Une caverne aux merveilles d’Aladdin contribue à préserver les antiquités de Gaza
GAZA – À quelques centaines de mètres seulement de l’ancien château croisé, Barquq, du nom d’un sultan mamelouk mort en 1399, se trouve un magnifique escalier qui mène à la cave de la maison de Marwan Shewan.
En descendant l’escalier, on a l’impression de remonter le temps, au fil des millénaires. En bas, des centaines d’objets historiques sont entassés côte à côte, éclairés par une lumière de plafond jaune qui projette délicatement son aura et ses ombres.
Il y a beaucoup de choses à voir et à toucher : des casques et des épées du début de l’ère islamique, des pierres sculptées et des pièces en métal des époques byzantine et romaine, une relique issue d’une gare ferroviaire ornée de la signature du sultan ottoman Abdulhamid II, et des objets plus modernes tels que des radios primitives ou des pots et des verres en fer et en cuivre.
Nettoyant délicatement un de ses objets chéris avec un chiffon doux, Marwan, dont la maison trône au-dessus de cette caverne aux merveilles d’Aladdin, lève les yeux : « Vous devez traiter ces reliques aussi délicatement que si c’était votre bébé. »
Marwan Shewan, architecte charpentier et designer âgé de 47 ans, aime explorer les sites de fouilles archéologiques pendant son temps libre. À ses yeux, ces objets étranges, jolis et pratiques qui dégagent le parfum riche de temps passés doivent tous être préservés. Souvent, avec d’autres chasseurs de trésors, il tombe sur des artefacts anciens issus des héritages multiculturels de personnes venues du monde entier et qui ont voyagé ou se sont installés en Palestine ; selon lui, ces objets doivent être respectés soigneusement et considérés comme des trésors régionaux.
« Je sais que je ne suis pas un expert et je ne connais personne qui possède l’expertise pour dater les objets que j’ai recueillis et dont je prends soin », reconnaît Marwan. Mais cet aspect du puzzle ne l’empêche pas de continuer, lui qui collectionne et conserve de tels objets depuis près d’un demi-siècle, comme l’a fait son père avant lui. Tout morceau de l’histoire riche et colorée de la Palestine qu’il trouve continue de susciter en lui un grand intérêt et une profonde excitation.
Bien qu’il soit conscient que tous les objets qu’il a collectés pourraient ne pas être d’une grande valeur historique ou financière, il comprend que ceux datant de l’époque romaine pourraient avoir une valeur historique significative puisqu’ils ont souvent plusieurs milliers d’années.
Les détails exacts de l’âge et de la provenance de ces artefacts n’ont pas encore été confirmés ; Marwan affirme toutefois qu’il peut estimer leur époque et qu’il espère sauver certaines des pièces les plus spéciales.
En attendant, il collecte tout ce qu’il peut, même face aux défis inhérents au chaos de la bande de Gaza déchirée par la guerre, où le sol est démoli par le matériel militaire israélien et où la sécurité est fragile pour les habitants – a fortiori pour les objets enfouis depuis longtemps sous terre.
« À la fin des années 1980, je me suis intéressé davantage à la collecte d’artefacts dans le but de les préserver, après que des généraux militaires israéliens ont proposé à des Palestiniens des prix élevés pour vendre des objets découverts », explique-t-il en tenant doucement ce qu’il pense être des sortes de pièces anciennes incrustées de pierre.
« Je les ai trouvées dans ce petit pot », affirme-t-il en prenant doucement les pierres dans le creux de ses mains. « Leur taille et leur forme sont irrégulières. »
Certaines des premières pièces en métal seraient originaires du royaume de Lydie, dans l’ouest de l’Asie Mineure, et étaient fabriquées en électrum, un alliage d’argent et d’or. Les marchands utilisaient ces pièces dans leurs transactions quotidiennes. Mais les pièces faites d’alliage et de pierre en Palestine pourraient remonter aux époques cananéenne, romaine ou byzantine, aux débuts de l’islam ou encore à la période ottomane.
Cependant, la seule vérification dont Marwan peut attester concerne le fait que certaines des pièces comportent la tête d’un empereur romain avec son nom écrit en latin ou grec sur une face, tandis que sur l’autre face figurent diverses images censées représenter les différentes régions impériales.
En plus de profiter à l’humanité en préservant des facettes de civilisations perdues, le monde souterrain de Marwan Shewan a également des avantages personnels. Dès qu’il se sent accablé par le travail et la pression, il se retire dans sa cave silencieuse et imagine les changements qui ont eu lieu à travers sa patrie ancienne.
« J’aurais aimé que nos vies actuelles fussent aussi simples que ces pièces et aussi riches que leur histoire », confie-t-il en souriant, tout en montrant une photographie du ministre chinois de l’Information qui a visité son musée improvisé.
Marwan a certaines convictions dont il ne peut démordre. La plupart ne sont pas scientifiquement vérifiées ou historiquement prouvées mais, lorsqu’il tient un petit pot et raconte la légende d’une reine qui y recueillait ses larmes, ses convictions sont presque contagieuses. Cependant, tant que Gaza demeurera sous le blocus israélien et égyptien, il sera difficile pour les experts du monde entier de venir dans sa cave pour examiner, dater et enregistrer ses réserves d’objets d’antan.
Les autres initiatives de préservation des antiquités à Gaza
En l’absence de musées publics, les petites collections privées d’antiquités sont devenues plus répandues à Gaza, alors qu’un nombre croissant d’artefacts sont déterrés ou mis à découvert par la guerre et les troubles qui sévissent sur les terres anciennes de Palestine.
À Gaza, deux endroits connus servent de petits musées : le Qasr al-Basha et Al-Mathaf, qui est dans l’absolu une salle d’exposition appartenant à l’hôtel Al-Mathaf, dans la ville de Gaza. Ces lieux présentent des documents, des artefacts et des reliques antiques et visent à « préserver la riche histoire des régions, [à] créer un lieu de dialogue culturel moderne et [à] transmettre un message à cette génération pour qu’elle crée un avenir meilleur ».
Al-Mathaf propose l’entrée gratuite à tous ceux qui souhaitent jeter un coup d’œil dans le passé. Bien que le musée – une salle longue et étroite en pierre – soit situé à droite de l’accueil de l’hôtel, il n’est pas nécessaire d’être un client. Les objets exposés vont de l’âge du bronze (3500 av. J.-C.) aux époques islamique, romaine, byzantine et des croisades. De nombreux objets différents, dont des jarres, des objets en verre, des pièces de monnaie et les colonnes, sont soigneusement présentés dans une ambiance qui invite à la réflexion.
Le propriétaire est Jawad Khoudary, originaire de Gaza. Khoudary reconnaît et apprécie le faible de Marwan pour les pièces anciennes et sait que certaines pièces gazaouies datent du premier siècle ; il insiste sur le fait que Gaza servait autrefois de carrefour entre des devises et des cultures différentes par l’intermédiaire de son port maritime.
« Par le passé, nous avions notre propre port maritime qui nous reliait au monde, où nous pouvions nous connecter à Chypre, à Alexandrie et à la Chine », a-t-il expliqué.
Jawad Khoudary a prêté environ 800 artefacts à six musées à travers le monde et décrit chaleureusement Gaza comme un lieu qui se trouvait autrefois au cœur des civilisations historiques de la région.
« Autrefois, nous étions une cité civilisée, dans la mesure où nous avions nos propres pièces gazaouies au Ve siècle av. J.-C., comme toute autre ville méditerranéenne. Elles étaient frappées de l’insigne gazaoui », précise-t-il.
Le Qasr al-Basha est un palais qui remonte à l’époque mamelouke ; c’est un lieu historique précieux car il était utilisé comme site officiel du gouverneur de Gaza sous l’Empire ottoman. Ses pièces et les cellules de la prison adjacente sont restées intactes depuis l’époque où l’empire turc gouvernait la région. Maintenant, il est administré par l’autorité de facto de Gaza, qui gère toutes les affaires.
« Je ne peux rien laisser partir. C’est là l’histoire de la Palestine, qui doit être transmise à nos générations futures », ajoute-t-il en prenant soigneusement ce qui serait une copie historique du Saint Coran, non loin de costumes traditionnels palestiniens des années 1950 qui sont basés sur des formes encore plus anciennes.
Le manque de musées parrainés par l’État a incité certains Gazaouis à devenir des collectionneurs d’objets anciens ; toutefois, le public ne considère pas ces objets comme étant précieux et y voit souvent des « déchets » inutiles. Il y a néanmoins de nombreux artefacts reconnus mondialement, dont une statue en bronze rare du dieu grec Apollon qui a été trouvée à Gaza en 2014.
Tous les collectionneurs ne sont pas non plus des historiens chevronnés. Âgé de 19 ans et originaire de la ville de Gaza, Bara al-Susi a développé un intérêt pour la collection de tout ce qui est selon lui ancien et précieux. Il a recueilli plus de 4 000 objets de plusieurs époques. Il s’agit notamment de vieux équipements de pêche, de cuillères domestiques, d’aiguilles, de casseroles en métal et en bronze, ainsi que de documents qu’il ne sait pas déchiffrer mais qui, selon lui, datent des époques cananéenne et pharaonique. En plus de ces objets du passé, il y a des timbres plus modernes de plusieurs États arabes, mais aussi russes et allemands.
Al-Susi affirme qu’il aime collecter des artefacts tout en poursuivant ses études d’administration des affaires dans une université locale de Gaza.
Les objets anciens et les sites patrimoniaux en danger
Pour le ministère palestinien du Tourisme à Gaza, les collectionneurs locaux ne sont pas considérés comme une menace pour les artefacts ou l’histoire de la Palestine, affirme le responsable adjoint du ministère, le Dr Jamal Abu-Reda.
« Nous savons que ces personnes les collectent et nous les remercions de prendre soin d’artefacts précieux pendant les années les plus difficiles », a-t-il déclaré à MEE.
Il comprend également que la conservation par des propriétaires privés des objets anciens trouvés à Gaza est peut-être la solution la plus sûre étant donné l’instabilité de la situation, où la guerre menace sans cesse.
Une bonne partie des artefacts de Gaza nécessitent des mesures internationales de protection du patrimoine, étant en danger en raison du manque de fonds et des limitations terribles imposées par le siège israélien. En effet, les archéologues sont bien conscients que le site byzantin de Tell Umm el-’Amr, au cœur de Gaza, pourrait être le monastère le plus ancien au Moyen-Orient, et estiment que la Fondation du patrimoine mondial devrait le protéger officiellement.
Marc-André Haldimann, chercheur à l’université de Berne (Suisse) et expert en archéologie méditerranéenne, a déclaré au New York Times en 2014 que Gaza comportait dix-sept sites archéologiques majeurs inconnus du monde extérieur.
D’après des historiens spécialistes de l’époque byzantine, Saint Hilarion (291–371 ap. J.-C.) est né à Gaza et a voyagé en Égypte, où il s’est converti au christianisme. À son retour, il a fondé le monastère de Tell Umm el-’Amr, sur une colline surplombant la Méditerranée.
Des pièces échouées sur la plage gazaouie
Bara al-Susi examine tranquillement ses pièces de monnaie ; il affirme qu’il a pu trouver tous ses objets en creusant et que, parfois, des choses apparaissent sur la plage pendant ou après des tempêtes violentes. « Dans ce cas, je me précipite pour les acheter et les collectionner », explique-t-il, ajoutant qu’il utilise tout son argent de poche pour conserver son stock personnel chez lui.
Parfois, il part en quête d’objets sur des sites archéologiques tels que Nuseirat, le palais d’Hachim ibn Abd Manaf et le quartier d’al-Sudania, à l’ouest de la ville de Gaza. Bien qu’il dispose de peu de connaissances ou de preuves lui permettant de trouver des pièces en métal et en bronze, Bara fait de son mieux en effectuant des recherches sur des sites web consacrés à l’histoire antique, puis en tentant de comparer et de rechercher des similitudes dans ses découvertes.
« Les pièces byzantines, grecques et romaines font partie des plus courantes que j’ai collectées. Beaucoup comportent encore des images anciennes clairement définies qui permettent de les identifier sur des sites spécialisés, où je peux comparer les photographies et les détails – certaines pièces doivent être nettoyées délicatement avec des produits chimiques pour enlever la rouille sans détériorer les images, les inscriptions, le métal ou la pierre », explique-t-il.
Il se dit déçu par le fait qu’aucune entité n’apporte un appui d’expert à la préservation des artefacts palestiniens, mais il espère un jour trouver le financement nécessaire pour montrer sa collection au public gazaoui.
« J’espère un jour créer un musée pour que l’on puisse explorer tous mes objets anciens », ajoute-t-il.
En attendant, Bara al-Susi espère que le Qasr al-Basha de Gaza sera le bon endroit pour stocker ces objets et les exposer au public.
Marwan Shewan comprend et respecte lui aussi son patrimoine national et souhaite le préserver pour l’avenir. Mais il craint que, dans l’esprit des dirigeants politiques qui se chamaillent, cette vision de l’identité nationale et du patrimoine national ne soit jamais une priorité.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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