Persécution des minorités religieuses : l’Égypte devrait se souvenir des pharaons
Dans le récit du Buisson ardent, Moïse reçut pour la première fois un message divin des années après l’exil d’Égypte qu’il s’était imposé. Sa première mission confirma alors une loi fondamentale de physique : la plus courte distance entre deux points c’est la ligne droite.
Permettez-moi d'expliquer.
Si Moïse était vivant aujourd’hui, il plaiderait probablement la cause, non seulement des Israélites mais aussi de centaines de musulmans, chrétiens et Ouïghours chinois
Après avoir montré à Moïse les pouvoirs miraculeux qu’Il lui avait conférés, Dieu ordonna à son messager d’aller se jeter dans la gueule du loup et affronter la rage d’un pharaon déterminé à le faire exécuter. Ses exigences : que le pharaon se soumette au seul et unique Dieu, son créateur, et qu’il libère les Israélites de la servitude.
Or le pharaon, incarnation de l’arrogance d’un mortel portée à son comble, rêves pathologiques de grandeur inclus, eut l’audace de défier son créateur. Il convoqua alors 20 000 de ses meilleurs sorciers pour humilier publiquement Moïse et « prouver » qu’il est lui-même un dieu.
Moïse accomplit ensuite le plus spectaculaire de ses miracles : il frappa de son bâton la rive de la mer Rouge, qui s’ouvrit en deux, offrant ainsi aux « enfants d’Israël » un passage pour traverser en sécurité. Le tyran et son armée s’y engagèrent eux aussi, contre toute logique : Dieu, qui avait fendu la mer pour sauver les Israélites, allait évidemment le noyer en un clin d’œil.
Le reste appartient à l’histoire. Et le touriste peut en tourner quelques pages pour 2,50 livres égyptiennes (10 centimes d’euro), au musée des antiquités, place Tahrir. Pour 4,50 livres supplémentaires (20 centimes d’euros), on peut même voir la momie de ce pharaon, plus mort que mort, lui le mortel qui se prétendait Dieu.
Si Moïse était vivant
Rien ou presque n’a vraiment changé depuis. Or, si Moïse était vivant aujourd’hui, il plaiderait probablement la cause non seulement des Israélites, mais aussi de centaines de musulmans, de chrétiens ainsi que, dernier ajout à la liste de la honte, des Ouïghours chinois, membres d’un groupe ethnique fort de 10 millions de personnes, en majorité musulmanes sunnites, qui vivent principalement dans la région de Xinjiang, à l’ouest de la Chine.
Dans son rapport du 8 juillet, Sarah Leah Whitson, directrice de la Veille en faveur des Droits humains au Moyen-Orient (HRW), écrit que les « autorités égyptiennes devraient mettre un terme à la rafle scandaleuse des Ouïghours… habitant en Égypte », à qui « l’on devrait épargner la crainte d’une arrestation arbitraire et la déportation vers un pays où ils risquent persécution et torture ».
Selon certains bulletins d’information, des dizaines de musulmans chinois parlant turc – pour la plupart étudiants à l’université d’al-Azhar, principal centre intellectuel de l’islam sunnite – ont été arrêtés et expulsés, alors qu’ils étaient détenteurs de permis de séjour valides.
Ces déportations faisaient apparemment partie d’un accord sur la sécurité signé en juin entre l’Égypte et la Chine, afin d’échanger des informations au sujet des « organisations extrémistes ».
Le prétexte du gouvernement chinois pour perpétrer ses flagrantes violations des droits humains contre les Ouïghours évoque étrangement la propagande de l’Égypte contre les Frères musulmans.
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Dans un rapport de mars 2017, Human Rights Watch (HRW) a indiqué qu’en 2015, les tribunaux chinois ont condamné 1 419 personnes, la plupart des Ouïghours, en vertu des lois anti-terroristes en vigueur, sans révéler de détails sur les protestations, violences et opérations anti-terroristes.
Le rapport de juillet du HRW prévient que le bilan chinois en termes de « détention arbitraire, torture et disparition forcée d’Ouïghours, ainsi que le caractère politisé des procédures judiciaires lors de cas antérieurs de rapatriement contraint, suscite de sérieuses inquiétudes : si ces individus sont expulsés, ils risquent d’être soumis à la torture, entre autres maltraitances ».
Parfaite discrimination
On pourrait trouver paradoxal qu’une administration comme celle de l’Égypte – qui se moque ouvertement des lois locales et internationales sur les droits de l’homme – tienne tant à respecter un « accord de sécurité bilatéral » avec la Chine.
Pourtant, pour l’Égypte, de telles politiques n’ont rien d’étonnant. Au contraire, vu le risque élevé de persécution qui pèse sur les déportés chinois à leur retour, elles sont la copie conforme des politiques de l’Égypte contre ses propres militants, tant musulmans que coptes. Dans ce pays en effet, des milliers de Frères musulmans et de « sympathisants » – c’est-à-dire toute personne suffisamment audacieuse pour afficher ouvertement son désaccord avec les initiatives des chefs du coup d’État militaire actuellement au pouvoir – sont condamnés à des peines de prison interminables et arbitraires.
Et si la minorité copte égyptienne ne subit pas nécessairement la même sorte d’oppression ou de persécution directe que celle dont sont victimes les Frères musulmans, elles restent victimes des manquements systématiques de l’administration à l’obligation de les protéger.
Les chefs du coup d’État ont intentionnellement perpétué les conditions de la radicalisation qui ont provoqué un retour de manivelle contre les coptes égyptiens, car la société a été poussée à les percevoir – à tort – comme faisant partie d’une conspiration plus large contre l’identité islamique du pays.
Trou noir d’intolérance
Devant cette lamentable absence de volonté de soutenir les droits de l’homme en général et le droit à pratiquer sans danger sa religion, les églises ont suspendu les pèlerinages, les congés et les conférences prévus fin juillet et en août. Le comble, c’est que leur décision se fondait sur des recommandations émanant des autorités, qui avaient prévenu la communauté copte de l’éventualité d’attaques par des combattants islamiques.
L’administration avoue ainsi implicitement non seulement son incapacité à protéger ses propres citoyens, mais aussi son impuissance à réprimer une insurrection qui sévit depuis des années dans la région égyptienne du Sinaï et récemment atteint le cœur de la capitale, ainsi que la deuxième plus grande ville du pays, où des attentats mortels ont été perpétrés en mai.
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Ces derniers développements prouvent au minimum que l’Égypte a officiellement plongé dans le trou noir de l’intolérance religieuse, sans parler de la xénophobie générale qui sous-tend ses politiques de sécurité.
Les dirigeants égyptiens devraient tirer tous les enseignements de l’histoire des dieux de sa propre terre.
Ils doivent se souvenir que même les plus grands pharaons – les bâtisseurs d’anciennes merveilles du monde, ceux dont la civilisation était si avancée qu’elle pourrait avoir surpassé notre science moderne – sont désormais exposés dans un musée délabré, à 4,50 livres l’entrée.
Ironiquement, ce musée se trouve à quelques mètres seulement du site d’un héroïque soulèvement – dont les victimes ne risquent pas de faire partie des expositions – mais qui continuera à inspirer les générations à venir.
- Rania Elmalky est l’ancienne rédactrice en chef (de 2006 à 2012) du journal Daily News Egypt, basé au Caire, qui était le partenaire local de l’édition de l’International Herald Tribune. Elle est actuellement collaboratrice pigiste pour diverses publications.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : en mai 2017, les parents de victimes chrétiennes coptes pleurent leurs morts et participent ensemble aux funérailles, célébrées à la cathédrale Abou Garnous, dans la ville de Maghagha, au nord de la province d’Al Minya (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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