Le prince héritier d'Arabie saoudite, l’ami (très) susceptible du Maroc
RABAT – Samedi 3 mars 1962, le roi du Maroc Hassan II, intronisé un an auparavant, célébrait le premier anniversaire de son accession au trône. Lors de cette cérémonie hautement symbolique, l'invité d'honneur du souverain marocain n'était autre que le roi Saoud ben Abdelaziz al-Saoud, fondateur de la dynastie saoudienne.
C'est que les liens entre le Maroc et l'Arabie saoudite sont, avant tout, des relations entre deux familles régnantes. Si les relations diplomatiques entre les deux pays ont été officiellement établies en 1957, soit un an après l'indépendance du Maroc, les premiers contacts remontent à loin. Déjà, à l'ère du sultan marocain Moulay Slimane – qui régna sur le Maroc entre 1792 et 1822 – une correspondance entre le premier État saoudien et le royaume du Maroc avait été consignée.
La crise du Golfe, dans laquelle le Maroc a choisi de ne pas prendre position aux côtés de l'Arabie saoudite et des pays du Golfe, et la nomination de Mohammed ben Salmane en tant que prince héritier peuvent-elles changer la donne ?
À Tanger depuis le 24 juillet, le roi Salmane ben Abdelaziz n'a pas dérogé à la tradition instituée depuis 2015, qui veut qu'il se rende chaque été dans la ville du détroit de Gibraltar pour ses vacances estivales. Logeant dans son immense et luxueuse résidence au bord de l'Atlantique, le roi Salmane est accompagné de sa suite – près d'un millier de personnes.
Sa venue est synonyme de redynamisation de l'activité touristique dans la ville : selon les sites d'information locaux, près de huit hôtels ont été réservés par les Saoudiens ainsi que plusieurs villas et appartements meublés, et plus d’un demi-millier de voitures haut de gamme auraient été louées.
Premier client du Maroc dans la région du Golfe, le royaume wahhabite a réalisé des investissements substantiels au Maroc, notamment dans l’immobilier, le tourisme, l’énergie ou l’agriculture. Et les relations aussi bien économiques que diplomatiques entre les deux pays connaissent depuis des années une certaine stabilité.
La neutralité affichée par le Maroc lors de la crise avec le Qatar a été peu appréciée par le pouvoir saoudien
À l'époque où il n'était encore que gouverneur de la province de Riyad, l'actuel souverain d'Arabie saoudite se rendait fréquemment au Maroc, et a représenté son pays lors de plusieurs événements, à l'instar du mariage du roi Mohammed VI, en 2002, ou du festival d'Assilah (au nord) en 2006.
Si la venue du roi d'Arabie saoudite à Tanger pour son séjour estival semble de prime abord s’inscrire dans l'ordre des choses, la neutralité affichée par le Maroc lors de la crise avec le Qatar a pourtant été peu appréciée par le pouvoir saoudien.
« Tout en n’étant pas membre du Conseil de coopération du Golfe [CCG], le Maroc entend se prévaloir d’une position de médiation à l’instar du Koweït qui, lui, en fait partie », explique David Rigoulet-Roze, enseignant-chercheur français et auteur de l'ouvrage « Géopolitique de l'Arabie saoudite » au magazine marocain TelQuel.
Menaces du prince héritier
Le royaume chérifien, qui a essayé de jouer aux médiateurs sans compromettre ses relations avec le Qatar d'un côté, et l'Arabie saoudite et les pays du Golfe de l'autre, avait envoyé en juin un émissaire en la personne du ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita.
Celui-ci s'était rendu aux Émirats arabes unis, au Koweït et en Arabie saoudite pour essayer de trouver une solution à la crise. Dans la foulée, le Maroc a décidé d'envoyer de l'aide alimentaire au Qatar au plus fort du blocus, justifiant son geste par une « solidarité sans lien avec les aspects politiques » de la crise.
S'il n'y a pas eu de réaction officielle de la part des autorités saoudiennes, celles-ci ont préféré adresser des messages subliminaux au Maroc.
La chaîne saoudienne Al Arabiya al-Hadath a diffusé, le 14 juin, un sujet sur le Sahara occidental, le présentant comme un conflit de décolonisation, et donnant la parole à des représentants du Front Polisario
Dans un exercice classique, la chaîne saoudienne Al Arabiya al-Hadath a diffusé, le 14 juin, un sujet sur le Sahara occidental, le présentant comme un conflit de décolonisation, et donnant la parole à des représentants du Front Polisario.
L'Arabie saoudite fait pourtant partie des principaux soutiens du Maroc dans le dossier du Sahara occidental, et soutient activement le lobbying de Rabat pour la récupération de cette région qu'il considère sienne.
Ce qui a poussé le site d'information marocain Le360.ma, réputé proche du Palais, à s’interroger. « Est-ce à travers la chaîne fondée par le prince Waleed ben Ibrahim al-Ibrahim, que les autorités saoudiennes ont voulu montrer au Maroc le prix à payer pour sa neutralité au sujet de la crise du Golfe ? Ou s’agit-il simplement d’un excès de zèle d’une chaîne en guerre contre tous les pays qui n’ont pas pris une position résolument hostile au Qatar ? »
Déjà, la crainte de l'annulation du séjour du roi Salmane à Tanger se profilait, ce qui aurait constitué un signal plus clair de mécontentement. Mais celui-ci a finalement été maintenu.
Le célèbre blogueur Moujtahid rapportait début juillet que le prince Mohammed ben Salmane avait menacé le Maroc d’annuler le séjour de son père à Tanger si le royaume chérifien ne venait pas à clarifier sa position quant à la crise entre le Qatar et les puissances du Golfe. Une menace que le Maroc aurait ignorée.
Car contrairement à son père, le nouveau prince héritier saoudien n'est pas considéré comme faisant partie du clan entretenant des liens amicaux avec le Maroc. Réputé imprévisible et chef de file d'une ligne plus dure, il est l'architecte de la guerre contre le Yémen, à laquelle le Maroc participe, dans l’indifférence de l’opinion publique et le cynisme de la classe politique marocaines.
L’Iran entre le Maroc et l’Arabie saoudite
En décembre 2015, le Maroc avait dépêché 1 500 soldats et des avions F16 aux côtés des troupes de différents pays arabes participant à l’opération « Tempête du désert ». D'ailleurs, l'enlisement du conflit pousse désormais le prince héritier saoudien à rechercher une sortie honorable.
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La participation du Maroc à la guerre du Yémen n'est pas la première aventure dans laquelle le Maroc se retrouve embarqué pour ne pas déplaire à l'allié stratégique saoudien.
En 2009, Rabat avait rompu de manière unilatérale ses relations diplomatiques avec l'Iran, contestant la vision d’un haut responsable iranien qui avait déclaré que l’État du Bahreïn était « la quatorzième province iranienne ».
Selon le quotidien français Le Monde, qui avait mis la main en 2010 sur un câble diplomatique publié par WikiLeaks, l’Arabie saoudite aurait également fait pression sur le royaume « dans sa stratégie globale d’opposition à l’influence iranienne ».
La reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et l'Iran « ne s'est pas faite, et ne se fera pas aux dépens des relations du Maroc avec les pays arabes frères »
-Nasser Bourita, Affaires étrangères
Ce n'est qu'en octobre 2016 que le roi Mohammed VI a nommé, lors d’une cérémonie qui s’est déroulée au palais royal de Casablanca, un nouvel ambassadeur à Téhéran en la personne de Hassan Hami.
En tant qu'ex-ambassadeur du Maroc en Azerbaïdjan, Hassan Hami connaît bien le dossier iranien, puisque depuis la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, l'ambassade du Maroc à Bakou était évoquée pour la gestion des affaires courantes avec l'Iran, lit-on dans une note du ministère des Affaires étrangères relative à la reprise des relations du Maroc avec l'Iran.
La reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et l'Iran s’est faite de manière graduelle, la principale préoccupation du Maroc étant de convaincre les puissances du Golfe que la réconciliation « ne s'est pas faite, et ne se fera pas aux dépens des relations du Maroc avec les pays arabes frères, ni avec les pays partenaires, ou au détriment des prises de position du Maroc sur les affaires régionales et internationales », comme l'annonçait de manière prudente Nasser Bourita, à l'époque secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, dans un courrier datant du 6 février 2014 adressé à ses directeurs.
Avec la future accession au trône de Mohamed ben Salmane, il faudra sans doute plus que des précautions diplomatiques et des souvenirs de famille pour entretenir les bonnes relations entre Rabat et Riyad.
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