sensible au symbole qu’est le drapeau, a montré qu’elle rejetait complètement cette modification.
Ce lundi, les 56 sénateurs, parmi lesquels le pouvoir est aussi majoritaire, entament l'examen de ce projet de révision. S'il est adopté par chacune des deux chambres du parlement à la majorité des deux tiers, le texte doit être soumis à un congrès parlementaire. Dans un premier temps, les sénateurs avaient mal accueilli la proposition de supprimer leur chambre avant de se raviser après une série de rencontres avec le président. Selon Le Quotidien de Nouakchott, les sénateurs auraient reçu de la part de l’État un terrain de 400 à 500 mètres carrés.
Esclavage et unité nationale
« L’opposition dénonce ce projet de révision qui n’est pas du tout prioritaire », dénonce Moussa Fall à MEE. « Il y a d’autres urgences. À commencer par l’organisation d’élections transparentes pour 2019 pour permettre l’alternance politique. Cela implique des mécanismes de neutralisation de l’État, de l’administration et de l’armée, qui doivent sortir du jeu électoral. Il n’est pas normal que le pouvoir s’implique pour un parti [l’Union pour la République, UPR] au détriment des autres. Ensuite, nous devrions travailler à améliorer nos relations avec certains pays voisins, comme le Maroc ou le Sénégal, qui se sont dégradées. »
En décembre dernier, le Maroc avait dépêché en Mauritanie une délégation gouvernementale, pour « dissiper tout malentendu » après des propos polémiques d'un responsable marocain. Hamid Chabat, secrétaire général de l'Istiqlal, le parti historique de la lutte pour l'indépendance marocaine, avait déclaré que la Mauritanie était « une terre marocaine ».
« Enfin, le pouvoir devrait se préoccuper de la situation sociale », poursuit Moussa Fall, « notamment de la question de l’esclavage, ou encore des problèmes d’unité nationale [la population est composée de plusieurs ethnies dont certaines ne sont pas arabes]. »
Le président Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien général, arrivé au pouvoir par un coup d’État en 2008, élu en 2009 et réélu en 2014 avec 80 % des voix, a démenti vouloir briguer un troisième mandat en 2019. « Le président dit qu’il ne veut pas se présenter une nouvelle fois mais souhaite rester présent. C’est une équation insoluble », conclut Moussa Fall. « Car si on respecte les règles du jeu démocratique, il ne pourra pas rester présent. »
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