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Une Saoudienne au sommet du monde

Raha Moharrak a escaladé les plus hauts sommets des six continents. C’est la première Saoudienne, et aussi la plus jeune Arabe, à avoir vaincu l’Everest
Raha Moharrak, la première Saoudienne et la plus jeune Arabe à vaincre l’Everest (MEE/Meiji Sangalang)

DHAHRAN, Arabie saoudite – Sur le Mont Denali en Alaska, à une altitude de presque 5 200 mètres, Raha Moharrak était à deux doigts de réaliser son rêve : devenir la première Saoudienne à atteindre le plus haut sommet d’Amérique du Nord. Et puis le mauvais temps s’en est mêlé. Elle et ses équipiers se sont retrouvés piégés dans la montagne, soumis à des vents violents, des températures extrêmement basses et des crevasses difficiles à franchir, et ils ont échappé de justesse à une avalanche.

« C’était une montagne difficile. La météo était infernale et j’ai failli mourir. Il m’a fallu une année entière pour me remettre de l’impact psychologique désastreux de cette expédition », raconte-t-elle à propos de l’ascension de 2015.

Pendant leur expédition sur le mont Denali, ils ont eu à surmonter des défis formidables, mais rester une semaine piégée dans la montagne a amplifié la claustrophobie dont souffre Raha.

« C’était une montagne difficile. La météo était infernale et j’ai failli mourir »

Elle a aussi souffert de rougeurs et d’ulcères à l’estomac, elle y a laissé les ongles de tous les orteils et a frôlé la mort plusieurs fois par jour.

Ce fut l’une des épreuves les plus difficiles pour cette Saoudienne de 31 ans qui vit actuellement à Dubaï. Elle surmonta des obstacles physiques, psychologiques et sociaux avant de réaliser son rêve de vaincre les pics les plus élevés du monde, dont l’Everest.

« Je suis la preuve vivante qu’on peut réussir tout ce qu’on a à cœur d’accomplir à tout prix. Qui aurait cru qu’une Saoudienne se dresserait sur le toit du monde ? »

Si elle trouve un sponsor, Raha a l’intention, dès cet été, d’escalader le Mont Denali une deuxième fois.

Raha Moharrak (Instagram)

Denali était le dernier des sept sommets de sept continents que Raha Moharrak avait encore à vaincre : le Kilimandjaro, l’Everest, le Vinson, l’Elbrus, le Puncak Jaya et l’Aconcagua figurent déjà à son palmarès.

« À certains moments je ne savais plus ce que je faisais, et parfois je me demandais : serait-ce plus facile si j’étais plus banale ? Serait-ce plus facile si je n’étais pas Saoudienne ? »

« À certains moments, je me demandais : serait-ce plus facile si j’étais plus banale ? Serait-ce plus facile si je n’étais pas Saoudienne ? »

« Le besoin de me prouver que je pourrai réaliser mon rêve l’a largement emporté sur la tentation de renoncer », ajoute-t-elle.

Enfance

Raha se décrit comme une enfant audacieuse, sociable, rebelle et courageuse. Ses parents et tout son entourage ont vite compris qu’elle n’était pas comme les autres. Dans sa quête pour réaliser ses rêves, Raha a fait éclater les stéréotypes sur les femmes saoudiennes.

En 2008, après un diplôme en design graphique et trois ans de carrière dans une société de design à Dubaï, Raha fut confrontée à un choix difficile quand sa famille lui a demandé de revenir au royaume saoudien.

« Je savais que j’étais faite pour escalader des montagnes », Raha Moharrak (MEE/Andy Chui)

À cette époque, raconte Raha, ses parents voulaient qu’elle rentre au pays pour « attendre le prince charmant » – ce qui revient à mettre sa vie entre parenthèses jusqu’à ce que se présente le prétendant bien sous tous rapports. Or, cette jeune femme de 25 ans n’avait aucunement l’intention de se conformer aux normes de sa société.

« Je n’ai jamais cherché à casser des stéréotypes, j’étais juste là pour casser un stéréotype sur moi-même », explique-t-elle.

« Pourquoi devrait-on passer notre vie à se plier aux attentes de la société ? », ajoute-t-elle.

« Je n’ai jamais cherché à casser des stéréotypes, j’étais juste là pour casser un stéréotype sur moi-même »

Bien qu’elle n’ait rien contre le mariage, attendre passivement un mari pour que sa vie « commence » est une idée que Raha ne peut simplement pas concevoir.

« Qui refuserait d’épouser le prince charmant ? Je ne dis pas que cela ne me plairait pas mais je ne crois pas que je devrais l’attendre. À mes yeux, c’est une idée tout simplement ridicule », ajoute-t-elle.

Raha reconnaît que son retour en Arabie saoudite, en 2011, fut un « désastre ». À Dubaï, elle s’était habituée à un style de vie actif et athlétique, à jouer au squash et au volley-ball. Quand elle a retrouvé l'Arabie saoudite, et ses restrictions sur l’accès aux sports et aux activités de plein air, elle a senti qu’elle ne se serait jamais chez elle dans son propre pays.

Comment tout a commencé

Son incroyable aventure a commencé le jour où, au hasard d’une conversation avec un ami, le mot « alpinisme » a surgi, piquant sa curiosité : quelle autre meilleure façon de joindre aventure et amour des voyages ?

Raha ignorait tout de l’alpinisme, mais elle s’accrocha néanmoins à cette idée. Quand elle fit part de ses ambitieux projets à ses amis, personne ne la prit au sérieux.

« On ne se réveille pas un beau matin en se disant qu’on va escalader des montagnes », lui a répondu l’un d’eux mais cela n’a jamais entamé sa détermination.

Pour d’autres, il était inconcevable qu’on puisse trouver le moindre plaisir à se lancer dans une telle entreprise. « Pour quelle raison pourrais-tu même en avoir envie ? » lui objecta un autre.

Ces remarques n’ont fait que pousser un peu plus Raha à concrétiser ses rêves.

« Il est pour moi primordial de faire ce que je fais, et je veux le faire pour moi-même. Personne ne peut me dicter ce que je suis capable de faire ou non », affirme-t-elle.

« Personne ne peut me dicter ce que je suis capable de faire ou non »

Raha est très reconnaissante envers les membres de sa famille : ils n’ont jamais cherché à étouffer sa curiosité et son désir d’aventure, mais admettent volontiers l’avoir mise en garde au départ au sujet de l’alpinisme. Raha explique avoir utilisé les enseignements reçus de son père pour le convaincre qu’elle devait absolument vaincre son premier sommet, le Kilimandjaro. Dans un e-mail aussi long que passionné, elle lui a détaillé pourquoi il lui fallait absolument se lancer à fond dans l’alpinisme.

« Je lui ai écrit ceci : c’est toi qui m’a inculqué les valeurs d’invincibilité. Toi qui m’a enseigné à avoir confiance en moi, à croire en mes rêves et à compter sur mes propres capacités. Comment peux-tu donc, maintenant, me suggérer de faire autre chose que ce en quoi toute mon éducation me pousse à croire ? ».

Après avoir harcelé ses parents pendant quelques mois, Raha les a finalement convaincus de sa détermination à escalader le Kilimandjaro.

« J’ai essayé de me plier aux normes sociales, mais à un moment ou à un autre, tu t’en libères »

« Cela m’a pris pas mal de temps. J’avais l’impression de trahir les attentes de la société. J’ai refusé de m’attacher les cheveux, je préférais les porter dénoués. Je n’avais aucune envie de porter des jupes, seulement des pantalons. J’ai essayé de me plier aux normes sociales, mais à un moment ou à un autre, tu t’en libères », explique-t-elle.

« C’est peu à peu que l’on devient ce que l’on est ».

« Mes parents en ont vu de toutes les couleurs... Je me suis mise à la plongée sous-marine, puis au parachutisme… Je suis souvent arrivée chez moi avec des points de suture, et ils sont venus plus d’une fois me chercher aux urgences. En fait, j’ai passé ma vie à donner des petits coups de canif à la norme sociale », ajoute Raha. 

Soutien et critiques

Ses parents n’ont jamais su à quoi s’attendre de sa part, mais ils l’ont toujours soutenue, indéfectiblement, dans son aventure.

« J’ai refusé de m’attacher les cheveux, je préférais les porter dénoués »

« Tout les inquiétait : les problèmes culturels, ma sécurité… Ils ne savaient tout simplement pas à quoi s’attendre ! »

Les réactions de son entourage ont été, au mieux, mitigées. Ses amis les plus proches n’ont jamais été surpris de voir Raha prendre un chemin si original, mais d’autres s’en sont offusqués.

« Certains d’entre eux n’arrivaient pas à s’y faire. Selon eux, je faisais honte à ma famille », se souvient-elle, tandis que d’autres réagissaient en lui demandant « mais pourquoi faut-il donc que tu refuses de faire comme toutes les autres ? Pourquoi t’entêtes-tu à te faire remarquer ainsi ? »

Raha Moharrak : la conquête des sommets

En dépit des résistances, Raha finit par atteindre son objectif de toujours : parvenir au sommet du Kilimandjaro, en décembre 2011, lors d’une expédition financée sur ses deniers personnels. Tout au long des mois d’octobre et novembre 2011, Raha s’est entraînée toute seule. Pour préparer son ascension, accroître son endurance, notamment cardiaque, elle s’est soumise à un entraînement rigoureux.

« Je suis la preuve vivante qu’on peut réussir tout ce qu’on a à cœur d’accomplir à tout prix. Qui aurait cru qu’on verrait une Saoudienne se dresser sur le toit du monde ? », Raha Moharrak (MEE/Zhi Yuen Yap)

Au cœur de son entraînement : marcher dans le désert pendant six heures d’affilée, avec sur les épaules un lourd sac à dos.

Au-delà de son entraînement sportif, elle s’est documentée en ligne sur l’alpinisme, pour être sure de ne rien laisser au hasard et d’être prête pour son expédition, tant mentalement que physiquement.

Raha a escaladé le pic en compagnie de huit autres personnes dans une aventure qui a duré sept jours. Quand elle a sollicité les services d’une société locale d’alpinisme, elle a vite compris que l’ascension allait s’avérer encore plus difficile que prévu. Le coût financier – plusieurs milliers de dollars, tout de même – ne fut pas le plus cher.

« Je n’avais aucune expérience de l’alpinisme. Ce fut très rude psychologiquement et physiquement », se rappelle-t-en ajoutant : « C’était épuisant, douloureux et inconfortable. »

« Mais pourquoi faut-il donc que tu refuses de faire comme toutes les autres ? Pourquoi t’entêtes-tu à te faire remarquer ainsi ? »

En venant d’un pays comme l’Arabie saoudite, le plus dur pendant cette expédition fut de s’acclimater au grand froid. Elle raconte avoir frôlé la mort, victime d’hypothermie extrême : sa température interne est tombée en-dessous du minimum requis pour garantir un métabolisme normal.

« C’est la première fois que j’étais exposée à des températures négatives et le froid extrême fut un choc pour moi ».

Les températures étaient si basses que l’eau a gelé dans ses yeux : sa vision en devint trouble au point qu’elle ne voyait même pas le sentier sous ses pas. Vers la fin de l’ascension, elle forma donc une chaîne humaine avec son équipe. En franchissant enfin les derniers mètres, elle sentit le soleil faire fondre la glace dans ses yeux.

Arrivée au sommet, elle retrouva la vue et éprouva une grande euphorie au spectacle fantastique des nuages nimbant le plus haut sommet d’Afrique.

« En atteignant le sommet, j’ai compris que ce ne serait pas la dernière fois que j’escaladerais une montagne. J’étais devenue accro, j’avais trouvé ma vocation : l’alpinisme ».

Maintenant qu’elle avait prouvé qu’elle pouvait vaincre même le Kilimandjaro, Raha s’est sentie invincible : en à peine douze mois, elle a escaladé huit montagnes. 2013 fut une année décisive dans sa vie : elle entra dans l’histoire en devenant la première Saoudienne et le plus jeune Arabe à escalader l’Everest.

Message aux femmes saoudiennes

Raha espère que son épopée inspirera d’autres femmes à accomplir leur vocation et faire mentir les préjugés sur l’oppression des Saoudiennes.

Raha recommande aux jeunes, surtout ceux originaires de cette partie du monde, de suivre leurs passions et découvrir les compétences qui dorment en eux.

« Les choses changent, mais pas encore assez vite » regrette-t-elle.

Raha se consacre aussi à l’écriture d’un livre, dans lequel il ne s’agit pas seulement d’alpinisme, mais de montrer comment, en dépit de tous les obstacles et de ma condition de femme saoudienne, j’ai réalisé mes rêves ».

Ses parents sont fiers des exploits de leur fille et sont désormais convaincus qu’« à Raha, rien d’impossible ».

Raha milite pour l’égalité des sexes et ne laisse passer aucune occasion de promouvoir le message en faveur de la participation des femmes aux sports.

Elle est convaincue qu’il est important d’éduquer les filles à comprendre qu’elles valent autant que les garçons.

« Ma contribution à la société est facile pour moi, mais j’espère transmettre ceci : on a tous le pouvoir de réaliser son rêve, si l’on y met tout le courage nécessaire. »

« Escalader les montagnes, c’est facile mais changer les mentalités, c’est une autre paire de manches », conclut Raha.

« J’ai fait un rêve : que j’atteigne un âge suffisamment avancé pour voir émerger une génération débarrassée des premières fois, tout simplement parce que les femmes arabes auront déjà franchi le pas. »

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.

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