Les orfèvres d’Istanbul s’accrochent à leur métier en voie de disparition
ISTANBUL, Turquie – À quelques pas du célèbre grand bazar d’Istanbul, le bruit agréable de marteaux frappant lestement le métal résonne dans les couloirs d’un han (caravansérail) du XVIIIe siècle.
Les sons émanent des outils utilisés par ce qui pourrait être la dernière génération d’orfèvres d’Istanbul. Ils ne sont qu’une poignée de professionnels d’un métier en voie de disparition à fabriquer des peignes, des miroirs, des chandeliers, des pichets et d’autres créations exquises aux détails impeccables.
Seuls quelques-uns de ces maîtres demeurent dans leur quartier général officieux au Buyuk Yeni Han, un ancien caravansérail croulant mais serein qui est aujourd’hui rempli d’ateliers. Le métier a été dévasté par le manque d’intérêt des jeunes générations dans son apprentissage et par un afflux d’importations de mauvaise qualité.
« La chose qui nous a le plus durement touchés a été l’arrivée de marchandises bon marché en provenance de l’étranger », a expliqué Eyyup Sulu. L’homme de 38 ans, qui a commencé l’apprentissage du métier à l’âge de 7 ans, a passé la majeure partie de sa vie à créer ces œuvres en argent.
Eyyup a affirmé que son cousin Feyzullah Yagmur, avec qui il travaille côte à côte, est le plus jeune usta (maître) restant dans le métier. Feyzullah n’a que quelques années de moins qu’Eyyup. Comme l’orfèvrerie n’est plus aussi lucrative ou respectée qu’elle ne l’était autrefois, il n’y a pas de nouvelle vague d’apprentis prêts à remplacer Eyyup et Feyzullah une fois que leurs mains en auront eu assez.
Eyyup et Feyzullah ont quatre enfants chacun ; toutefois, Eyyup a expliqué que suivre les traces de leur père ne les intéressait pas et qu’il n’était pas non plus prêt à les laisser essayer. Il espère qu’ils auront un meilleur avenir. Leur atelier était autrefois plus vaste, mais les effectifs ont diminué au fil des années et aujourd’hui, il ne reste que les cousins.
« Avant, nous étions plus de dix. Aujourd’hui, nous sommes deux », a déploré Eyyup, tout en taillant sans tressaillir un de ses miroirs faits main qui semble tout droit sorti d’un conte de fées.
« Personne d’autre au monde ne fait ce miroir », a-t-il insisté.
L’aîné des cousins s’occupe du travail manuel avant de passer les miroirs à Feyzullah, qui soude la poignée et le corps. Les deux hommes présentent un niveau de synchronisation, de fluidité et de précision auquel seuls de véritables usta peuvent prétendre.
Les cousins ont expliqué que leur activité a connu un pic dans les années 1990 et que le déclin a commencé vers le milieu des années 2000 en raison de l’afflux d’importations bon marché. Feyzullah a évoqué un han voisin, connu localement sous le nom de « bazar chinois » en raison de sa vaste sélection de babioles chinoises.
« Avant, nous vendions 1 000 [miroirs] par semaine, mais maintenant, nous en vendons peut-être 200 », a affirmé Feyzullah.
Eyyup a expliqué que les trois étages du Buyuk Yeni Han – avec ses rangées d’arches captivantes qui encadrent une vaste cour – étaient autrefois remplis d’orfèvres. Aujourd’hui, les étages inférieurs sont principalement des magasins de textile et une poignée d’orfèvres occupent le dernier étage.
Deux plus petits han immédiatement adjacents au grand bazar abritent un certain nombre d’ateliers ainsi que leurs salles d’exposition aux étagères scintillantes ornées de bols, de plateaux et de théières. Toutefois, il n’y a pas de clients en vue et un vendeur a déploré que même les plus riches n’achetaient pas de produits en argent pour les offrir en cadeau. Il semblerait que le métal précieux soit lui-même passé de mode.
« Notre travail a plus de valeur, mais plus personne ne donne de la valeur aux produits faits main », a déclaré Eyyup, qui a ajouté que la situation s’aggravait de jour en jour.
Parmi leurs principaux acheteurs figurent des commerçants du grand bazar voisin ; or, même ce dernier connaît des difficultés en raison de la chute du nombre de touristes provoquée par une série d’attentats à la bombe survenue en 2016. Plusieurs centaines de boutiques de ce marché couvert colossal ont fermé leurs portes l’an dernier.
En parcourant les couloirs du Buyuk Yeni Han et en regardant les ateliers poussiéreux et encombrés, on a l’impression que ces derniers sont tombés sur le chant du cygne d’une tribu vaincue. Des adolescents transportent des plateaux de thé et des plats chauds recouverts de cellophane pour soutenir les vaillants artisans qui livrent un travail acharné et méticuleux, défiant les articles produits en masse qui menacent sérieusement leur moyen de subsistance.
Certains orfèvres se montrent méfiants et ne souhaitent pas s’exprimer ou être photographiés. Il est clair que le déclin de leur métier a eu de graves conséquences et toute nouvelle interférence extérieure n’est pas la bienvenue.
Malgré tout, Eyyup conserve une attitude décontractée et amicale, tout en faisant preuve d’une ténacité admirable. Il a expliqué qu’un certain nombre de ses collègues avaient décidé de poursuivre une autre carrière lorsqu’ils ont constaté que la leur n’avait pas d’avenir. Un homme qui a commencé à peu près au même moment qu’Eyyup s’est reconverti dans la joaillerie et a aujourd’hui une boutique et un revenu régulier.
Pourtant, l’orfèvre n’a pas d’amertume ni de regrets et sa passion pour le métier n’a pas faibli.
« Je continue de faire ce travail parce que je l’adore. Mais j’ai beaucoup d’amis qui sont partis faire autre chose. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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