Les Libanais partagés après l’arrestation de Ziad Doueiri
BEYROUTH – La photo du cinéaste libre brandissant ses deux passeports au sortir du tribunal militaire à Beyrouth n’a pas suffi à faire retomber l’émotion suscitée par son interpellation, la veille.
À son arrivée dimanche 10 septembre à l’aéroport de Beyrouth, le réalisateur franco-libanais Ziad Doueiri a été retenu pendant deux heures et s’est vu confisquer ses pièces d’identité, alors qu’il rentrait d’Italie, où il venait d’être récompensé à la Mostra de Venise pour son dernier film « L’Insulte », dont l’avant-première a lieu demain, mardi 12, au Liban. Convoqué ce matin par les juges, il a finalement bénéficié d’un non-lieu.
D’après les propos de son avocat rapportés par L’Orient Le Jour, Ziad Doueiri est « accusé d’avoir violé l'article 285 du code pénal libanais qui interdit toute visite en territoire ennemi sans autorisation préalable ». Il s’était en effet rendu en 2012 en Israël, techniquement encore en guerre avec le Liban, pour y tourner certaines scènes de son précédent long métrage « L’Attentat ».
L’affaire a aussitôt été portée sur les réseaux sociaux où les commentaires fusent depuis 24 heures. « Une honte et un affront pour tous les Libanais (…) qui se battent pour la liberté et pour l'épanouissement de notre culture dans le monde ! », a aussitôt réagi sur Facebook William, un internaute.
« Je demande à tous les Libanais qui travaillent en Arabie saoudite de plier bagage et de rentrer au Liban incessamment car l'Arabie est en train de normaliser [ses relations] avec Israël », ironise quant à lui Philippe, un autre internaute.
Mais l’auteur de « West Beyrouth » (1998) ne compte pas que des soutiens. Certains avis sont parfois mitigés. « L’interpellation du réalisateur Ziad Doueiri dès son retour du festival de Venise est absurde à plus d’un titre. Mais la réaction qu’elle suscite sur les réseaux sociaux et dans certains médias est effarante. Elle montre qu’un bon nombre de Libanais seraient prêts à s'acoquiner avec Israël. C’est Netanyahou qui doit être content », écrit le bloggeur Claude el Khal.
Des textes « extrêmement vagues »
« C’est un très bon réalisateur, il travaille très bien mais il faut respecter la loi », tranche quant à elle Fadia, mère de famille de 47 ans, dans une papeterie de la rue de Damas, à quelques pas du tribunal militaire où comparaissait Ziad Doueiri cet après-midi.
Les défenseurs de la liberté d’expression, eux, s’interrogent sur le timing de cette arrestation. « Pourquoi avoir ressorti aujourd’hui un dossier qui date de 2013 ? Il a déjà été pénalisé. Cela est d’autant plus ironique qu’on accuse un cinéaste dont l’acteur palestinien a été récompensé à la Mostra de Venise », soulève Maya de Freige, présidente de la Fondation Liban Cinéma.
À l’époque, « L’Attentat » avait été interdit de diffusion dans les 22 pays de la Ligue arabe car tourné en partie en Israël.
Un questionnement partagé par Gino Raidy, vice-président de l’association de lutte contre la censure March. « Peut-être que l’objectif était de boycotter le nouveau film de Ziad Doueiri qui traite des failles du système judiciaire libanais ? Peut-être que certaines personnes ne voulaient pas qu’il soit diffusé ? », avance-t-il.
Tous deux pointent le flou qui entoure en général les raisons de la censure d’une œuvre au Liban. « Les textes sont extrêmement vagues. Ils peuvent être utilisés de différentes manières. Les causes ne sont pas claires, on ne sait jamais qui est derrière et les décisions sont toujours prises au dernier moment pour que les artistes n’aient pas le temps de réagir. Les politiques, des organes comme Dar el-Fatwa [la plus haute autorité sunnite du pays] et le centre d’information catholique ont beaucoup d’influence alors qu’ils n’ont pas de statuts légaux », dénonce Gino Raidy.
« Malheureusement, il n’y a pas de textes sur lesquels se baser pour savoir comment agissent les pouvoirs publics. Plusieurs ministres de la Culture ont préparé des projets d’abolition de la censure. Mais tous sont restés lettre morte », confirme Maya de Freige.
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En parallèle, la censure serait plus sévère qu’avant. « La situation s’est aggravée. Avant, on était interrogés quelques heures, maintenant certaines personnes restent détenues pendant plusieurs jours, voire plus d’une semaine, pour un simple statut sur Twitter avant de pouvoir voir un juge », s’inquiète Gino Raidy.
Le dernier épisode en date remonte à la détention pendant plusieurs jours d’Hanadi Gergès pour avoir posté un statut critiquant indirectement le président de la République. « L’atmosphère de liberté d’expression dont s’enorgueillit le pays est en péril », conclut Maya de Freige.
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