La logique de Trump : prendre une crise nucléaire pour en faire deux en tuant l’accord avec l’Iran
Lors de son premier discours à l’Assemblée générale des Nations unies, au mois de septembre, le président américain Donald Trump a profité de l’occasion pour vilipender deux pays en particulier.
Il a taxé la Corée du Nord – appelée aussi par Pyongyang « République populaire démocratiques de Corée » (DPRK) – de régime « dégénéré » à l’esprit « retors », dirigé par une « bande de criminels » équipés d’« armes nucléaires et de missiles balistiques ». Trump a ensuite menacé de « rayer le pays de la carte » si les États-Unis se retrouvaient acculés.
Dans la même veine, il a taxé l’Iran de « dictature corrompue », et dénoncé l’accord nucléaire – appelé « plan d’action global conjoint » (JCPOA) conclu entre Téhéran et les puissances mondiales en juillet 2015 – comme « l’une des transactions les pires et les plus unilatérales jamais signées par les États-Unis ».
Évidemment, selon l’administration américaine, un lien étroit unit ces deux défis – la crise nucléaire nord-coréenne aura-t-elle des implications politiques graves quant à l’attitude de Washington envers le JCPOA ?
« La même erreur »
La plupart des partisans de l’accord nucléaire avec l’Iran, dont d’anciens hauts fonctionnaires de l’administration Obama, attribuent la crise nord-coréenne à un manque de diplomatie efficace et de négociations sérieuses. C’est d’ailleurs cela qui a contribué à ce que l’accord iranien se matérialise en premier lieu.
Pour ces responsables et analystes, l’escalade des tensions sur la péninsule coréenne en apporte une nouvelle preuve : le JCPOA devrait non seulement être maintenu, mais aussi servir de modèle pour désamorcer la crise nucléaire qui s’aggrave en Asie du sud-est.
Joe Cirincione, président du Fonds Ploughshares, organisation américaine recommandant la réduction et le démantèlement des armes nucléaires, l’affirme : « Nous avons déjà fait avec la Corée du Nord la même erreur qu’avec l’Iran, en refusant de conclure un accord au moment où nous pouvions lui retirer toute capacité nucléaire. Nous nous sommes ensuite rassis à la table des négociations, mais trop tard : maintenant, ce pays a déjà accumulé des moyens nucléaires auxquels il ne veut pas renoncer. »
Pourtant, insiste-t-il, « même si les pourparlers avec la Corée du Nord se sont avérés et s’avèreront encore difficiles, il n’existe aucune alternative viable ».
« Si Trump se retirait de l’accord avec l’Iran, cela provoquerait une deuxième crise nucléaire, tout en nous aliénant les mêmes pays dont nous avons besoin pour régler la crise [nord-coréenne] »
- Ben Rhodes, conseiller à la sécurité nationale auprès de Barack Obama
De même, Ben Rhodes, conseiller à la sécurité nationale auprès de Barack Obama, l’explique en ces termes : « si Trump se retirait de l’accord avec l’Iran, cela provoquerait une deuxième crise nucléaire, tout en nous aliénant les mêmes pays dont nous avons besoin pour régler la crise [nord-coréenne] ».
Encore plus significatif : la chancelière allemande Angela Merkel – dont le gouvernement fait partie du JCPOA – a demandé de prendre une initiative diplomatique sur le modèle de celle avec l’Iran, afin de résoudre la crise dans la péninsule coréenne.
« Je pourrais imaginer qu’un tel format soit utilisé pour mettre fin au conflit avec la Corée du Nord. L’Europe et l’Allemagne en particulier devraient être prêtes à jouer un rôle actif dans cela », a-t-elle déclaré dans un entretien accordé le 10 septembre au quotidien Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung.
« Tenir le monde en otage »
Or les adversaires du JCPOA – surtout composés de faucons, aussi bien dans le gouvernement américain que dans les think tanks conservateurs, – voient la situation coréenne sous un tout autre jour.
Pour eux, la Corée du Nord reflète l’exemple même de ce à quoi risquent de très rapidement mener les activités nucléaires de l’Iran, si personne ne s’oppose à la République islamique – État « voyou » – et si l’accord avec l’Iran, « défectueux », n’est pas modifié.
Ces politiques et conseillers chevronnés anti-JCPOA estiment que Pyongyang a profité du « Cadre convenu » en 1994 avec l’administration Clinton, pour ensuite piétiner l’accord et se précipiter pour obtenir la bombe, testée pour la première fois en 2006. Ils craignent désormais que Téhéran ait, avec la même duplicité, l’intention de prendre le même chemin, jusqu’à acquérir des armes atomiques.
Dans son témoignage au Congrès le 5 avril 2017, Mark Dubowitz, à la tête de la Fondation conservatrice pour la défense des démocraties, a expliqué que le JCPOA était le « chemin emprunté patiemment par la République islamique jusqu’aux armes nucléaires », et ajouté : « Le JCPOA est vicié au cœur par une faille fatale : l’Iran n’a même pas besoin de tricher pour atteindre le ‘’seuil nucléaire’’. »
« En respectant l’accord et en attendant patiemment la levée de contraintes clés, l’Iran peut devenir une puissance du ‘’seuil nucléaire’’ [expression utilisée pour qualifier les pays cherchant à se procurer des armes nucléaires] muni d’un programme d’enrichissement de dimension industrielle qu’il est en mesure de le concrétiser presque tout de suite, et un programme avancé de missiles balistiques longue portée ».
L’Ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, a récemment fait une déclaration similaire. Dans un discours important devant un think tank conservateur, The American Entreprise Institute, le 5 septembre, elle a fait le rapprochement entre ces deux cas, et affirmé qu’« on ne saurait séparer la technologie des missiles d’une course à l’arme nucléaire. Si nous continuons à ne pas surveiller les activités iraniennes, nous nous retrouverons confrontés à une autre Corée du Nord ».
« Si nous continuons à ne pas surveiller les activités iraniennes, nous nous retrouverons confrontés à une autre Corée du Nord »
- Nikki Haley, ambassadrice américaine à l'ONU
Et d’ajouter plus loin dans le même discours : « Les dirigeants iraniens veulent utiliser l’accord nucléaire pour prendre le monde entier en otage. »
John Bolton, ambassadeur américain à l’ONU sous l’administration George W. Bush, est allé encore plus loin et s’est alarmé « d’un programme conjoint de missiles balistiques et nucléaires entre l’Iran et la Corée du Nord ». Une grande partie des débats actuels au JCPOA serait stratégiquement hors sujet si, comme cela semble pratiquement certain, les ayatollahs pouvaient un jour virer une somme sur le compte de Kim Jong-un pour s’acheter n’importe quelles capacités fabriquées par la Corée du Nord », a-t-il déclaré.
Bolton a proposé en ce sens une « stratégie » très médiatisée parce qu’elle conseille à l’administration Trump de sortir de l’accord avec l’Iran, solution récemment soutenue par 45 anciens fonctionnaires américains à la sécurité, dans une lettre ouverte au président Donald Trump.
Ouvrir la boîte de Pandore
Trump est profondément mécontent de l’accord nucléaire avec l’Iran, qu’il a appelé le « pire contrat jamais signé » et qui « embarrasse » les États-Unis. Quand viendra le temps de décider s’il faut rester au JCPOA ou en sortir, on peut donc s’attendre à ce que le président penche pour la deuxième solution.
Peu de temps après la publication par Téhéran d’une vidéo du missile testé le 23 septembre en réponse à un regain de pressions américaines, Trump a tweeté : « L’Iran vient de faire un test de missile balistique capable d’atteindre Israël. Il travaille aussi avec la Corée du Nord. Tu parles d’un accord ! ». « L’Iran a dupé Donald Trump avec son faux essai de missile et le président a réagi exactement comme prévu », a analysé le HuffPost.
En réalité, cette vidéo était celle d’un essai raté antérieur, en janvier, ce qui fut plus tard confirmé par des officiels sécuritaires israéliens. Ce test de missile n’a jamais eu lieu.
Fake news mises à part, il ne semble pas que Trump sortira brutalement du JCPOA. Le président américain a l’obligation légale d’annoncer tous les 90 jours au Congrès si Téhéran respecte l’accord ou non. Deux fois pour l’instant, Trump a affirmé, certes à contrecœur, que la République islamique respecte jusqu'à présent bien l’accord.
Cependant, la prochaine fois, ce sera le 15 octobre – et c’est alors qu’il va probablement refuser de certifier l’accord et ainsi laisser le soin au Congrès de décider quoi faire ensuite.
Le Congrès, massivement dominé par les républicains, a fait preuve d’une impatience exceptionnelle à lever les sanctions contre la République islamique concernant son programme de missiles et son soutien de groupes combattants dans la région. Il pourrait voir dans cette non-certification une occasion en or pour réimposer à Téhéran des sanctions en lien avec le nucléaire.
Le Congrès pourrait voir dans cette non-certification une occasion en or pour réimposer à Téhéran des sanctions en lien avec le nucléaire
Cela ouvrira, pour ainsi dire, une boîte de Pandore, et marquera la fin de l’accord nucléaire avec l’Iran, d’autant plus si les Européens finissent par céder à la pression américaine et essaient d’exiger « des modifications à l’accord ou pas d’accord du tout », comme l’a dit le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, en dépit de leur rhétorique actuelle pour affirmer le contraire.
Téhéran répondra probablement par l’escalade, étant donné l’effet d’une telle politique et les décisions antérieures prises par ses dirigeants dans des circonstances semblables – ce qui pourrait même inclure la reprise d’activités nucléaires sensibles, interdites par l’accord.
Résultat : Washington, qui s’efforce de relever le défi nucléaire nord-coréen, devrait se préparer à une autre crise en train de rapidement s’envenimer au Moyen-Orient, et risque de culminer avec une confrontation militaire si l’accord avec l’Iran était fichu.
- Maysam Behravesh est doctorant au Département de sciences politiques de l’Université de Lund et chercheur au Centre d’études du Moyen-Orient (CMES) de l’université. Il a été rédacteur en chef de la revue Asian Politics & Policy publiée par Wiley et assistant éditorial pour le trimestriel Cooperation and Conflict, publié par SAGE. Maysam contribue aussi régulièrement à des médias en langue persane, dont BBC Persian.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo. Pelouse-Ouest du Capitole américain à Washington, le 9 septembre : Donald Trump, alors candidat républicain à la présidentielle, s’entretient avec des journalistes lors d’un rassemblement contre l’accord nucléaire avec l’Iran (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.
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