Comment le cinéma peut redonner espoir aux Gazaouis
GAZA – Cela fait 30 ans que les Gazaouis n’avaient pas partagé l’expérience et le plaisir d’aller au cinéma. La vie des habitants est rythmée par les coupures d’électricité – une crise provoquée par le bombardement par Israël d’une centrale électrique située sur le territoire palestinien durant la guerre de 2006.
Gaza dépend de l’électricité achetée à Israël et à l’Égypte, des sources d’énergie qui sont pour le moins incertaines. Avec des hôpitaux qui sont à court d’énergie, l’industrie du divertissement est littéralement relayée au second plan.
Cependant, à la fin du mois dernier, les Palestiniens de la bande de Gaza ont pu se réjouir de voir le cinéma rouvrir après une longue période de fermeture, avec à l’affiche le premier long-métrage réalisé sur le territoire de Gaza.
Le cinéma al-Samer qui abrite le plus vieil écran de Gaza a rouvert ses portes le 26 août dernier pour un seul jour. À cette occasion, les Palestiniens ont pu assister à la première du film « Ten Years » réalisé par une société de la bande de Gaza.
Le Samer a été créé en 1944, puis fermé après l’attaque lancée par Israël sur Gaza en 1967. Au lendemain de la guerre, d’autres cinémas ont rouvert, mais Al-Samer est resté fermé. Avec la montée de la violence du premier soulèvement palestinien qui remonte à 1987, tous les cinémas ont fermé.
La plupart des jeunes Gazaouis n’ont jamais eu l’occasion de voir un film au cinéma, et pour les autres habitants, l’expérience n’est qu’un lointain souvenir.
Le cinéma est équipé d’un grand écran et d’environ 300 sièges où se sont installés en nombre les spectateurs venus soutenir le projet de redonner vie aux cinémas de la bande de Gaza.
« On éprouve un sentiment étrange et nouveau en s’asseyant ici pour regarder un film après toutes ces années »
- Abed Alhakim Abu Daqen
« Le film, qui dure deux heures et demie, traite de la question des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes », commente Ghada Salmi chargée des relations presse du film.
Et d’ajouter : « Nous avons décidé d’organiser une séance gratuite pour la première du film au cinéma Samer, qui est un lieu symbolique, pour tenter de relancer le cinéma à Gaza. Un groupe de critiques et de spécialistes du monde de la télévision et du cinéma a également assisté à la première ».
La première du film a eu un large écho dans la presse et a suscité l’admiration des critiques. Ces derniers ont qualifié cet exploit d’avancée exceptionnelle dans la production de longs-métrages sur le territoire, qui a fait l’objet d’un blocus par Israël et l’Égypte des années durant.
Culture cinématographique
« Ce film a toute mon admiration : réalisé depuis la bande de Gaza, confrontée à une pénurie de ressources matérielles et en l’absence d’un environnement propice à la réalisation cinématographique, il mérite d’être soutenu et encouragé », souligne Abed Alhakim Abu Daqen, l’un des spectateurs qui a assisté à la première du film au cinéma al-Samer.
« On éprouve un sentiment étrange et nouveau en s’asseyant ici pour regarder un film après toutes ces années », ajoute-t-il.
« Nous espérons que le cinéma rouvrira ses portes dans la bande de Gaza, nous demandons au nom des droits de l’homme d’avoir des cinémas dans la bande de Gaza comme tous ces gens qui ont la chance d’aller au cinéma dans leur pays » précise-t-il à Middle East Eye.
Les Palestiniens ont regardé le film en silence, en piochant de temps en temps dans les friandises et les boissons qu’ils avaient achetées à l’extérieur. Le cinéma qui vient à peine d’ouvrir ses portes n’est pas encore équipé pour proposer des encas aux clients.
Haneen Samara, qui a assisté à la première du film, s’est assise, tout sourire, à côté de son amie.
« C’est une bonne chose de rouvrir le cinéma dans la bande de Gaza. Nous espérons que [d’autres] cinémas seront aménagés et ouvriront de nouveau leurs portes car les Palestiniens ont besoin de changement et de vivre des moments de cinéma », indique-t-elle à MEE.
Un rêve de 24 heures
La réouverture du cinéma Samer après 50 ans de fermeture n’a duré qu’un seul jour.
Le ministère de la Culture palestinien a fermé la salle le jour suivant, car qu’elle n’était pas encore équipée pour le traitement et la projection cinématographiques. Toutefois, pour les membres du public, il s’agit là d’une première étape en vue de relancer la culture cinématographique dans la bande de Gaza.
Les réalisateurs ont décidé de diffuser de nouveau « Ten Years » au cours de l’Aïd al-Adha du 2 au 4 septembre dans un théâtre de Gaza, en vendant les places aux Palestiniens, cette fois-ci, au prix de 5,5 dollars (4,6 euros).
Les spectateurs sont venus beaucoup moins nombreux lundi soir pour la diffusion du film au théâtre Said al-Almesshal situé dans la ville de Gaza, par rapport à la première qui s’était tenue à l’ancien cinéma al-Samer. Le coût du ticket a clairement été un frein pour certains.
Bara’a El Ghalayini s’est rendue à la dernière représentation à Gaza qui s’est tenue le quatrième jour de l’Aïd al-Adha.
« Je n’ai pas pu assister à la représentation au cinéma al-Samer, mais on n’éprouve certainement pas la même sensation lorsqu’on voit le film dans un théâtre plutôt qu’au cinéma », confie-t-elle à MEE. « J’espère pouvoir en faire l’expérience [à l’avenir] ».
« Nous devons encourager cette culture, car nous avons droit aux distractions, plutôt que de supporter l’obscurité qu’engendre la pénurie d’électricité dans la bande de Gaza »
- Amal Abu Assi, Gaza
Amal Abu Assi, assise à côté de Bara’a El Ghalayini, apprécie de manger le pop-corn qu’elle a acheté avant d’arriver au théâtre.
« J’ai conscience que nous n’avons pas, dans la bande de Gaza, de cinéma équipé d’un espace pour vendre à manger comme c’est le cas à l’étranger » précise-t-elle.
« Nous espérons qu’il y aura des projets favorisant le développement des cinémas à Gaza. Nous devons encourager cette culture, car nous avons droit aux distractions, plutôt que de supporter l’obscurité qu’engendre la pénurie d’électricité. »
Même si les spectateurs étaient peu nombreux, certains débordaient d’enthousiasme. Dans le public, les femmes et des hommes étaient venus voir le film, accompagnés de nombreux enfants au théâtre al-Almesshal.
Mohammed Abu Raya, assis à côté de sa femme et de son fils, explique qu’il est venu voir le film pour se distraire.
Il en avait assez de rester chez lui où sa famille est confrontée à des coupures d’électricité comme le reste des Palestiniens dans la bande de Gaza.
« Voir le film dans ces grandes salles rompt la routine de notre quotidien, qui nous pèse en raison de la pénurie d’électricité et bien d’autres problèmes, nous espérons pouvoir profiter de véritables cinémas à Gaza », exprime-t-il.
« Bien sûr, en voyant ce film qui a été réalisé à Gaza, nous sommes fiers de nos concitoyens. Cependant pour encourager le développement de ces œuvres, il faut réaménager et ouvrir les cinémas fermés », ajoute-t-il.
Investissement dans la culture
Atef Askoul, directeur général des arts, du patrimoine et des programmes au ministère de la Culture géré par le Hamas à Gaza, explique les raisons pour lesquelles Gaza a été privé de cinémas pendant si longtemps.
« C’est l’attaque israélienne sur Gaza en 1967 qui est véritablement à l’origine de la fermeture du cinéma al-Samer, resté fermé depuis lors », révèle Atef Askoul.
« Le cinéma al-Samer et sept autres dans la bande de Gaza appartiennent à des acteurs du secteur privé et non au gouvernement. Mais après la mort de leurs propriétaires, se sont posés des problèmes de succession, ainsi que d’autres difficultés d’ordre juridique qui n’ont pas encore pu être réglés, c’est pourquoi ils sont toujours fermés. »
Il précise que « ces difficultés ont empêché le projet de réhabilitation et de reconstruction des cinémas, notamment du al-Samer, bombardé par Israël en 1967, et brûlé une seconde fois à la suite d’une bataille intérieure entre le Hamas et le Fatah en 2006. »
La réalisation du premier long-métrage dans la bande de Gaza « a encouragé la direction à projeter le film gratuitement pendant un jour au cinéma Samer », ajoute-t-il. « Le gouvernement du Hamas a donné son accord, appelant ainsi à redonner vie aux cinémas et à encourager l’industrie cinématographique dans la bande de Gaza. Nous devons développer l’industrie cinématographique à Gaza et investir dans ce domaine de sorte que nous soyons en mesure d’élaborer un plan de réhabilitation et de développement des cinémas. »
Vision d’avenir
Alaa Alaloul, réalisateur du film « Ten Years », explique l’importance de montrer le film à Gaza et les difficultés rencontrées pour réaliser le film dans la bande de Gaza.
« Le film relate la vie de détenus dans les prisons israéliennes. Le tournage a duré six mois en tout, à raison d’au moins sept heures par jour » confie-t-il à MEE.
Il a fallu environ huit mois pour réaliser le film, montage et post-production compris, comme tout ce qui se passe à Gaza.
« L’histoire du film se déroule en Égypte, à Jaffa et dans la bande de Gaza, mais nous avions du mal à trouver des lieux de tournage qui conviennent à Gaza », explique Alaa Alaloul. « Certains sites ont été créés par le chef décorateur qui a dû reproduire les décors à Gaza, étant donné qu’il était impossible de tourner sur les lieux en raison du blocus », ajoute-t-il.
« Nous souhaitons encourager les hommes d’affaires à investir dans la production de longs-métrages à Gaza alors qu’il n’existe pas d’école spécialisée dans le cinéma ici »
- Alaa Alaloul, réalisateur de « Ten Years »
« Nous avons également rencontré des difficultés du fait des coupures d’électricité. Étant donné que l’éclairage et les décors sont indispensables à l’image, nous avons essayé de surmonter ce problème en installant d’autres générateurs, mais le problème a persisté pour monter le film ».
Pourtant malgré tous ces obstacles, Alaa Alaloul croit en l’avenir en matière de production cinématographique dans la bande de Gaza. « Nous souhaitons encourager les hommes d’affaires à investir dans la production de longs-métrages à Gaza alors qu’il n’existe pas d’école spécialisée dans le cinéma ici », constate Alaa Alaloul.
« À Gaza, nous sommes confrontés à de grandes difficultés. Tout d’abord, le manque de décors pour tourner. Deuxièmement, l’absence d’intermédiaires centraux qui seraient en mesure de commercialiser le film. Troisièmement, le manque de confiance des spectateurs palestiniens dans les produits locaux. Et enfin, la pénurie d’électricité qui a un impact sur l’industrie cinématographique. »
Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.
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