La nouvelle feuille de route des médias algériens ? Un cinquième mandat pour Bouteflika
Qui s’en est aperçu ? Selon le ministre de la Communication, Djamel Kaouane, 26 quotidiens et une trentaine d’hebdomadaires ont cessé de paraître durant les trois dernières années.
Cela n’a pourtant rien changé à ce qu’il est convenu d’appeler le « paysage médiatique algérien ». À part pour les employés de ces journaux et leur environnement immédiat, leur disparition est passée inaperçue.
Ce total représente pourtant plus du tiers des journaux paraissant actuellement, qui seraient autour de 140, selon M. Kaouane. Comment un secteur d’activité peut-il perdre une part aussi importante de ses acteurs sans même s’en rendre compte ?
La chaine de télévision KBC, adossée pourtant au quotidien de référence arabophone El Khabar, a, elle aussi, cessé d’émettre. L’évènement n’a pas fait de vague non plus. Comme si ces accidents industriels frappaient un corps amorphe, incapable de réaction.
Et la série continue. Hadda Hezam, directrice d’un autre quotidien arabophone, El Fedjr (opposition laïque), a annoncé sur sa page Facebook qu’elle était contrainte de réduire la pagination du journal et de se séparer d’une partie du personnel. Ces difficultés sont annoncées un mois après la décision des propriétaires du quotidien francophone La Tribune de saborder le journal.
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Le ministre de la Communication a semblé s’en alarmer cette semaine. Il a parlé de « crise » de la presse algérienne. Comment perçoit-il cette crise ?
M. Kaouane utilise une belle formule, lorsqu’il invite la presse algérienne à entrer dans le nouveau siècle. Le constat est juste. La presse algérienne est déstructurée, gérée de manière approximative, et son modèle économique est dépassé, comme l’a relevé à juste titre le ministre. Seule une action vigoureuse, s’appuyant sur un cap politique clair, peut mener vers une solution.
Contrôler plutôt que promouvoir
Mais, paradoxe algérien, un bon diagnostic ne mène pas forcément à prescrire un traitement adéquat. Et un ministre qui établit un constat aussi élaboré ne propose pas forcément de belles perspectives. Il s’agit juste d’un discours convenu. M. Kaouane le confirme.
Pour entrer dans le nouveau siècle, la presse a besoin d’un gouvernement qui déblaie le terrain, qui pousse dans cette direction, ou, à défaut, qui ne fasse pas obstacle à ces changements. En Algérie, c’est le gouvernement qui bloque des quatre fers pour empêcher la mutation nécessaire.
« Echark al-Awsat, Al-Ahram, Al-Jazeera restent des modèles totalement inaccessibles. C’est la conséquence d’une politique où la presse en est réduite à vivoter, en se battant pour accéder à la rente publicitaire »
On peut évoquer le sujet point par point. Dans l’audiovisuel, le ministre botte en touche. C’est à l’Agence de régulation de l’audiovisuel (ARAV) d’agir, selon lui. Mais l’ARAV ne sait pas quoi faire, et ne peut rien faire en l’absence de textes législatifs et réglementaires pointus. Son président, Zouaoui Benamadi, se plaignait récemment de choses aussi primaires que la disponibilité du budget et du personnel.
De plus, l’ARAV hérite d’une situation inextricable, avec des chaînes « para-légales », fragiles et précaires, avec un statut juridique absurde : il s’agit officiellement de sociétés étrangères, basées pour la plupart en Jordanie, et dont le patron est titulaire d’une carte de correspondant de la chaîne en Algérie ! Cette précarité garantit au gouvernement la docilité des chaînes de télévision, qui restent sous contrôle.
Pour la presse écrite, le ministre de la Communication se contente de parler d’une instance de régulation à laquelle seraient confiée la « normalisation ». Son prédécesseur, Hamid Grine, avait axé son discours sur la carte de presse. Il sera difficile, en fin de parcours, de parler de bilan.
Cette gestion exclut, de fait, toute ambition. Aucun média algérien ne peut se targuer d’une quelconque influence à l’international, par exemple. Aucun organe de presse n’a réussi à prendre une dimension régionale. Echark al-Awsat, Al-Ahram, Al-Jazeera restent des modèles totalement inaccessibles. C’est la conséquence d’une politique où la presse en est réduite à vivoter, en se battant pour accéder à la rente publicitaire.
Discours décalé
Le constat est cruel, mais il est fondé : pour la plupart d’entre eux, les journaux qui ont récemment disparu était inutiles. Ce qui explique que leur mort n’ait pas fait de vagues.
Une cinquantaine d’autres journaux encore en activité n’ont aucune assise : il s’agit de simples outils utilisés pour capter les recettes publicitaires encore largement monopolisées par l’État à travers une entreprise publique, l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP), dont l’actuel ministre était PDG avant de faire son entrée au gouvernement.
Face à cela, le discours du ministre de la Communication paraît largement décalé. Certes, ses propos sont séduisants quand il évoque la crise de la presse papier, la nécessité de s’adapter aux Technologies de l’information et de la communication (TIC), de promouvoir le débat contradictoire, etc. Mais dans les faits, son action est très loin des nécessités.
« Aucune instance de régulation n’a réellement fonctionné dans le pays, qu’il s’agisse de TIC, d’hydrocarbures ou d’audiovisuel »
Ce n’est pas une autorité de régulation de la presse écrite qui va débloquer la situation de la presse algérienne. D’ailleurs, aucune instance de régulation n’a réellement fonctionné dans le pays, qu’il s’agisse de TIC, d’hydrocarbures ou d’audiovisuel.
Mieux : le gouvernement Ouyahia a dépossédé de ses attributs une des rares instances qui faisait encore semblant d’assurer son rôle, la Banque d’Algérie. Comment, dans un tel contexte, espérer qu’une nouvelle instance puisse réguler un secteur où la décision est non assumée ?
Concernant l’affaire TSA (Tout Sur l’Algérie, un des sites d’information le plus consultés en Algérie), M. Kaouane a botté en touche. C’est « une affaire entre entreprises », a-t-il commenté, alors que le site s’est plaint d’être inaccessible à travers les canaux, ADSL et 3G, du principal fournisseur d’internet en Algérie, Algérie Telecom.
De même, le ministre a donné l’impression de vouloir nier l’évidence, en parlant des recettes publicitaires. Une note signée du Premier ministre Ahmed Ouyahia lors de son précédent mandat à ce poste, entre 2006 et 2012, contraint les entreprises publiques et les administrations à passer par le biais de l’entreprise publique ANEP pour tous leurs contrats publicitaires. Cette manie est répartie entre les médias « amis ».
Le comble est atteint par M. Kaouane quand il se déclare favorable au débat contradictoire dans les médias publics. En théorie, c’est lui qui les chapeaute. Il pourrait donc les inciter à l’ouverture. Dans les faits, les chaînes de télévision algériennes ont toujours échappé aux ministres, qui se contentent d’appliquer les instructions de la présidence de la république, laquelle agit le plus souvent à travers un personnage officieux.
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Ce qui a été énoncé par M. Kaouane ne peut constituer un projet médiatique, aussi modeste soit-il. La presse électronique, en plein essor, est dans le flou total. Le champ audiovisuel, dans son volet privé, est partagé entre les « proches » et les « très proches » du pouvoir. En l’état actuel des choses, aucun projet indépendant n’est viable.
Ceci ramène le projet de M. Kaouane à sa véritable dimension : une feuille de route vissée sur l’horizon 2019, et destinée à baliser le terrain pour se diriger tranquillement vers un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika.
Cela passe par une série de deals : conforter les médias « amis », attirer des partenaires susceptibles de se rapprocher du pouvoir pour être inclus dans le cercle des « amis » et accompagner cette démarche, préparer le terrain pour évincer les récalcitrants, et éviter tout bouleversement susceptible de compliquer la donne. C’est ce que fait Ahmed Ouyahia sur le terrain économique, et c’est ce que fait M. Kaouane dans le domaine des médias.
- Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l'hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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Photo : Le président algérien Abdelaziz Bouteflika prête serment après avoir été élu pour un quatrième mandat, le 28 avril 2014 (AFP).
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