L’État islamique, en proie aux querelles intestines, tente de fuir l’Irak
Les soldats se déploient à travers de hautes herbes du printemps, emplissant doucement une tranchée de défense stratégique creusée par les forces irakiennes. Ils vérifient la présence de militants de l’État islamique (EI) ou d’EEI qui pourraient avoir été déposés du jour au lendemain.
Une explosion fend l’air, projetant un énorme nuage de poussière et de sable. Cela ressemble à un obus de mortier. Plus alertes que jamais, les soldats continuent à travers les herbes. L’un d’eux sort de la tranchée et récupère la base d’une unité en plastique avec un fil qui traîne de son noyau vide, en criant que la source de l’explosion était un EEI déclenché par inadvertance, l’un des centaines d’EEI déposés pour empêcher les attaques quotidiennes de l’EI.
Cette ligne de front, tenue par les forces irakiennes des Hashd al-Shaabi (unités de mobilisation populaire, UMP), longe la route principale de Bagdad à Mossoul, s’étendant sur des centaines de kilomètres à travers le désert irakien.
La route contrôlée par le gouvernement constitue un lien vital pour les troupes irakiennes qui se battent au nord de Mossoul. C’est également tout ce qui empêche les militants terrés dans la ville occupée par l’EI de Hawija, à 40 km à l’est, de s’échapper dans le désert irakien qui s’étend vers la Syrie.
Saad Swar (42 ans), commandant de la 99e Brigade, a déclaré à MEE : « Nous sommes ici entre deux ennemis, avec Daech [EI] de chaque côté, et ils attaquent nos positions tous les jours. »
« Ils veulent contrôler cette route parce qu’elle forme un pont qu’ils peuvent utiliser pour s’échapper de leur territoire en Irak vers les frontières de la Syrie. Nous sommes là pour empêcher Daech de fuir en Syrie. »
Tandis qu’il parle, ses soldats prennent position, balayant l’horizon. À quelques kilomètres de la tranchée, un drapeau noir flotte, minuscule au milieu des lointains monts Makhoul couleur sable.
Cette chaîne de montagnes, parsemée de palais appartenant à l’ancien dirigeant irakien Saddam Hussein, est contrôlée en partie par l’EI, en partie par les forces irakiennes, et est entrecoupée d’étendues de no-man’s land.
Les combattants de l’EI qui attaquent la route des monts Makhoul viennent de Hawija. C’est la deuxième plus grande ville irakienne que le groupe contrôle encore totalement, maintenant qu’il perd son emprise sur son ancien bastion de Mossoul.
Le désespoir de l’État islamique
Même si la bataille pour Mosul fait rage, les forces armées irakiennes se préparent pour les deux prochaines offensives majeures du pays : Hawija et Tal Afar, la plus grande ville du désert.
Pendant ce temps, selon Swar, les militants se préparent à fuir. « En ce moment, nos forces commencent à encercler Hawija et l’ennemi cherche désespérément à s’échapper », a-t-il déclaré.
« Cependant, leurs attaques quotidiennes sur nos positions ici ont deux objectifs. Le premier consiste à rouvrir leur voie de repli et le second est de reprendre le contrôle de ce tronçon de route, ce qui constituerait un avantage stratégique pour eux car cela couperait notre route logistique vers Mossoul. »
Mohunnad Najim al-Eqabi, responsable des médias pour les Hashd al-Shaabi, a déclaré que la route est une ligne d’approvisionnement cruciale pour les forces irakiennes qui luttent contre l’EI dans l’offensive en cours sur Mossoul. Si cette route logistique est coupée, l’ensemble de l’opération au nord s’effondrera.
« Ils cherchent désespérément à gagner cette route, mais notre défense est solide. Nous avons tué des centaines de membres de Daech ici au cours du dernier mois, mais ils continuent à venir » – Riad Konia Abu Salem, soldat
Riad Konia Abu Salem (67 ans) est un ancien ingénieur de l’industrie pétrolière devenu soldat. « Cela dure depuis un mois », s’est-il écrié avec entrain à l’arrière d’une Toyota sur le tarmac battu par la guerre. « Chaque nuit, Daech nous attaque, généralement du côté de la montagne, parfois de l’autre côté, et tous les matins, nous les repoussons. »
« Ils cherchent désespérément à gagner cette route, mais notre défense est solide. Nous avons tué des centaines de membres de Daech ici au cours du dernier mois, mais ils continuent à venir. »
Les attaques sont de plus en plus féroces, ce qui, selon Swar, indique à quel point les militants de l’EI sont aujourd’hui désespérés de fuir l’Irak.
Avant, l’EI se reposait principalement sur de petits groupes de combattants, des attentats suicides individuels et des attaques de mortier. Désormais, ils recourent de plus en plus aux voitures piégées remplies d’explosifs.
Il y a quinze jours, les militants ont mené leur plus grand assaut, en lançant une attaque à sept branches le long de la ligne de front, en déployant de nombreuses voitures et camions piégés, suivis de combattants à pied. Après de violents affrontements, l’attaque a été repoussée.
Lorsqu’ils se sont retirés, des militants mécontents se sont retournés les uns contre les autres dans les montagnes, ce qui a amusé les combattants des Hashd al-Shaabi en les observant à travers des jumelles.
« Après l’échec de cette grande opération, Daech a commencé à s’entretuer dans la montagne et, selon nos informations et sources, le chef de cette opération et son responsable de la sécurité ont tous deux été tués dans les combats », a déclaré Swar. « L’EI connaît aujourd’hui beaucoup de problèmes internes et de conflits, en particulier entre les membres irakiens et étrangers. »
« Après l’échec de cette grande opération, Daech a commencé à s’entretuer dans la montagne… L’EI connaît aujourd’hui beaucoup de problèmes internes et de conflits » – Saad Swar, commandant
Il a énuméré les membres haut-placés de l’EI que ses forces ont tué au cours des quinze derniers jours : Abu Mariam al-Kurdi, commandant d’une unité spécialisée dans les EEI et les mines ; un organisateur de missions suicide connu sous le nom d’al-Ghamusy ; et Ayoub al-Ansari, un haut responsable de l’EI.
Le M16 d’al-Kurdi a maintenant été intégré à l’arsenal de la 99e Brigade, lequel est régulièrement renforcé par les armes de l’EI régulièrement saisies après leurs attaques ratées. Swar a levé son propre M16 et a tapoté celui du soldat à côté de lui, en précisant avec un sourire que les deux avaient été pris à l’ennemi.
Des pièces de munitions, des routes d’épaves brûlées
Les newsletters de l’État islamique, diffusées sur les réseaux sociaux, passent sous silence la manière dont ses attaques quotidiennes sont repoussées et glorifient régulièrement ses opérations, en se référant aux forces principalement chiites des Hashd al-Shaabi par le terme péjoratif « Rafidi Mobilisation ».
Dans une mise à jour publiée le 9 mai, l’EI a listé les attaques que ses combattants ont menées au cours des jours précédents, notamment le ciblage des lignes de front avec 62 mortiers et cinq roquettes SPG-9, détruisant un canon antiaérien et un véhicule militaire. Il a également revendiqué le succès d’attaques de snipers contre des soldats conduisant le long de la route près de Baïji.
L’école déserte de Baïji est une sorte de musée des attaques de l’EI. Elle dispose de salles remplies de milliers d’EEI et de munitions désamorcées et d’armes
Cette partie de la route a connu une des plus intenses activités des milliers de kilomètres de lignes de front dans le désert occupées par les forces des Hashd al-Shaabi. Pour cette raison, la 99e Brigade qui contrôle cette partie de la route renforce constamment ses défenses : devant les tranchées, elle a déjà posé plus de deux kilomètres carrés de champs de mines pour déjouer les attaques.
À proximité, les unités d’ingénierie militaire désamorcent de vastes champs de mines créés par l’EI autour de la ville voisine de Baïji et ses anciennes installations pétrolières, détruites par les militants avant d’être chassés de la zone par les forces irakiennes en octobre 2015.
L’école déserte de Baïji, désormais quartier général de la 99e Brigade, est une sorte de musée des attaques de l’EI. Elle dispose de salles remplies de milliers d’EEI et de munitions désamorcées et d’armes prises au groupe, notamment des missiles Grad faits maison
Les quantités d’armes sont si importantes que des salles entières sont consacrées au stockage de types particuliers d’explosifs, notamment une pour les mines et une autre pour les EEI contenant du chlore, l’arme chimique que l’EI a commencé à déployer en Irak.
Un tas composé de centaines de contenants en plastique – des EEI désamorcés contenant du C4, un explosif prisé par l’EI – sont empilés dans un coin à l’extérieur.
Sur le parking de l’école se trouvent deux voitures piégées récentes, les restes d’une qui a explosé et une autre qui a été arrêtée après une grenade bien ajustée, jetée dans le véhicule à toit ouvert, a tué le conducteur. Les épaves brûlées d’autres voitures piégées bordent les bords de l’autoroute.
Des années pour éliminer les mines et les EEI de la région
Baïji reste une zone militaire. Ses anciens habitants vivent dans des camps de réfugiés dans la ville voisine de Tikrit mais, même après que la région aura été complètement libérée, il faudra de nombreuses années avant que la zone ne soit complètement dégagée des munitions non explosées et des EEI.
« Ils connaissent très bien cette région montagneuse… Toutefois, nous travaillons à couper chacune de ces routes » – Saad Swar, commandant de brigade
Plus de 3 000 EEI et mines ont déjà été désamorcés et retirés de quelques kilomètres de champs en bordure de route près des restes des installations pétrolières de Baiji, selon Swar.
Il se tenait au bord d’un champ à demi-nettoyé, à côté d’une rangée de dizaines d’EEI déterrés, espacés d’un mètre, et a expliqué comment l’EI avait également creusé de vastes tunnels dans le terrain désert du désert.
« Daech a creusé un très grand tunnel près d’ici », a-t-il dit, « lequel, comme ces milliers d’EEI montre à quel point ils étaient forts, surtout dans la logistique. »
« Ils connaissent très bien cette région montagneuse et essaient toujours de transporter des armes de Shirqat à travers les montagnes via des routes d’approvisionnement secrètes.
« Mais nous travaillons à couper chacune de ces routes. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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