EXCLUSIF : Les réfugiés syriens à la frontière Algérie-Maroc sont déjà presque tous partis
ALGER – Pour les quinze derniers réfugiés syriens bloqués à la frontière entre l'Algérie et le Maroc, cette nuit de jeudi à vendredi fut une nuit d'horreur. « Après avoir longtemps marché pour se faufiler au Maroc, ils ont été interceptés par les militaires marocains qui les ont renvoyés dans le désert, les privant d'eau et de nourriture pour les punir », raconte le médecin franco-marocain Zouhair Lahna, qui se trouve sur place, à Middle East Eye. « Parmi eux, il y a huit enfants. Ce sont les plus vulnérables, ils sont très fatigués. »
Dans cette vidéo, un réfugié syrien raconte leur tentative ratée de passer au Maroc (Facebook)
Pour le médecin, l’annonce faite jeudi par l’Algérie d’accueillir « pour des raisons humanitaires » le groupe d’une quarantaine de réfugiés syriens arrive « un peu tard ». « Les habitants de Figuig ont fait passer la plupart des réfugiés syriens du côté marocain. Ils ne sont plus là où les autorités pensent qu’ils sont. »
« Il n’était plus possible de voir cette tragédie se dérouler devant nous », explique-t-il à Middle East Eye. « Comme personne ne faisait rien », les réfugiés ont été transférés par petits groupes jusqu’au Maroc. Le dernier groupe a essayé de passer cette nuit (de jeudi à vendredi), sans succès.
Fin avril, MEE révélait que le Maroc et l’Algérie avaient bloqué l’aide humanitaire aux réfugiés coincés dans une zone tampon entre les deux pays.
Selon les habitants de Figuig, petite ville de quelque 15 000 habitants de la frontière, les autorités marocaines avaient interdit aux réfugiés tout contact avec la population. Côté algérien, il était également impossible pour les habitants d’accéder aux réfugiés.
« Il faut comprendre à quoi ressemble la zone », explique Zouhair Lahna. « Figuig est une oasis avec des montagnes et derrière, une vallée avec le désert. Cette vallée appartenait au Maroc mais avec le temps, elle est devenue une zone tampon, un no man’s land. C’est là que se trouvent les réfugiés. »
Dans cette vidéo, le docteur Zouhair Lahna explique la configuration de Figuig
Depuis six semaines, ces réfugiés qui n’ont pas accès à l’oasis, vivent donc dans un environnement très hostile. Les températures à l’ombre pendant la journée atteignent à cette période de l’année 45°C.
« La journée, ils restent dans des ‘’tentes’’ qui n’en sont pas vraiment [elles sont fabriquées avec des bouts de tissu et tiennent avec des pierres et des branches sèches de palmiers] et ils sortent la nuit. Mais la nuit, c’est dangereux car la zone est infestée de serpents et de scorpions », souligne le médecin.
Chaque jour, des rations alimentaires et 50 litres d’eau acheminés par les passeurs
S’ils ont pu tenir depuis six semaines dans des conditions humanitaires extrêmes, c’est en grande partie grâce à la solidarité des habitants qui, en bravant les autorités et « en prenant de très gros risques », comme le souligne Zouhair Lahna, donnaient chaque jour des rations alimentaires et 50 litres d’eau aux passeurs de la frontière pour qu’à leur tour, ils les acheminent jusqu’aux migrants.
Aujourd’hui, le médecin assure qu’ils sont « en bonne santé », même si les enfants ont des coups de soleil et du sable dans les yeux.
Zouhair Lahna est arrivé jeudi de Paris, où il travaille, après un coup de fil le prévenant qu’une des femmes parmi les réfugiés, âgée de 20 ans, enceinte, avait des contractions. Elle se trouve depuis trois jours à Oujda, en sécurité, protégée par le HCR.
« Je travaille sur la mortalité maternelle », explique le médecin parti à huit reprises sur les zones en guerre du nord de la Syrie avec l’Union des organisations de secours et de soins médicaux (UOSSM) et plusieurs fois en Afrique dans le cadre de programmes de renforcement des capacités des sages-femmes. « Pour moi, il est impensable de laisser une femme accoucher dans ces conditions, ni un réfugié syrien à la porte de mon pays. D’autant que ce groupe, qui se trouvait au départ avec d’autres réfugiés, s’est perdu en chemin et je ne veux pas qu’il leur arrive quelque chose. »
Rester au Maroc ou partir pour Melilla
Mardi, le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), avait appelé le Maroc et l’Algérie à « agir rapidement » et avait demandé « d’urgence un passage sûr » pour le groupe. « Le groupe compte des enfants, des bébés et des femmes, y compris au moins une femme enceinte ayant d’urgence besoin d’une césarienne », précisait le communiqué.
« Une déclaration arrivée tardivement alors que le HCR savait très bien ce qui se passait depuis des semaines », commente le médecin.
Alger et Rabat affirmaient que la quarantaine de réfugiés ne se trouvaient pas sur leurs sols respectifs et refusaient de les accueillir, s'accusant mutuellement de vouloir s'en débarrasser chez l'autre.
La frontière terrestre entre les deux pays est fermée depuis 1994. Les deux voisins maghrébins entretiennent des relations très difficiles, en particulier autour de la question du Sahara occidental.
Selon lui, si les habitants ont décidé d’aider les réfugiés – car, insiste-t-il, ils risquent la prison – « c’est parce qu’ils ne voulaient pas que la réputation de leur village soit entaché d’un drame humanitaire uniquement parce que le Maroc officiel n’a rien fait. »
Fin mai, les Algériens et les Marocains ont décidé de mener une action commune pour dire qu’ils n’étaient pas concernés par ce que décident leur gouvernement. L’Association marocaine des droits humains (AMDH) et deux associations algériennes ont organisé une marche de solidarité, mais elles ont été empêchées des deux côtés.
Que va-t-il se passer aujourd’hui ? Les migrants se trouvent donc sur le territoire marocain et au vu des conventions signées par le royaume, ce dernier n’a pas le droit de les refuser, d’autant « qu’ils sont attendus par le bureau du HCR », souligne le médecin.
« Certains vont y rester, car ils y ont de la famille », conclut-il. « D’autres vont rejoindre l’Europe en passant par Melilla car ils n’ont plus confiance dans les pays arabes. Les Algériens ont annoncé hier qu'ils allaient accueillir les réfugiés mais pas un seul soldat, ni aucun émissaire n'est venu les prévenir. »
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