Désespérés et oubliés : les bombes continuent à pleuvoir et les Yéménites continuent à mourir
De nos jours, il semble que nos pensées et nos sentiments n’arrivent plus à suivre les crises humanitaires et les catastrophes qui se déroulent autour de nous.
Face au nettoyage ethnique qui a lieu au Myanmar contre les Rohingyas, aux tragédies humaines qui ont frappé les États en faillite ou quasiment en faillite au Proche-Orient et en Asie centrale, nos prières, hashtags et pétitions en ligne bien intentionnés semblent aussi efficaces que les tentatives de repousser un cyclone avec des flatulences.
La guerre oubliée
Cependant, perdu dans le brouillard d’un chaos et d’un conflit apparemment perpétuels, il y a ce que les Nations unies ont qualifié de « plus grande catastrophe humanitaire au monde ». Pour la génération de mes grands-parents, le conflit dans la péninsule coréenne était la « guerre oubliée ». À l’époque de mes parents, ce titre était porté par l’occupation soviétique de l’Afghanistan.
Pour ma génération, la « catastrophe “made in America” » au Yémen est la crise qui a le moins retenu l’attention de la communauté internationale.
Mais ce n’est pas parce que les médias du monde et ses dirigeants prétendent que le pays le plus pauvre du Moyen-Orient n’est pas assiégé et pris au piège d’un conflit géopolitique plus large – dont le résultat est la mort de dizaines de milliers de personnes et la destruction quasi-totale des infrastructures déjà mal en point du pays – que la communauté internationale peut faire disparaître cette catastrophe humanitaire par sa simple volonté.
Le Yémen pourrait devenir l’épicentre de futures pandémies internationales
Alors que les bombes saoudiennes guidées par les États-Unis s’abattent à travers le pays, avec 5,5 milliards de dollars de munitions vendues par le Royaume-Uni pour mener des « attaques illégales » et que les puissances mondiales continuent d’être récompensées pour leur inaction diplomatique, 23 millions de Yéménites qui ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence en resteront au même point : désespérés et oubliés.
Cette situation est pire encore pour les sept millions de Yéménites confrontés à la famine et les 750 000 qui ont contracté le choléra – la plus grande épidémie au monde de cette maladie mortelle au cours de ce siècle.
Pire – s’il est possible d’imaginer un scénario pire que celui-là –, les spécialistes des maladies contagieuses préviennent qu’en raison de l’incapacité de l’État à fournir des services médicaux de base, le Yémen pourrait devenir l’épicentre de futures pandémies internationales.
« La manifestation de cet [échec de l’État] pour l’instant, c’est le choléra, mais le Yémen pourrait être à l’avenir le point de départ d’autres épidémies », a averti Peter Salma, directeur exécutif des urgences sanitaires de l’Organisation mondiale de la santé lors d’une récente interview.
Un désir de se désengager
L’économie est en lambeaux, l’aide humanitaire qui parvient dans le pays est insuffisante pour répondre à la demande, et la fin de toutes ces souffrances ne se profile pas à l’horizon. C’est une catastrophe rendue encore plus difficile à résoudre car la guerre est quasiment oubliée par ceux qui ont la chance d’être à l’extérieur du Yémen.
Toutefois, le paradoxe particulier de ce dilemme tient au fait que tous les belligérants ont exprimé le désir de se désengager de cette guerre qui dure depuis près de trois ans. Le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, a déclaré aux autorités américaines qu’il « voulait sortir » de la guerre qu’a lancée son pays, et qu’il n’était pas opposé à une résolution diplomatique du conflit avec l’Iran.
Les démocrates et les républicains du Congrès américain travaillent ensemble pour adopter un projet de loi qui mettrait fin à l’implication américaine dans la guerre.
Les bombes continuent à pleuvoir et les Yéménites continuent à mourir
« Il est trop tard pour que le pays arrête de ravitailler les missions au Yémen. Le Congrès et le peuple américain en savent trop peu sur le rôle que nous jouons dans une guerre qui cause des souffrances à des millions de personnes et constitue une véritable menace pour notre sécurité nationale », a déclaré le député Ro Khanna (élu démocrate de Californie) dans un communiqué.
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Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a pour sa part déclaré le mois dernier que son pays serait prêt à « oublier le passé » avec l’Arabie saoudite et était donc prêt à mettre fin au conflit au Yémen de manière diplomatique. Mais le conflit continue, et les accords d’armement prennent de l’ampleur. Récemment, l’administration Trump a annoncé qu’elle avait finalisé un accord d’armement d’une valeur de 110 milliards de dollars avec le royaume.
Autrement dit, les bombes continuent à pleuvoir et les Yéménites continuent à mourir.
Appel désespéré
Cependant, il y a une lueur d’espoir à l’horizon, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a déclaré son intention de créer un nouveau groupe international d’experts chargé d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises par tous les belligérants au cours de ce conflit dévastateur.
« Ce faisant, la communauté internationale a finalement envoyé un message clair à toutes les parties belligérantes – aux Saoudiens et à leurs partenaires, au groupe armé Ansar Allah (également connu sous le nom de Houthis) et à leur allié l’ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh, aux forces armées et aux groupes armés fidèles au président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi – selon lequel le monde a enfin ouvert les yeux, que l’impunité ne régnera plus au Yémen et que les violations des droits de l’homme et des lois de la guerre auront des conséquences », observe Radhya Almutawakel, une militante yéménite des droits de l’homme.
En octobre, John Ging, directeur de l’Organisation des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, a publié une déclaration au Conseil de sécurité de l’ONU.
Dans un monde assiégé par les crises humanitaires engendrées par les conflits, nous ne pouvons qu’espérer qu’il y ait de la place dans notre conscience collective pour le Yémen
Dans un plaidoyer désespéré, Ging a exhorté les quinze membres de l’organe le plus essentiel de l’ONU à « exercer leur influence sur toutes les parties au conflit pour se conformer à leurs obligations et responsabilités en vertu du droit international humanitaire et des droits de l’homme ».
Son plaidoyer a été souligné par l’urgence et la gravité de la crise humanitaire qui continue de faire des ravages sur le peuple yéménite, citant l’insécurité alimentaire, la perturbation des services essentiels et une économie brisée comme obstacles à l’aide humanitaire.
Mais comme nous l’avons constaté si souvent, la volonté politique ou l’appétit de changement de politique ou de direction découle généralement du discours public, qui découle généralement de l’indignation ou de l’inquiétude générale du public.
Dans un monde assiégé par les crises humanitaires engendrées par les conflits, nous ne pouvons qu’espérer qu’il y ait de la place dans notre conscience collective pour le Yémen.
- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America (2013), God Hates You. Hate Him Back (2009) et Koran Curious (2011). Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object. » Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les salles de soins intensifs des hôpitaux du Yémen sont pleines d’enfants émaciés reliés à des moniteurs et à des perfusions – victimes des pénuries alimentaires (Reuters).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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