« Confident royal », le film accusé de « blanchir » l’Empire colonial britannique
C’est « l’extraordinaire histoire vraie d’une amitié inattendue entre Abdul Karim, un jeune employé et la reine Victoria ».
À lui seul, le synopsis de « Confident royal » (« Victoria & Abdul » en anglais), le dernier film de Stephen Frears avec Judi Dench arracherait une larme au plus endurci des spectateurs. Mais il en aurait fallu un peu plus (ou un peu moins) pour attendrir les critiques et les professionnels du cinéma en Grande-Bretagne.
Face à cette intrigue – « À mesure que l’amitié s’approfondit, la Reine retrouve sa joie et son humanité et réalise à travers un regard neuf que le monde est en profonde mutation » – ils ont vu dans ce nouveau biopic romantique de la « propagande » pour « blanchir les crimes coloniaux de l’Empire britannique ».
Dans le quotidien The Independant, l’écrivain réalisateur britannico-irakien Amrou Al-Kadhi s’insurge contre de tels films d’époque, à ses yeux de « dangereux exemples » de « blanchissement du colonialisme ». « Nous avons la responsabilité culturelle et sociale de nous interroger honorablement sur notre passé colonial, même si cela nous met mal à l’aise. Mais nous n’enseignons pas notre racisme passé et l’esclavage dans les écoles britanniques. Au lieu de respecter les vies anéanties par notre impérialisme, nous nous taisons et nous les effaçons. À la place, nous avons des films d’époque, dont [Confident royal] n’est qu’un exemple. »
Bien avant cette critique, en juin dernier, Consented, un site se décrivant comme une plateforme multimédia en marge des médias dominants, avait publié une chronique énervée contre la bande-annonce. « Il semblerait que le film fasse abstraction du racisme et des crimes coloniaux barbares de la Grande-Bretagne – deux aspects centraux du projet colonial – en présentant l’Empire comme quelque chose de sympa et câlin », écrit son auteur, Amit Singh, un des co-éditeurs du site.
Traduction : « Comment les films d'époque comme "Confident royal" tentent d'absoudre la Grande-Bretagne de son passé raciste »
« La relation entre la Grande-Bretagne et ses anciennes colonies n’a pas été résolue – L’Inde n’y fait pas exception […] Une telle réécriture de l’histoire revient à nier la réalité du colonialisme, qui était un projet soutenu par le racisme et conçu par l’élite de la société victorienne », poursuit-il.
« La reine Victoria était chef d’État à l’époque où la Grande-Bretagne brutalisait les peuples à travers la planète. On devrait s’en souvenir comme telle et non pas comme une gentille vieille dame prenant soin de son servant de couleur. Plus globalement, la culture populaire contribue depuis longtemps à effacer la réalité de l’Empire dans les anciennes colonies britanniques. Il est important pour nous d’en être conscients quand nous ‘’likons’’ sans réfléchir les vidéos Facebook contenant Judi Dench et Al. »
Traduction : « Je ne doute pas que la reine se soit liée d’amitié avec lui et que ça l’humanise, oui. Mais n’oublions pas le COLONIALISME #victoriaandabdul »
Un autre quotidien britannique The Guardian, n’est pas plus tendre avec le dernier long-métrage de Stephen Frears.
Dans son édition du 17 septembre, le critique Simran Hans note que le film « s’emploie péniblement à absoudre Victoria de sa responsabilité dans la colonisation, la dépeignant, bizarrement, tolérante et indignée à ce sujet. ‘’Je suis détestée partout dans le monde et ici’’, insiste-t-elle, se décrivant comme une ‘’vieille femme grosse, faible, idiote et impotente’’ rêvant d’‘’être elle-même et de vivre une vie rudimentaire ». Ce genre de révisionnisme historique, au mieux, fonctionne comme un joli conte royaliste et, au pire, enjolive son soutien au colonialisme et à l’Empire comme quelque chose de progressif. »
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