Yémen : bombardées et incendiées, les mosquées sont détruites par la guerre
TA’IZZ, Yémen – Najeeb al-Raseni travaille dans un café près de la mosquée d’al-Hussein, à Ta’izz, une ville de la région au nord d’al-Shamasi. Il prie tous les jours car il pense que, si nous sommes mortels ici-bas, nous sommes éternels dans l’au-delà, et qu’il lui incombe donc de travailler dur pour aller au paradis.
Raseni venait régulièrement prier à al-Hussein – mais plus maintenant.
Quand la guerre a éclaté dans son quartier en avril 2015, il a continué à fréquenter la mosquée. Mais, début mai 2015, les rebelles houthis ont investi le bâtiment pour en faire une caserne.
« Dès que les Houthis ont transformé la mosquée en caserne, les forces pro-gouvernementales en ont fait une cible », indique Raseni à Middle East Eye. « Ils ont tiré dessus avec des armes diverses et variées. C’est pourquoi les prières à la mosquée sont interrompues depuis mai 2015 ».
À la mi-mai 2015, les forces pro-gouvernementales ont repris la mosquée – mais ce fut alors au tour des Houthis de cibler le bâtiment.
« Personne ne peut entrer dans la mosquée à l’heure actuelle, parce qu’elle domine les positions des Houthis », explique Raseni. « Quand j’ai essayé d’y entrer, un tireur embusqué, houthi, a tiré, alors je suis immédiatement parti. »
Des dizaines de fidèles avaient l’habitude de prier avec Raseni à al-Hussein. La plupart prient désormais chez eux parce que les autres mosquées sont trop éloignées pour s’y rendre cinq fois par jour.
« Quand j’ai essayé d’entrer dans la mosquée, un tireur embusqué, houthi, a tiré, alors je suis immédiatement parti. »
-Najeeb al-Raseni
Raseni n’en continue pas moins de fréquenter d’autres mosquées pour solliciter d’Allah de nouvelles récompenses.
« La destruction des mosquées est une preuve évidente que les deux parties belligérantes font fausse route et que la guerre est vaine », souligne-t-il.
« Les véritables musulmans ne cibleraient jamais une mosquée, même si leurs ennemis se cachaient à l’intérieur. Je m’oppose à ce que les adversaires de cette guerre détruisent nos mosquées ».
Les mosquées servent à loger des troupes
Al-Hussein est l’une de 52 mosquées de la province de Ta’izz à avoir fermé depuis le début de la guerre en 2015. Le plus souvent parce qu’elles se trouvent au mauvais endroit dans une zone de conflit. Elles ont été transformées en casernes pour les combattants ou réduites à l’état de ruines.
Les mosquées sont au cœur de la vie des Yéménites, car 99 % d’entre eux sont musulmans. Cinq fois par jour, les fidèles se rassemblent à leur mosquée locale pour prier. Les musulmans se réunissent aussi le week-end pour écouter le prêche du vendredi, quand les prédicateurs évoquent les sujets de la semaine d’un point de vue religieux.
Avant qu’elle soit détruite, Akram Mutahar venait prier à la mosquée d’Oqba dans le quartier de Tha'abat, à l’est de Ta’izz. Il est tailleur, mais la guerre le prive désormais d’un emploi régulier et il ne travaille qu pendant la période précédant l’Aid.
« Notre mosquée a été convertie en caserne. Ce qui signifie qu’elle a été profanée par la guerre. Ce n’est plus un lieu saint. Mais je n’ai pas dit que nous ne prions plus pour autant. »
-Akram Mutahar
La destruction de sa mosquée l’a conduit à se concentrer sur ce hadith (parole du prophète Mohammed), qu’il cite : « Viendra le temps où le musulman qui tiendra véritablement à sa religion sera semblable à une personne tenant une braise de feu dans sa main. »
Mutahar explique que, comme d’autres musulmans, il trouve le réconfort dans ce hadith particulier, formulé il y a plus de 1 400 ans par le prophète Mohammed. Même si la guerre a rendu la foi aussi difficile que de « serrer un charbon ardent dans sa main », il n’a pas renoncé à pratiquer sa religion, même s’il est contraint de rester chez lui.
Zaid al-Showafi, l’imam de la mosquée d’Oqba, approuve Mutahar : en temps de conflit, les musulmans devraient continuer à chercher le réconfort dans la méditation des hadiths et des versets du Coran.
« J’étais imam d’une mosquée, et après sa destruction en novembre de 2016, j’ai fui pour habiter rue du 26-Septembre. Là, il y a une mosquée où je prie », précise-t-il à MEE.
« Je conseille aux croyants de ne pas cesser d’aller à la mosquée, malgré les destructions. J’étais imam et suis désormais au chômage mais je continue d’aller à la mosquée : ce n’est pas du travail, c’est de la foi. »
Il explique qu’à l’image de nombreux habitants de Ta’izz, il dépend maintenant des associations et de parents qui lui fournissent de quoi manger.
« De nos jours, les mosquées sont encore plus fréquentées qu’avant la guerre, parce que les prédicateurs et les imams réconfortent les gens et les aident à supporter la guerre ».
Les combattants justifient leurs destructions
Les attaques de mosquées ont aussi provoqué un tollé. The Program of Communication with Yemen’s Scholars est une ONG pro-gouvernementale qui œuvre en coordination avec les cheikhs (religieux). Le 11 avril, elle a organisé des manifestations dans les provinces de Ta’izz, Marib et Aden, pour protester contre le ciblage de mosquées.
Les organisateurs condamnent seulement les combattants houthis, qui selon eux, ont détruit plus de 750 mosquées au Yémen. Pourtant, les forces la Résistance populaire ont, elles aussi, causé des dégâts.
À Ta’izz, un des manifestants rapporte à MEE que les Houthis ont détruit la mosquée centrale d’al-Ashbat, où il avait coutume de prier.
« Quand l’imam de la mosquée nous a demandés de manifester contre les Houthis, je n’ai pas hésité à participer », raconte cet homme, qui souhaite rester anonyme par crainte de représailles. « Je n’ai pas l’intention de soutenir leurs adversaires qui détruisent aussi les mosquées. Je veux envoyer au monde un message pour que les mosquées soient protégées. »
Comme d’autres imams, explique Showafi à MEE, il a essayé de contacter les belligérants pour mettre un terme aux destructions – en vain.
Selon les imams, les combattants disent qu’il leur est impossible de tirer sans toucher des mosquées. Si elles servent de casernes, ils les épargneront bien sûr d’autant moins.
« Je sais que c’est mal de détruire un lieu saint, mais la fin justifie les moyens. Notre objectif est d’empêcher les Houthis d’assassiner les civils »
-Un combattant de la résistance
MEE a essayé de contacter une source du côté houthi, à Ta’iiz, pour recueillir leurs réactions aux accusations portées contre eux, mais personne n’a souhaité s’exprimer.
Un combattant de la Résistance populaire a cependant tenu à dire que les mosquées n’étaient pas détruites délibérément.
« Je sais que c’est mal de détruire un lieu saint, mais la fin justifie les moyens », affirme ce combattant, qui souhaite rester anonyme par crainte de représailles. « Notre objectif est d’empêcher les Houthis d’assassiner les civils. Je n’ai donc pas d’états d’âme à détruire un lieu saint, puisqu’il sera reconstruit plus tard. Allah nous pardonnera toutes nos fautes parce qu’Il sait que notre principale intention, c’est de faire sa volonté ».
« Le pire, c’est le meurtre de civils »
Sabri Aqlan, le cheikh de Ta’izz, explique à MEE que dans l’islam, tuer un musulman est plus grave que détruire des mosquées et la Kaaba. Quand des combattants tuent des civils, on peut craindre qu’ils détruisent aussi des mosquées.
« Dans l’islam, détruire une mosquée ou même parler de son intérêt personnel dans une mosquée, est un péché. Les mosquées sont des lieux saints où les fidèles prient Allah, mais tuer des civils c’est encore plus grave, et le châtiment divin sera pire. »
« Les mosquées sont des lieux saints où les fidèles prient Allah, mais tuer des civils c’est encore plus grave, et le châtiment divin sera pire »
-Sabri Aqlan, cheikh
Quant à Raseni, il attend avec impatience la reconstruction des mosquées – mais il craint d’attendre encore longtemps.
« La destruction des mosquées est une réelle souffrance pour tout bon musulman, puisqu’un bon musulman prie sans cesse », rappelle-t-il. « Il vaut mieux que les musulmans choisissent d’y voir une épreuve et continuer à prier Allah. L’islam nous réconforte, et le meilleur endroit pour prier Allah, c’est la mosquée. Si nous prions tous Allah pour qu’il aide le Yémen, Allah nous entendra ».
Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.
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