Tunisie : pourquoi le tourisme ne fait plus recette
TUNIS – L’année 2017 s’annonce être celle de l’embellie pour le tourisme tunisien : avec 4,7 millions de visiteurs à la fin du mois d’août, les indicateurs de fréquentation sont de nouveau au vert.
Grâce à la stabilisation de la situation sécuritaire, le secteur semble se relever des tragédies qui l’ont secoué durant l’année 2015. La haute saison a été très fructueuse avec une performance record pour le mois d’août, et l’arrière-saison semble suivre la même tendance. Les autorités tablent ainsi sur une affluence de 6,5 millions de touristes sur l‘ensemble de l’année 2017.
Cependant, cette relance de la fréquentation tend à occulter les difficultés du secteur, car les recettes touristiques ne sont pas au rendez-vous. Cela ne peut en aucun cas être expliqué par la seule dépréciation du dinar. Pour ce faire, il est essentiel de se pencher sur la crise structurelle qui affecte le tourisme tunisien depuis ces dernières décennies.
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Depuis les années 1970, les régimes successifs ont misé sur le tourisme principalement pour deux objectifs : la promotion de l’image du pays et l’alimentation des avoirs en devises.
La Tunisie était en quête de notoriété au sortir de l’indépendance, et surfer sur la vague du tourisme balnéaire économique – en plein essor – paraissait la parfaite opportunité.
Cette stratégie de développement devait normalement aboutir à un saut qualitatif et à une diversification du produit touristique, une fois que la fréquentation atteindrait un nombre suffisant, chose faite à la fin des années 1980 avec une affluence qui a dépassé les 3 millions de touristes.
La dégradation du produit touristique s’est poursuivie durant les années 2000 avec l’apparition du all-inclusive
Cependant, cette réorientation stratégique ne s’est pas opérée. Au lieu de cela, les autorités ont opté pour une intensification du tourisme de masse avec une standardisation du produit et une compétitivité axée sur le prix. La presque totalité de la capacité d’hébergement fut concentrée sur les zones balnéaires (Djerba, Sousse, Nabeul, Hammamet, Monastir, Mahdia et Tabarka).
La dégradation du produit touristique s’est poursuivie durant les années 2000 avec l’apparition du all-inclusive, expression utilisée pour décrire les formules comprenant dans le prix du séjour les frais d’hébergement, les boissons et les repas. Les tour-operators en sont arrivés à promouvoir des séjours d’une semaine en « all-inclusive » à 299 euros, alors que le billet d’avion en lui-même coûtait plus cher.
Ce dumping a progressivement fini par atteindre les palaces cinq étoiles, avec pour effet l’effondrement des recettes touristiques au cours de la dernière décennie : si les recettes par lit ont été de 11 360 dinars (7 044 euros) en 2005, dix ans plus tard, en 2015, elles n’ont pas pu dépasser les 9 999 dinars (4 593 euros).
Un tourisme qui n’a pas su faire sa mue
Au fil des décennies, le tourisme tunisien n’a pas su faire sa mue. Il a été cantonné au statut de destination balnéaire bradée, avec un produit à faible valeur ajoutée, au grand dam de son patrimoine archéologique, un atout inestimable.
Le pays exploite seulement 0,2 % de ses sites archéologiques selon le ministre de la Culture, Mohamed Zine el-Abidine. Le Travel & Tourism Competitiveness Report 2017 du Forum économique mondial, révèle que cette stratégie s’est traduite par une perte significative en termes de compétitivité, la Tunisie a dégringolé à la 87e position, loin derrière l’Estonie (37e) ou Bahreïn (60e).
En Tunisie, le tourisme a toujours a joué le rôle de vitrine pour le pouvoir politique. Entre le financement bancaire et les incitations fiscales, il se trouve être l’un des secteurs d’activité les plus soutenus par l’État tunisien. Malgré ces efforts, sa contribution à l’économie nationale reste mitigée.
Pour l’économiste Jamel Aouididi, les ressources allouées au secteur touristique n’ont pas donné les résultats escomptés : « Si on examine la répartition de la valeur ajoutée dans le PIB de la Tunisie, un indicateur qui aide à estimer convenablement l’apport de chaque secteur, on constate que la contribution du tourisme n’a pas dépassé les 5 % du PIB, alors que la contribution de l’agriculture est aux alentours de 10 % du PIB. Entretemps, les crédits alloués au tourisme ont été deux fois plus importants que ceux alloués à l’agriculture ».
Quant à la création d’emplois directs, elle affiche une certaine stagnation : le secteur n’a créé que 4 600 nouveaux emplois directs durant toute la période 2005-2015, contre 29 300 durant la période 1994-2004.
Un endettement colossal
Les professionnels du secteur ont ainsi opté pour la saisonnalité des emplois durant la dernière décennie, ce qui a fortement contribué à la détérioration de la qualité de service et au renforcement de la précarité de l’emploi.
Le secteur s’est fortement endetté, particulièrement sous l’effet des prêts sans garantie consentis durant le régime Ben Ali. Le clan du dictateur et les affairistes proches du pouvoir avaient à l’époque profité des largesses de l’État pour ouvrir des hôtels à tour de bras.
Hormis la manne touristique, l’attrait venait de l’évasion de capitaux grâce à un mécanisme rodé : les travaux de construction et les équipements importés étaient surfacturés, quant aux nuitées elles étaient sous-déclarées.
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Une grande partie de ces dettes n’a pas été remboursée jusqu’à ce jour, et le montant des créances irrécouvrables demeure exorbitant. Selon le dernier rapport annuel de la banque Centrale, les dettes du secteur s’élèvent aujourd’hui à 4,3 milliards de dinars (1,47 milliard d’euros) parmi lesquelles 54,2 % sont des créances douteuses.
À elle seule, la Société tunisienne de banque (STB) supporte 1,7 milliard de dinars (580 millions d’euros) des dettes du secteur touristique. Le PDG de la STB, Abdelwaheb Nechi, avait reconnu en devant la commission des finances que des hôteliers n’ont pas remboursé leurs dettes depuis 2001. Mais en août 2015, l’État est venu à leur rescousse en recapitalisant la STB, transformant au passage des dettes privées appartenant à des affairistes peu scrupuleux, en dettes publiques.
« On nous dit que le tourisme a repris au cours des quatre derniers mois. C’est excellent ! Sauf que je n’ai pas vu la moindre trace des revenus »
- Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT)
« Où sont partis les revenus du tourisme ? », s’est interrogé Chedly Ayari, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) lors de son audition devant le parlement le 16 mai 2017. « On nous dit que le tourisme a repris au cours des quatre derniers mois de l’année. C’est excellent ! Sauf que je n’ai pas vu la moindre trace des revenus du tourisme. On a une hémorragie… Où est-ce que cela va s’arrêter ? », a-t-il poursuivi.
Le gouverneur de la BCT a voulu attirer l’attention des parlementaires sur des soupçons de fuite de capitaux en faisant référence à une anomalie : le rapport sur les évolutions économiques du mois de mars 2017 avait fait état d’une baisse de 2,1 % des recettes en devises, alors que les entrées de touristes ont progressé de 23,6 %.
Cette tendance est confirmée par le graphique ci-dessous : le rythme d’évolution des revenus du tourisme ne correspond plus à celui des entrées de touristes, et le différentiel s’est particulièrement accentué durant la période post-révolution.
Le décalage est encore plus net lors des deux périodes de reprise du tourisme : en 2013, deux ans après les troubles liés à la chute du régime, et en 2016, une année après les attentats tragiques du Bardo et de Sousse.
On constate que durant la saison 2013, malgré l’augmentation des arrivées de touristes de 5,3 %, les recettes en euros à taux de change constant ont enregistré une baisse de 5,7 %.
Le constat est encore plus marquant pour la saison 2016 : bien que les entrées de touristes ont augmenté de 7,7 %, les recettes en euros constants ont chuté de 9,9 %.
Outre l’effet de la dépréciation du dinar, le graphique indique l’existence effective d’une fuite de capitaux à l’origine de la contraction des recettes touristiques.
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Cette tendance a été confirmée par les chiffres du mois d’août 2017, communiqués par l’Office national du tourisme tunisien (ONTT). Tandis que les entrées ont progressé de 23,7 % par rapport à août 2016, passant de 3,8 millions de touristes à 4,7 millions, les recettes en euros à taux de change constant (1 euro pour 2, 8565 dinars) ont progressé uniquement de 2,6 % sur la même période, passant de 653 millions d’euros à 670 millions d’euros.
Si au niveau de la promotion de l’image, la stratégie a échoué, voici maintenant que le tourisme ne remplit plus son rôle en termes de recettes en devises. Et cela arrive au moment où les avoirs en devises du pays ont atteint leur plus bas niveau depuis 2004. Ils sont artificiellement maintenus au-dessus de seuil de 90 jours d’importations à l’aide de l’endettement extérieur.
C’est une situation qui exige une remise en question de l’ensemble du paradigme sur lequel repose le tourisme tunisien. Pour redevenir un pilier de l’économie du pays, le secteur nécessiterait des reformes structurelles visant une montée de gamme du produit touristique, avec une diversification vers le tourisme culturel et le tourisme écologique.
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