Le pari antidémocratique de Netanyahou
Si le but du discours de Benyamin Netanyahou à quelque 3 000 militants enthousiastes du Likoud le 9 août dernier était d’arrêter le procès pénal à son encontre, le résultat semble incertain. Selon toute vraisemblance, le Premier ministre sera inculpé dans les prochains mois.
Cependant, si l’idée était de signaler au public israélien que la bataille qu’il livrera pour conserver son poste sera moche et peut-être violente, le discours a certainement atteint son but.
Selon toute vraisemblance, le Premier ministre sera inculpé dans les prochains mois
Quoi qu’il en soit, ce discours est susceptible de façonner les prochains mois – lesquels pourraient bien être les derniers mois – au pouvoir de Netanyahou, et est également susceptible de façonner le mandat du prochain Premier ministre.
Netanyahou fait l’objet d’enquêtes depuis le début de l’année. Il y a trois affaires majeures. Dans deux d’entre elles, il est soupçonné d’être directement impliqué. Il n’a pas encore été interrogé dans le cadre de la troisième – qui est plus grave du point de vue pénal et public, mais plusieurs personnes de son entourage proche sont fortement impliquées.
En ce qui concerne la première affaire, Netanyahou est suspecté de ne pas avoir déclaré des cadeaux – principalement des cigares et du champagne – reçus d’hommes d’affaires proches de lui pour une valeur de centaines de milliers de shekels. Dans cette affaire, les faits sont incontestés dans l’absolu. La question clé est plutôt de déterminer dans quelle mesure Netanyahou et sa femme, Sara, ont pris l’initiative pour recevoir ces cadeaux et si, oui ou non, il y avait une sorte de contrepartie promise ou accordée par Netanyahou.
La deuxième affaire concerne les réunions que Netanyahou a eues avec Arnon Mozes, éditeur de Yedioth Ahronoth, le deuxième plus grand journal israélien. Yedioth est traditionnellement considéré comme hostile à Netanyahou. Les enregistrements obtenus par la police montrent que Netanyahou et Mozes ont discuté d’un accord : au lieu d’attaquer Netanyahou, le journal lui donnerait une couverture plus favorable et, en échange, Netanyahou utiliserait son influence sur le plus grand rival de Yedioth, Israel Today, pour réduire sa concurrence féroce avec le journal de Mozes.
Le fait même qu’un important éditeur de journaux et un Premier ministre discutent d’une couverture favorable en échange de faveurs financières est instructif quant à la situation inquiétante de la démocratie et des médias en Israël – mais déterminer si le procureur de l’État peut prouver que ces discussions constituent une corruption est moins clair.
Hédoniste et victime
Ce qui est clair, c’est que, bien que Netanyahou ait été interrogé à plusieurs reprises au sujet de ces deux affaires – et que, selon des déclarations publiques, un acte d’accusation serait disponible dans l’une des affaires ou les deux –, la plupart des électeurs de Netanyahou n’ont pas considéré ces affaires comme suffisantes pour justifier son renvoi.
Dans l’affaire des cadeaux, il est perçu comme un hédoniste mais pas comme un criminel, alors que dans l’affaire Yedioth, Netanyahou est perçu comme une victime, extorqué par un journal qui, pendant plusieurs décennies, a été associé à l’ancien establishment tant exécré par l’aile droite.
La troisième affaire est plus compliquée et a des implications beaucoup plus larges. Dans cette affaire la compagnie maritime allemande ThyssenKrupp est soupçonnée d’avoir utilisé un homme d’affaires israélien comme intermédiaire pour soudoyer des personnalités militaires et politiques israéliennes afin de lui permettre d’obtenir la commande de sous-marins et d’autres navires d’une valeur de plusieurs milliards de dollars de la part d’Israël. Dans un pays où tout ce qui concerne la sécurité est une vache sacrée, ce type d’affaire pourrait causer un tremblement de terre.
Dans un pays où tout ce qui concerne la sécurité est une vache sacrée, ce type d’affaire pourrait provoquer un tremblement de terre
Netanyahou n’a pas encore été interrogé dans cette affaire, mais le fait que David Shimron, son cousin et son émissaire secret pour les affaires politiques, était le représentant légal du constructeur naval allemand en Israël établit un lien entre cette affaire douteuse et le Premier ministre.
Si nous ajoutons à cela le fait que Netanyahou, contrairement à son habitude, a ignoré l’opposition du ministère de la Défense vis-à-vis de ce contrat et a, au contraire, choisi de le promouvoir énergiquement, les points d’interrogation entourant l’implication du Premier ministre se multiplient inévitablement.
Coups sérieux
Netanyahou, comme on l’a noté, a jusqu’à présent réussi à garder ses distances avec l’enquête judiciaire dans l’affaire des sous-marins, mais au cours des dernières semaines, un changement important est survenu.
Mickey Ganor, un homme d’affaire israélien qui aurait transmis le pot-de-vin aux personnalités israéliennes de haut rang, a accepté de témoigner pour l’État. Son témoignage a été soumis à une obligation de silence médiatique jusqu’à maintenant, mais ce qu’on sait déjà semble renforcer considérablement les soupçons à l’encontre de Shimron, le cousin de Netanyahou, qui devait obtenir des millions de dollars pour la conclusion du contrat.
Soit Netanyahou a laissé un énorme contrat corrompu impliquant son cousin et parfois émissaire se conclure juste sous son nez sans qu’il ne remarque rien, soit il était impliqué dans ce contrat d’une manière ou d’une autre
Ganor aurait déclaré à ses interrogateurs que « tout ce que Shimron m’a promis s’est produit ». Étant donné que Shimron est avocat du secteur privé, il est difficile de comprendre comment il a pu modifier la position officielle d’Israël sur une transaction aussi sensible et coûteuse que l’accord sur les sous-marins sans référence à ses liens personnels étroits avec Netanyahou.
Si ces choses sont prouvées, nous serons face à deux possibilités : soit Netanyahou a laissé un énorme contrat corrompu impliquant son cousin et parfois émissaire se conclure juste sous son nez sans qu’il ne remarque rien, soit il était impliqué dans ce contrat d’une manière ou d’une autre. Aucune des deux possibilités ne présagent rien de bon pour lui.
Le coup le plus grave, cependant, a été porté au début du mois d’août. La police a annoncé qu’Ari Harow, l’ancien chef d’état-major de Netanyahou, considéré comme l’un de ses confidents les plus proches, témoignera également pour l’État. Son témoignage est également soumis à une obligation de silence, cependant on sait qu’il aborde les affaires à la fois des cadeaux et de Yedioth Ahronoth, les deux affaires dans lesquelles Netanyahou est le principal suspect. Un document récent soumis au tribunal par le procureur dans cette affaire emploie pour la première fois le terme de « corruption ».
Il est difficile d’imaginer comment Netanyahou pourrait échapper à une mise en examen si Harow témoigne contre lui. Les statistiques en Israël montrent que 90 % des affaires où le procureur a des témoins pour l’État se terminent par une condamnation. Netanyahou est certainement au courant de ce fait.
Même si l’enquête prend plusieurs mois, il a de très bonnes raisons de supposer qu’elle finira par sa mise en examen. Et bien que la loi n’exige pas explicitement qu’un Premier ministre ou un ministre soit démis de ses fonctions en cas d’inculpation, jusqu’à présent, chaque ministre qui s’est trouvé dans ce type de situation, y compris le Premier ministre Ehud Olmert, a démissionné.
Jouer avec le feu
Ce n’est pas ainsi que Netanyahou – persuadé être la seule personne capable de sauver l’État d’Israël de tous les dangers qui le menacent, notamment l’émergence potentielle d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza – souhaiterait mettre fin à sa carrière politique.
Comme tous les autres politiciens, pour Netanyahou, cette lutte est personnelle. Mais il n’y a aucune raison de douter que Netanyahou pense que la survie de l’État d’Israël dépend de sa propre survie et de son maintien en tant que Premier ministre.
C’est la toile de fond du discours passionné, certains diraient hystérique, qu’il a prononcé, et dans lequel il a soutenu que les enquêtes visaient à provoquer un « coup d’État » contre son gouvernement. Pour Netanyahou, ce langage n’est pas nouveau.
Il y a vingt ans, lorsqu’il est entré en politique, il s’est exprimé de la même manière –agressant frontalement les « élites » des médias, du système judiciaire et même de l’establishment de la défense, et attaquant au vitriol la gauche en général et la minorité palestinienne en Israël en particulier.
Netanyahou sait que c’est jouer avec le feu. Ce langage l’a mis au pouvoir lors des élections de 1996, mais a également provoqué sa défaite lors des élections de 1999 contre Ehud Barak. Au cours de ses trois derniers gouvernements, il a essayé de prendre une place plus centrale dans la société israélienne, mais la menace immédiate à laquelle est confronté son régime a provoqué un retour à ces premières tactiques.
Ce retour implique également de renforcer l’alliance avec les segments les plus radicaux de la droite israélienne. Quand il se présente comme le dernier bastion empêchant la création d’un État palestinien, comme il l’a fait dans ce récent discours, il récupère un soutien presque automatique dans ces milieux.
Il est donc tout à fait raisonnable de penser que l’alliance renouvelée de Netanyahou avec l’extrême droite se manifestera par une législation encore plus draconienne à l’encontre de la minorité palestinienne en Israël, telle que la « loi sur la nationalité » actuellement en discussion ou les lois qui limitent l’espace démocratique – comme celles contre les organisations non gouvernementales qui ont déjà été adoptées pendant le mandat de cette administration.
Il est improbable que Netanyahou planifie une action militaire contre le Hamas ou peut-être le Hezbollah, comme l’ont suggéré certains commentateurs de gauche. Par rapport au gouvernement de centre gauche d’Olmert, qui pendant la première année de son administration a mené deux campagnes militaires au Liban et à Gaza, lors desquelles des milliers de Libanais et de Palestiniens ont été tués ainsi qu’environ 200 Israéliens, les douze dernières années sous Netanyahou ont été relativement calmes, en dehors de l’Opération meurtrière « Bordure protectrice » il y a trois ans. Mais le réchauffement de la rhétorique contre les Palestiniens est susceptible de conduire à des conséquences imprévues.
Le réel danger
Qualifier les enquêtes menées par la police et le procureur d’État contre Netanyahou de tentative de coup d’État n’est qu’une confrontation de plus entre l’actuel leadership politique israélien et les institutions étatiques.
Les tentatives répétées de contraindre l’autorité de la plus haute cour du pays d’une part, et la confrontation ouverte entre le gouvernement et le Shin Bet et l’armée sur les détecteurs de métaux aux entrées d’al-Aqsa de l’autre, sont deux bons exemples de la tension croissante.
Une telle tension caractérise également les relations entre le président américain Donald Trump et le réseau d’institutions connu sous le nom de « Deep State » aux États-Unis, comme la CIA, le FBI, la Cour suprême et d’autres. Netanyahou se dirige définitivement dans cette direction. Mais dans un pays comme Israël, où la légitimité de ces institutions est déjà mise en doute, un processus comme celui-ci pourrait produire des résultats catastrophiques. Cela pourrait rapprocher Israël du genre de situation dans laquelle la Turquie, par exemple, se retrouve aujourd’hui avec Recep Tayyip Erdoğan.
Si Netanyahou ne peut échapper à une mise en examen, ce sera concrètement le probable héritage de son régime. Cela aura également un impact sur son successeur, quel qu’il soit. On peut raisonnablement supposer, si Netanyahou démissionne et que la droite gagne les prochaines élections, que le prochain gouvernement sera choisi pour son programme antidémocratique – comme celui décrit par Netanyahou dans son récent discours. Cela pourrait s’avérer être le réel danger.
- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou prononce un discours lors d’un rassemblement des membres du parti et des militants du Likoud au Centre de congrès de Tel Aviv le 9 août 2017 dans un spectacle de masse de soutien au Premier ministre confronté à une série d’enquêtes sur des soupçons de corruption (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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