Procès de l’attaque de Sousse : des avocats dénoncent des pressions de la Grande-Bretagne
TUNIS – C’est un dossier épais de plusieurs centaines de pages, celui de l’affaire 34 260, que la cinquième chambre du tribunal de première instance de Tunis, spécialisée dans les affaires de terrorisme, a ouvert vendredi 26 mai. Cette affaire porte sur l’attaque, revendiquée par le groupe État islamique, de la plage de l’hôtel RIU Imperial Marhaba de Port El-Kantaoui, près de Sousse. Ce 26 juin 2015, Seifeddine Rezgui, 23 ans, tue 38 touristes – dont 30 Britanniques – ciblant les étrangers et épargnant les Tunisiens. Il fera également 39 blessés avant d’être lui-même abattu par les forces de sécurité.
La majorité des 26 inculpés sont aujourd’hui soupçonnés d’avoir aidé le jeune étudiant. Vingt personnes sont en effet poursuivies pour « crimes terroristes », « homicides » et « complot contre la sûreté de l’État » d’après le parquet. Six autres personnes, appartenant aux forces de sécurité, doivent répondre de « non-assistance à personne en danger ».
Pour un juge britannique, la réponse de la police tunisienne « aurait pu et dû être plus efficace »
En cause notamment, l’intervention jugée tardive de la police. L’attaque fait d’ailleurs l’objet d’une procédure devant la Cour royale de justice de Londres. En début d’année, le juge Nicholas Lorraine-Smith avait rendu ses conclusions, estimant que la police tunisienne avait réagi de façon « chaotique » : « Leur réponse aurait pu et dû être plus efficace ».
Sousse et Bardo : les mêmes personnes, le même mécanisme, la même planification
C’est en présence de seize inculpés que s’est ouvert le procès ce vendredi matin. Une délégation de l’ambassade britannique avait fait le déplacement.
Après avoir fait l’appel des accusés, le juge a donné la parole aux avocats. Du côté de la défense, des demandes de relaxe ont été déposées. Slah Barakati, l’avocat de Chokri Yahyaoui et Mohamed Ali Mna, deux personnes également citées dans l’attaque du musée du Bardo (21 victimes, le 18 mars 2015), a, quant à lui demandé, à ce que les deux dossiers soient reliés : « Nous ne pouvons pas les dissocier. Il faut une étude concomitante des affaires de Sousse et du Bardo, car ce sont les mêmes personnes, le même mécanisme, la même planification. »
Maître Barakati a également évoqué la brigade El-Gorjani qu’il accuse de « tortures et d’agressions ». Inès Harrath, une de ses collègues, confirme : « Il y a eu des aveux extorqués sous la torture. » Avant l’audience, elle expliquait à Middle East Eye défendre un homme en prison depuis août 2015, accusé notamment « d’appartenance à un groupe terroriste et d’utilisation d’armes », sans preuve concrète de son implication selon elle. « Il est en prison parce que son frère, qui est en fuite, est l’ami d’une personne qui connaît Seifeddine Rezgui... »
Des avocats de la partie civile commis d’office il y a une dizaine de jours
Dans le même registre, Maître Ahmed Labidi a tenté d’appuyer sur les failles de l'instruction : « Mon client a été arrêté sur des “peut-être”. Le principal témoin dit qu'il n'a pas vu mon client contacter Ashraf Sandi [un autre inculpé] mais que peut-être, probablement, il l'a fait. L'accusation ne peut pas se baser sur un “peut-être” ! »
Du côté de la partie civile, les avocats ont demandé le report du procès. Ils obtiendront gain de cause : La prochaine audience a été fixée au 3 octobre. La grande majorité d’entre eux ont été commis d’office sur le dossier il y a une dizaine de jours et n’ont donc eu aucun contact avec leurs clients. Adel Hannachi, lui, a été désigné jeudi, la veille du procès.
« C’est la section régionale des avocats de Tunis qui m’a appelé suite à un contact avec l’ambassade britannique. Je n’ai pas eu de contact avec mon client. Je souhaite du temps pour travailler le dossier », explique-t-il à MEE à la fin de l’audience. Son dossier ne contient qu'une simple feuille A4 volante où ne figure que le nom de son client, qu’il croit mort. Une recherche sur internet montre qu’il est en réalité en vie.
L’avocat tient à ajouter que ce processus est tout à fait normal. Aiman Allah Ouechtati défend également une victime britannique. Il estime que cette première audience était d’une qualité particulière : « Je suis confiant. J’ai été étonné que cela se passe aussi bien. Nous avons eu un juge patient, qui prend le temps d’écouter. Espérons que cela se passera toujours ainsi. »
« On s’attend à des peines exemplaires »
Inès Harrath, elle, est moins convaincue par le bon déroulé du procès : « Je ne suis pas tellement ravie de l’attention qui tourne autour de ce procès. La salle est petite, les journalistes prennent la place des familles », explique-t-elle à MEE en évoquant également « un peu d’ingérence » : « Il est fréquent de croiser des étrangers au pôle anti-terroriste. Des britanniques, des Américains, des Français... On ne sait pas ce qu’ils font là. Nous attendons des heures pour avoir des réponses, des informations. Eux, ils ont la priorité. »
« Il ne faut pas condamner des personnes simplement pour faire plaisir à la Grande-Bretagne »
-Maître Fathi el-Mouldi, avocat d’un des policiers
Une position mise en exergue par Mehdi Zagrouba durant l’audience. L’avocat a dénoncé « des pressions politiques de la Grande-Bretagne » en pointant du doigt les représentants de l’ambassade présents. Le juge l’a rappelé à l’ordre, lui demandant de se concentrer sur le dossier.
Maître Fathi el-Mouldi, avocat d’un des policiers, mettait en garde ce vendredi avant l’ouverture du procès : « On s’attend à des peines exemplaires. Mais attention aux abus. Il ne faut pas condamner des personnes simplement pour faire plaisir à la Grande-Bretagne. » Depuis ce 26 juin 2015, la Grande-Bretagne déconseille formellement à ses ressortissants de se rendre en Tunisie.
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